Madame de Sévigné

Sévigné, La Lettre du 26 Avril 1671

Objectif

Étudier l’art du récit épistolaire.

– Explication des termes difficiles :

l.8 « où l’on ne s’était point attendu » : que l’on n’avait pas prévus.

l.13 « vingt-cinquièmes » : tables où prennent place les invités moins titrés.

l.47 Liancourt : La famille de la femme de La Rochefoucauld y possédait un château.

l.50 M. d’Hacqueville : conseiller du roi, ami de madame de Sévigné.

Repères biographiques sur Vatel : Né en juin 1631, le 14, Vatel va avoir quarante ans dans un mois et demi quand il se tue en se précipitant sur son épée, le 24 avril 1671. Vatel a brutalement interrompu son exceptionnelle réussite sociale par un suicide inattendu. Voilà de quoi émouvoir les foules. Mais s’il ne s’était pas suicidé, Mme de Sévigné n’aurait jamais parlé de lui et on aurait oublié jusqu’à son nom. Par sa mort, il est devenu un personnage.

Introduction

La correspondance échangée au XVIIe siècle entre Madame de Sévigné et sa fille Madame de Grignan témoigne d’une tendresse maternelle particulière mais aussi d’un style classique qui rapporte avec retenue les événements de la Cour. Le suicide de Vatel, intendant de la maison du Prince de Condé à Chantilly, est raconté dans la lettre du 26 avril 1671. Nous verrons par quelles techniques narratives la marquise de Sévigné parvient à insuffler du dynamisme à cet épisode, puis comment s’établit une hiérarchisation des personnages dans cette lettre.

I. Les techniques narratives

Le récit passe au présent pour donner du relief aux événements qui vont déclencher le drame : « la nuit vient » et « le feu d’artifice ne réussit pas » l.19. C’est peut-être pour maintenir le contraste avec les temps du dialogue direct que la narratrice revient ensuite aux temps du passé l.22-23. Plus loin, le présent désigne ce qui fait avancer l’action (l.24 « attend » et l.25 « ne viennent point » et « croit »), alors que l’imparfait met en retrait un commentaire explicatif l.25 « sa tête s’échauffait » (cf. aussi les passés des l.19-20 « fut couvert » et « coûtait »). Ainsi, l’épisode de la mort est conté au présent (l.29-31, renforcé par une Gradation l.29-30 « monte à sa chambre, met son épée contre la porte, et se la passe au travers du cœur » qui montre la détermination de Vatel) mais le commentaire est donné au passé (l.30-31), ce qui donne toute sa force dramatique à l’issue fatale l.31 « il tombe mort ». La chute est marquée par une accélération du rythme : l.32-35 (brièveté des phrases, Rythme ternaire l.31-33 : « la marée cependant arrive de tous côtés. On cherche Vatel pour la distribuer. On va à sa chambre. » et nouvelle gradation l.33-34 « on heurte, on enfonce la porte, on le trouve noyé dans son sang. »

Ces variations, facilitées par l’ambiguïté de la forme « dit », donnent une grande intensité aux moments forts du récit. Il s’agit d’une SCÈNE, dont le dynamisme est assuré par des dialogues contribuant à donner de la vie à la narration puisqu’ils font entendre directement les personnages au moment où les actions se produisent. Les propos rapportés indirectement sont d’abord ceux de Gourville l.14 « Gourville le dit à Monsieur le Prince » et l.28 « Gourville se moqua de lui », puis tous ceux qui réagissent à la mort du malheureux l.36-42. Ces propos insistent sur le caractère pathétique, voire tragique (cf. l.31-32 « la marée cependant arrive de tous côtés » : fatalité du destin qui se joue de l’homme) des derniers instants de Vatel.

En revanche, sont rapportées directement les paroles qui montrent l’angoisse grandissante de Vatel et qui peuvent contribuer à expliquer son geste : le premier échange avec Gourville l.9-11 révèle sa conscience professionnelle et son extrême fatigue. Le dialogue avec le Prince montre les scrupules de Vatel qui se tourmente pour « deux tables » mal servies l.17. La narratrice déjà avant (l.8) a excusé cet incident évidemment mineur. Enfin l’ultime échange avec le petit pourvoyeur l.23 renforce le registre pathétique.

Ainsi l’alternance entre style indirect et style direct permet, comme l’alternance des temps du discours et des temps du récit, de mettre en lumière les paroles les plus décisives ou les plus significatives.

On remarque en outre trois paragraphes : le 1er et le 3ème sont d’égale importance tandis que le 2ème, qui constitue le récit de la mort de Vatel, est très développé. Le 1er paragraphe donne en fait des précisions sur la situation d’Enonciation (cf. rappel de la date l.1 et de sa précédente lettre) : il s’agit d’un récit rapporté, à destination de Mme de Grignan l.2-3 qui est tenue éloignée de la vie de Cour (Jeu entre le JE et le VOUS). Le 2ème paragraphe raconte le suicide de Vatel et la poursuite des festivités : des effets dramatiques sont obtenus par l’opposition entre les scènes de fête où évoluent les personnages prestigieux (Accumulations : l.5-7 et 44-45 ; Hyperboles : l.45-46). Le 3ème paragraphe apporte de nouvelles précisions sur la situation d’énonciation : on remarque le souci qu’a la narratrice de s’en tenir à la version de Moreuil, sans doute car ce récit est la version officielle de la Cour. Le beau récit de Mme de Sévigné, qui n’a rien vu, rien su directement, qu’elle retranscrit à partir de ce qu’on est venu lui raconter, a toutes les chances d’être le reflet d’une version officielle des faits, à la fois destinée à éviter tout scandale et à glorifier davantage les festivités en l’honneur des hauts personnages de la Cour.

II. La hiérarchisation des personnages

Les principaux acteurs de la scène se répartissent en trois groupes :

les grands personnages du royaume sont désignés par leur titre : le roi qui est l’invité de Monsieur le Prince et son fils Monsieur le Duc. La solennité des festivités est mise en évidence, notamment par la présence du souverain, dont la figure ouvre l.5 et ferme l.47-48 le récit.

les roturiers qui occupent des charges dans la maison du prince de Condé sont indiqués par leur nom de famille : Vatel et Gourville qui lui succèdera ; un second rôle est tenu par « un petit pourvoyeur ».

tous les autres personnages sont noyés dans l’indéfini « on » (l.7, 8, 32-34, 37-38, 44-45), qui fait masse et qui sert à suggérer les mouvements de foule, les rumeurs des courtisans.

Ainsi sont clairement distingués les plans du tableau : au premier plan s’agitent Vatel et Gourville tandis qu’au second plan dominent les figures du roi et du prince ; à l’horizon, l’agitation anonyme de la foule.

Quant au suicide de Vatel, à peine mentionné dans les journaux du temps, il n’est pas encore clairement expliqué. La marquise explique son geste par la conscience professionnelle poussée à son paroxysme (l.27-28 « j’ai de l’honneur et de la réputation à perdre » ; l.37-38 « de l’honneur en sa manière »). Un tel sens de la gloire peut sembler extraordinaire dans la mesure où quelques tables seulement avaient été mal servies et qu’elles avaient dû être improvisées à la dernière minute l.7-8 et 13. La narratrice insiste donc sur le surmenage qui accablait Vatel l.10-11 (nouvelle hyperbole) ; elle note l’échec du feu d’artifice et son coût l.19-20, puis elle fait de la réponse du petit pourvoyeur l.23 l’incident qui déclenche l’affolement fatal l.25 « sa tête s’échauffait ». La marquise distingue donc le sens de l’honneur d’un roturier « en sa manière » (nuance révélatrice de la classe sociale de la narratrice) de l’honneur réservé à ceux qui se sont si bien régalés. D’ailleurs le zèle de Vatel est aussi bien admiré (l.38 « on le loua fort ») que critiqué (l.38 « on loua et blâma son courage »), sans doute pour des raisons religieuses. [Le curé de Saint-Léonard, paroisse du suicidé, refusa le corps. On l’enterra sans cérémonie au cimetière de la paroisse de Saint-Firmin, dont le curé n’omit pas de mentionner sur son registre qu’il avait agi par l’ordre que lui en ont apporté les officiers du prince de Condé. En principe, on n’admettait pas les suicidés en terre sainte.]

Si le prince pleure, ce sont les larmes d’un maître qui se voit privé d’un bon domestique pour un voyage important : il devait se rendre aux états généraux de Bourgogne l.35-36. Le roi quant à lui donne un sens politique à cet incident dramatique en proposant de régler autrement les réceptions du prince l.40-43. Il en profite pour expliquer aussi pourquoi il a tant tardé à venir honorer Chantilly l.38-40 : il redoutait cette démesure dans l’accueil. Néanmoins la narratrice s’apitoie sur Vatel l.43, tout en montrant la poursuite des festivités, plus brillantes que jamais l.43-48.

Conclusion

Ainsi les procédés utilisés par la marquise de Sévigné comme les rôles des protagonistes confèrent à ce récit beaucoup de dynamisme. L’intérêt de ce texte vient du fait qu’il constitue à la fois un document sur la société du XVII° siècle, un fait divers dramatique et un récit vivant qui ressuscite le temps passé.

Du même auteur Sévigné, Lettres, Lettre du 1er Décembre 1664

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