Stéphane Mallarmé

Mallarmé, Poésies, Renouveau

Poésie étudié

Le printemps maladif a chassé tristement
L’hiver, saison de l’art serein, l’hiver lucide,
Et, dans mon être à qui le sang morne préside
L’impuissance s’étire en un long bâillement.
Des crépuscules blancs tiédissent sous mon crâne
Qu’un cercle de fer serre ainsi qu’un vieux tombeau
Et triste, j’erre après un rêve vague et beau,
Par les champs où la sève immense se pavane.
Puis je tombe énervé de parfums d’arbres, las,
Et creusant de ma face une fosse à mon rêve,
Mordant la terre chaude où poussent les lilas,
J’attends en m’abîmant que mon ennui s’élève…
– Cependant l’Azur rit sur la haie et l’éveil
De tant d’oiseaux en fleur gazouillant au soleil.

Mallarmé, Poésies

Introduction

Stéphane Mallarmé (1842-1898) publie en 1866 des poésies fortement marquées par l’influence de Baudelaire et d’Edgar Poe.

Baudelaire exerça une influence considérable sur les poètes symbolistes. Ils vénérèrent en lui le poète des « correspondances » qui, derrière la réalité, saisissait le monde des idées et qui, par la musique des mots et des phrases, traduisait le sens mystérieux de l’univers. Ils reprirent aussi un des thèmes baudelairiens les plus marquants : le spleen.

Ainsi Mallarmé, dans le sonnet « Renouveau », évoque l’arrivée du printemps en montrant l’influence que la nature exerce sur son état d’âme, en décrivant un univers richement sensoriel et en transfigurant le printemps en un symbole de l’impuissance.

I. La Nature et le poète

1. La succession des saisons

Le sonnet débute par le triomphe du « printemps » sur « l’hiver » : le changement a eu lieu comme le montre le passé composé « a chassé ».

Les noms indiquant les saisons sont placés en tête des deux premiers alexandrins (le second en rejet) et mettent ainsi en parallèle les deux ennemis.

La chute du sonnet, mise en valeur par un tiret et constituant une sorte de distique, contient le triomphe du printemps : « l’Azur rit ».

2. L’état d’âme maladif du poète

Les vers 3 à 6 décrivent l’influence de la nature printanière sur le poète : son état d’âme se résume dans les vers : « L’impuissance s’étire en un long bâillement ».

Le s nombreuses voyelles nasales en [en] , [in], [on] par leur tonalité assourdie et le mot « bâillement », qui est une harmonie imitative de l’action évoquée, traduisent l’ennui.

Ensuite le poète essaie de lutter contre cet abattement : il « erre après un rêve vague et beau », mais il échoue : il « tombe ».

Il ne peut que constater sa passivité : « J’attends […] que mon ennui s’élève… » ; les points de suspension suggérer que l’attente ne sera pas suivie d’effet.

II. Un univers richement sensoriel

1. L’agressivité du printemps

Le printemps agresse la sensibilité du poète ; toutes les sensations de celui-ci sont concernées : visuelles (« l’Azur » et le « soleil » qui encadrent les deux derniers vers), auditives (« oiseaux […] gazouillant »), olfactives (« parfums d’arbres ») et tactiles (« la terre chaude »).

Deux verbes résument cette agressivité sensorielle : « se pavane » et « rit ».

Le premier, qui connote un triomphe provoquant du printemps, est mis en valeur par sa position à la rime finale du deuxième quatrain, par les allitérations de consonnes sifflantes et par le ryhtme (« Par les champs (3) où la sève (3), immen(2) –se se pavane (4) » qui allonge la dernière mesure à partir du redoublement de la syllabe « se ».

Quant au verbe monosyllabique « rit », il se détache après la césure et est suivi d’une véritable cacophonie, provoquée par trois hiatus successifs « la haie et » : le poète est moqué par les bruits des oiseaux.

2. Une crise pathologique

Le printemps déclenche en Mallarmé une crise qui ressemble fort aux états de spleen décrits par Baudelaire.

Cette crise est d’abord physiologique : le poète, au « sang morne », est en proie à un « long bâillement ». Il est ensuite victime d’une hallucination, mise en valeur par la répétition d’une syllabe (« cer » et « serre ») qui, de plus, rime avec « fer » : il évoque dans une comparaison son « crâne/ Qu’un cercle de fer serre ainsi qu’un vieux tombeau ».

On pense au poème « Spleen » de Baudelaire qui commence par « Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle… » où l’on trouve la même sensation hallucinée de torture mentale par compression du cerveau.

Puis Mallarmé adopte des attitudes autodestructrices. On a l’impression qu’il veut mettre fin à une sorte de mort vivante (le monosyllabe « las » se détache à la rime) en se donnant réellement la mort par un enfoncement dans la terre (dans la « fosse » mortuaire).

C’est ce que traduisent les participes présents, connotant l’effort (« creusant », « Mordant ») et le gérondif (« en m’abîmant »).

III. Le symbolisme des saisons

1. L’hiver et le printemps

L’hiver est symbolisé dans le deuxième vers : il est la « saison de l’art serein ».

Il est personnifié comme « l’hiver lucide ».

Il favorise donc la réflexion et la création poétique par la tranquillité qu’il procure.

Dans un retournement des visions stéréotypées des saisons, le printemps, retour de vie, de la « sève », est synonyme de maladie du corps « énervé » et de l’esprit victime de l’ « ennui ».

Dans cette optique, le passage de l’hiver au printemps est ressenti « tristement » par un poète « triste » et le titre du sonnet « Renouveau » doit être compris (en raison de l’antiphrase) sur le mode de l’ironie.

En effet, Mallarmé ne connaît pas un regain d’activité mais une mort : son « crâne » est un « vieux tombeau ».

2. L’impuissance poétique

Mallarmé est victime au printemps d’une crise d’inspiration.

Il a le souvenir ou le désir d’ « un rêve vague et beau », mais il est gêné dans la panne d’inspiration deviennent sources de création.

On peut remarquer que le poème n’est pas écrit au passé, ce qui lui donnerait un aspect anecdotique en relatant une crise momentanée, mais au présent comme si la littérature ne pouvait dire que sa propre impossibilité.

Conclusion

En conclusion, nous avons vu que Mallarmé, dans « Renouveau », se montre disciple de Baudelaire.

En effet, il évoque un état physiologique et mental de spleen.

Il est original par la destruction des clichés attribués aux saisons et par le thème de l’impuissance poétique.

Il continuera, après « Renouveau », à développer ce thème, mais il le fera de manière moins classique sur le plan formel en choisissant l’hermétisme.

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