Paul Verlaine

Verlaine, Poèmes Saturniens, Femme et Chatte

Poème étudié

Elle jouait avec sa chatte,
Et c’était merveille de voir
La main blanche et la blanche patte
S’ébattre dans l’ombre du soir.

Elle cachait – la scélérate ! –
Sous ces mitaines de fil noir
Ses meurtriers ongles d’agate,
Coupants et clairs comme un rasoir.

L’autre aussi faisait la sucrée
Et rentrait sa griffe acérée,
Mais le diable n’y perdait rien…
Et dans le boudoir où, sonore,
Tintait son rire aérien,
Brillaient quatre points de phosphore.

Verlaine, Poèmes saturniens

Introduction

A la femme idéalisée des Romantiques succède l’image d’une créature diabolique et mauvaise. Baudelaire joue sur les deux registres.

Verlaine, dont on connaît la musicalité douce et la sensibilité avec « Mon rêve familier », compare ici la femme à une chatte.

Autant dans le poème, la femme joue un rôle pour le poète, elle le console et écarte les angoisses, autant dans « Femme et chatte » elle semble indifférente : elle n’existe que comme un spectacle qui s’admire. Alors qu’il était évident que le personnage était rêvé, idéalisé, « intériorisé » dans « Mon rêve familier », ici la femme ne s’intéresse absolument pas au poète. Et les armes dont elle dispose peuvent le blesser mais elles ne le visent pas spécifiquement et uniquement ; la discrétion du « moi » est à ce titre significative.

L’identité entre la femme et l’animal est manifeste tout au long du poème. Si la part de la crainte domine le texte, il faut reconnaître que la tonalité générale n’est pas angoissée. Les deux êtres attirent par leur pouvoir de séduction tout en suscitant une inquiétude.

Première partie : elles inspirent une même crainte

1. Par la cruauté

Il est évident que le deuxième quatrain et le premier tercet illustrent parfaitement cette cruauté. De part et d’autre, ce sont les mêmes armes : « Ses meurtriers ongles d’agate » correspondent à « la griffe acérée ».

Les noms suggèrent l’arme qui blesse mais les adjectifs insistent encore. L’antéposition de « meurtriers » met en valeur l’adjectif. En outre, l’agate est une pierre dure.

Les allitérations en c dans le quatrième vers du second quatrain créent le rythme heurté qui convient. L’arme pourrait être le poignard.

Mais la comparaison « comme un rasoir » renvoie à un instrument plus effilé, plus dangereux encore. A cette finesse correspond d’ailleurs la netteté du contraste entre noir et blanc qui parcourt le poème.

2. La traîtrise

Il faut remarquer en effet l’hypocrisie qui s’attache aux deux êtres. L’apposition, détachée par deux tirets, « la scélérate ! » donne le ton.

Le verbe « cachait » ouvre le quatrain, correspond à l’animal qui « rentrait » ses griffes, au tercet suivant l’expression familière « faisait la sucrée », tout indique la volonté de tromper.

Mais le terme appliqué à la femme est plus fort que l’expression employée pour la chatte.

La dissimulation, enfin, se manifeste par les jeux de la première strophe.

3. Deux êtres démoniaques

Ce caractère de cruauté et d’apparente douceur explique l’évocation du diable au dernier vers du premier tercet : lui « qui n’y perdait rien », c’est-à-dire qu’il ne se laisse pas tromper par la feinte douceur.

La couleur noire et même les « points de phosphore » pour désigner les yeux confirment cette impression « diabolique ». D’ailleurs, en dépit de leurs armes, la femme et la chatte ne se combattent pas. Le pacte est évident parce qu’elles sont placées sous le même signe.

Remarquons enfin comment Verlaine joue sur l’identité entre les deux êtres. Le deuxième quatrain se rattache à la femme, le tercet suivant à la chatte. Mais lorsque l’on suit strictement l’ordre de la lecture, le premier vers « Elle cachait… » pourrait bien s’attacher au félin. Et même une écriture poétique inverse facilement l’ordre des références (femme et chatte).

Deuxième partie : elles inspirent une même séduction

1. Par la description d’abord

Le contraste du noir et du blanc fait ressortir chacun des deux tons. Le chiasme du troisième vers y contribue fortement avec le rappel au vers suivant de l’ombre.

Tout semble éclatant : « brillaient », et surtout « phosphore » terminent le poème.

Ces notations visuelles ont leur équivalent dans le son : « tintait » évoque un son quelque peu métallique mais clair. De même « sonore » participe à cet éclat.

2. Attirance aussi par la joie

Le premier quatrain suggère le jeu, la légèreté, l’innocence.

Cette impression se confirme à la fin avec l’adjectif « aérien » et le rire quelque peu enfantin.

3. La douceur

Même si elle est feinte, elle est sensible au poète.

« Les mitaines », l’expression « faisait la sucrée », illustrent cette notion.

4. L’identité parfaite

L’identité est parfaite comme le prouve la répétition au même vers de l’adjectif « blanche » ou l’adverbe « aussi ».

La seule inégalité se trouve dans le premier vers où la femme est sujet et domine donc l’action, alors que l’animal peut se comprendre comme complément d’accompagnement ou même de moyen.

Conclusion

Il serait intéressant, après avoir repris les principaux points de la description, de s’interroger sur l’attitude du poète.

Nous avons vu qu’il était à la fois effrayé et séduit. Mais si les créatures sont trompeuses, il faut reconnaître que Verlaine ne se laisse guère duper. L’exclamation « la scélérate », ou le vers « L’autre aussi faisait la sucrée » montrent bien que le poète domine bien le spectacle et en est même amusé.

Ainsi l’admiration « c’était merveille » s’applique aussi bien à la séduction qu’au mélange d’innocence et de rouerie.

Dès lors la traîtrise de la femme et de l’animal semble quelque peu naïve. C’est donc le poète qui, jouissant de cette description, apparaît comme étrange et double.

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