Paul Verlaine

Verlaine, Jadis et Naguère, Vendanges

Poème étudié

Les choses qui chantent dans la tête
Alors que la mémoire est absente,
Écoutez, c’est notre sang qui chante…
O musique lointaine et discrète !
Écoutez ! C’est notre sang qui pleure
Alors que notre âme s’est enfuie,
D’une voix jusqu’alors inouïe
Et qui va se taire tout à l’heure.
Frère du sang de la vigne rose,
Frère du vin de la veine noire,
O vin, ô sang, c’est l’apothéose !
Chantez, pleurez ! Chassez la mémoire
Et chassez l’âme, et jusqu’aux ténèbres
Magnétisez nos pauvres vertèbres.

Verlaine, Jadis et Naguère

Synthèse

On assiste, dans ce poème, à un combat contre la mémoire.

I. Vivre l’instant présent

a. La vie avec deux thèmes : bonheur (chanter) / malheur (pleurer). Dès le premier examen, on remarque que les contraires coexistent.

b. Vivre l’instant présent : être à l’écoute de son propre corps, représenté ici par la tête, le sang, les vertèbres. Première ligne : tête ; dernière ligne : vertèbre. Le sang est, dans l’imaginaire du poète, lié au vin.

c. Résultat du cheminement annoncé : apothéose, autre forme de l’ivresse, et cela par l’intermédiaire du sang. Cette ivresse est décrite en termes religieux et d’autre part, à l’aide de connotations musicales (ex : apothéose, chanter x 3, musique, voix, écouter x 2, se taire)

II. A la recherche de l’oubli

a. Cette recherche de l’oubli se fait sous le signe de l’intensité de la volonté du poète. Cela se voit dans la structure même du poème, structure apparemment circulaire (retour au début) mais, en fait, il y a eu transformation et non retour (apothéose).

b. Cette intensité est mise au service de l’oubli, la perte de la mémoire, de sa propre identité.

c. Le point d’aboutissement est l’apothéose, état très ambiguë, divin, d’ivresse divine mais perte de son être profond, de son identité, de son âme. Ce sentiment est présent tout le long du poème, les contraires (vin et sang, par exemple) deviennent frères.

Ce poème est issu du recueil Jadis et Naguère, 1885, date à laquelle le divorce entre Verlaine et sa femme est prononcé. Il se livre à des semaines de vagabondage et fait même sept semaines de prison. C‘est un recueil de poèmes écrits à diverses périodes et très structuré. « Jadis » et « naguère » sont deux termes synonymes.

A Georges Rall : directeur d’une revue littéraire (Lutèce)

Ce poème figurait déjà dans un autre recueil de Verlaine, sous le titre « Automne ».

Automne : feuilles mortes, mélancolie, fin de l’été

Vendanges : vivant, travail humain, vin, fête

Deux connotations différentes : mélancolie/vie (automne/vendanges)

Le poème est composé de deux quatrains et deux tercets en hendécasyllabes (neuf syllabes).

1er quatrain : rimes embrassées, suffisantes
2ème quatrain : rimes embrassées, riches et pauvres

Tercets : 2 rimes croisées et une plate, suffisantes et riches

Les choses qui chantent dans la tête ne sont pas les souvenirs car la mémoire est absente.

Choses : vague

Qui chantent : personnification des choses, voix harmonieuse, elles chantent comme le poète, connotation positive de joie

Dans la tête : physique, corps

Le deuxième vers nous interdit d’interpréter ces choses comme des souvenirs.

Alors que : contraste, opposition

Absente : absence de ce qui fait que le passé peut être présent, la joie est présente lorsque la mémoire est absente, la mémoire est négative

Les deux premiers vers laissent une phrase en suspend.

Écoutez : impératif destiné au lecteur, qui écoute le poème

C’est notre sang qui chante : explication du premier vers

Notre : le lecteur est inclus dans le poème

C’est : met en valeur le sang

Le sang qui chante : personnification

Chantent, absente, chante,… : « ente »

… : taisons-nous, silence, la musique est lointaine et discrète

Musique : chante

O : invocation, lyrisme

Lointaine, discrète : ne s’impose pas

Écoutez : répétition, anaphore (répétition en début de vers ou phrase)

Pleure : évolution depuis le vers 3 (chanter/pleurer)

Alors que : anaphore, parallélisme de construction entre les vers 2 et 6

S’est enfuie : peut-être que l’âme est absente et la mémoire s’est enfuie

Âme : connotation morale, esprit, conscience

S’enfuir : départ volontaire

Voix : voix du sang

Inouïe : que l’on n’a jamais entendu jusqu’alors

Et qui va se taire : urgence à l’écouter, personnification du sang, mourir, évolution (chanter/pleurer/se taire)

1ère strophe : tonalité positive (chante, musique)
2ème strophe : tonalité négative (pleurer, s’enfuir, se taire)

Il y a une volonté de ne pas se souvenir.

Tout à l’heure : futur

Le passé et le futur sont connotés négativement, il reste donc le présent.

C’est : seul verbe, verbe d’état (substantifs et adjectifs)

Parallélisme entre les vers 9 et 10 : choses semblables (frère du, de la, adjectif, couleur, etc.…)

Vin et sang : frères jumeaux, tous deux liquides rouges, les deux peuvent être associés à la vie

Rouge : violence

Sang : veine noire

Vin : veine rose

Frère… : anaphore

O vin, ô sang : récapitulation des vers 9 et 10

C’est : le vin et le sang

Théos : Dieu

Apothéose : la déification des empereurs romains après leur mort (sens ancien)

Sens commun : glorification, triomphe, apogée

Cette troisième strophe est religieusement connotée (communion entre le vin et le sang, vin et sang du Christ).

C’est l’apothéose : c’est le summum, le point culminant (du chant dans la tête)

Chantez, pleurez : reprise à l’impératif des verbes déjà cités, s’adresse aux choses qui chantent dans la tête, le sang

L’ivresse est permise par l’absence de l’âme, seul le corps est présent.

Chassez : 3e impératif, verbe d’action, action volontariste

Il y a une identité entre la mémoire et l’homme.

Vertèbres : os, terme étrange dans un poème, dernière partie du corps en décomposition

Pauvres : pauvre de nous, les vertèbres

Magnétisez : aimantez, champ magnétique, faire bouger nos pauvres vertèbres

Jusqu’aux ténèbres : jusqu’à la mort

Opposition : éloigner l’âme/ramener le corps

 

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