Girard de Saint-Amant

Saint-Amant, Poésies, L’Automne des Canaries

Poème étudié

Voici les seuls coteaux, voici les seuls vallons
Où Bacchus et Pomone ont établi leur gloire ;
Jamais le riche honneur de ce beau territoire
Ne ressentit l’effort des rudes aquilons.
Les figues, les muscats, les pêches, les melons
Y couronnent ce dieu qui se délecte à boire ;
Et les nobles palmiers, sacrés à la victoire,
S’y courbent sous des fruits qu’au miel nous égalons.
Les cannes au doux suc, non dans les marécages
Mais sur des flancs de roches, y forment des bocages
Dont l’or plein d’ambroisie éclate et monte aux cieux.
L’orange en même jour y mûrit et boutonne,
Et durant tous les mois on peut voir en ces lieux
Le printemps et l’été confondus en l’automne.

SAINT-AMANT (1594-1661), Poésies

Introduction

Marc-Antoine Girard de Saint-Amant (né à Quevilly le 39 septembre 1594 et décédé le 29 décembre 1661) est un poète libertin français converti au protestantisme.

Ce poète original est considéré comme l’un des esprits les plus modernes de son siècle. Il inaugura le style qualifié de « burlesque ». Le succès obtenu par son ode sur la Solitude rédigée en 1619 fut tel qu’elle fut imitée, imprimée et traduite. Le reste de son œuvre se démarque clairement de la tradition académique.

Ce poète sombrera dans l’oubli après 1650 dès lors que triompha le goût classique. On le redécouvrira au XIXème siècle. On peut le rattacher au courant littéraire du baroque. En effet, le vocabulaire, le rythme et les images de ses poésies comme « les Saisons et les Visions » brillent d’un éclat baroque.

Ce grand voyageur parlant plusieurs langues vivantes est issu d’une famille de marchands protestants. Il visita plusieurs pays d’Europe, l’Amérique du Nord, le Sénégal, les Indes.

C’est sans doute l’un de ses voyages qui lui inspira ce sonnet intitulé « L’automne aux Canaries ». Sous la forme d’un sonnet régulier en alexandrins, le poète témoigne son admiration pour la splendeur de cet automne tropical.

I. L’évocation d’automne tropical

1. Un climat exceptionnel

Ce sonnet a sans doute été inspiré à Saint-Amant par l’un de ses voyages aux Iles Canaries.

Le poète cherche à sensibiliser le lecteur au caractère exceptionnel de l’automne tropical à travers l’emploi de l’hyperbole : « Et durant tous les mois ».

En outre les Canaries semblent échapper à l’écoulement du temps et au passage des saisons. En effet, « on peut voir en ces lieux / Le printemps et l’été confondus en l’automne. » Le printemps, symbole du renouveau, est associé à l’été, symbole de la fertilité. De la sorte, le poète souligne ainsi le climat exceptionnel dont jouissent les insulaires.

L’hiver semble totalement absent de ces contrées comme le suggère l’hyperbole (« jamais ») et de la personnification (« ne ressentit ») des vers 3-4 : « Jamais […] ce beau territoire / Ne ressentit l’effort des rudes aquilons. ». L’aquilon, vent froid du Nord, ne souffle jamais en ces lieux.

2. Une terre bénie des Dieux

La splendeur du climat est associée à deux dieux qui ont établi en ces lieux « leur gloire » : « Bacchus » est le nom latin de Dionysos dieu du vin et de la vigne et de la végétation féconde.

Saint-Amant évoque encore la présence de Bacchus à travers la périphrase du vers 6 : « ce dieu qui se délecte à boire ».

« Pomone » quant à elle est une divinité romaine des fruits et des arbres fruitiers.

La nature toute entière semble déployer ses efforts pour rendre hommage aux dieux Bacchus et Pomone. Les fruits personnifiés « y couronnent ce dieu » (vers 6), les « palmiers […] s’y courbent », comme si la nature cherchait à vénérer les dieux habitant ces terres fertiles.

De même, « l’or », symbole de richesse et de fortune permet au poète de valoriser la fertilité de cette île. L’or peut aussi être associé au soleil, source de fertilité, en raison de son éclat et de sa puissance aux Canaries.

Saint Amant recourt à une hyperbole « l’or plein d’ambroisie éclate » : l’ambroisie, terme rare, désigne dans la mythologie la nourriture des dieux de l’Olympe. L’ambroisie est un nectar réservé aux dieux et est source d’immortalité.

Enfin, l’emploi de la personnification « monte aux cieux » suggère que la splendeur de l’automne des Canaries est associée à la beauté des cieux, de l’Olympe où vivent les dieux.

Ainsi, tout concourt dans ce sonnet à présenter l’automne des Canaries comme une saison hors pair.

II. Une nature luxuriante

1. Des lieux d’élection

Le poète présente les Canaries comme un lieu unique.

C’est pourquoi il ouvre son sonnet par un parallélisme : « Voici les seuls coteaux, voici les seuls vallons ». Le parallélisme renforcé par la répétition de l’adjectif « seuls » le spectacle unique qui s’offre aux yeux du voyageur.

De plus, l’emploi récurrent de la préposition « voici » permet d’introduire, de désigner les lieux caractéristiques dont il va être question dans le sonnet.

Les « coteaux » désignent de petites collines où l’on cultive souvent la vigne en raison de leur ensoleillement. Les vignes sont associées dans ce sonnet à « Bacchus », dieu du vin et de la vigne.

Les « vallons » quant à eaux désignent une petite dépression allongée entre deux collines, deux coteaux. En raison de leur accessibilité, on s’en sert pour « cultiver » la terre. Dans ce sonnet, les vallons sont associés à « Pomone », divinité romaine des fruits et des arbres fruitiers.

2. La fertilité de la nature

Le poète suggère la fertilité de la nature dès le vers 5 par l’emploi d’une gradation : « Les figues, les muscats, les pêches, les melons ». Les fruits, présents en abondance, sont évoqués par ordre de grandeur du plus petit au plus grand.

De même, les « nobles palmiers », personnifiés, croulent sous le poids « des fruits » si murs que par le biais d’une comparaison le poète les associe au « miel »: « des fruits qu’au miel nous égalons ».

La luxuriance de la nature exotique transparaît aussi à travers l’évocation de la culture de la canne à sucre : « Les cannes au doux suc ». Le climat est si propice à leur culture que les cannes à sucre « y forment des bocages ». Ici le mot « bocages » désigne de petits bois ombragés.

En ces terres fertiles, les saisons n’existent plus. L’été et le printemps s’épousent comme le souligne l’antithèse: « L’orange en même jour y mûrit et boutonne ».

Le verbe « mûrit » est associé à l’été saison de la maturation des fruits alors que le verbe « boutonne » est le symbole de l’éclosion de la nature au printemps.

Conclusion

A travers ce sonnet régulier, Saint-Amant cherche à communiquer son enthousiasme face à la splendeur de « l’automne des Canaries ».

Le poète est non seulement sensible à la beauté des lieux. Le climat tropical rend ces terres fertiles dignes d’être habitée par les dieux.

Ce sonnet régulier, nourri de références mythologiques. Les dieux, l’Olympe, le nectar sont associés à la profusion de la nature.

Il s’agit bien d’un sonnet apparenté à l’esthétique baroque du XVIIème siècle. Opposée au classicisme, elle laisse libre cours, comme le fait ici le poète, à la sensibilité et à la fantaisie.

Du même auteur Saint-Amant, Chimères Saint-Amant, Le Paresseux

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