Stéphane Mallarmé

Mallarmé, Poésies, Brise Marine

Poème étudié

La chair est triste, hélas ! et j’ai lu tous les livres.
Fuir ! là-bas fuir ! Je sens que des oiseaux sont ivres
D’être parmi l’écume inconnue et les cieux !
Rien, ni les vieux jardins reflétés par les yeux
Ne retiendra ce cœur qui dans la mer se trempe
O nuits ! ni la clarté déserte de ma lampe
Sur le vide papier que la blancheur défend
Et ni la jeune femme allaitant son enfant.
Je partirai ! Steamer balançant ta mâture,
Lève l’ancre pour une exotique nature !
Un Ennui, désolé par les cruels espoirs,
Croit encore à l’adieu suprême des mouchoirs !
Et, peut-être, les mâts, invitant les orages
Sont-ils de ceux qu’un vent penche sur les naufrages
Perdus, sans mâts, sans mâts, ni fertiles îlots…
Mais, ô mon cœur, entends le chant des matelots !

Mallarmé, Poésies

Introduction

Stéphane Mallarmé, poète symboliste du XIXème siècle, rêve de donner au langage le pouvoir d’exprimer une idée pure. Selon le poète, l’écriture poétique est une manipulation de signes. Ainsi, comme ceux de Rimbaud et de Verlaine, ses premiers poèmes sont marqués par l’influence de Baudelaire qui consacre sa vie à une quête de l’idéal.
On retrouve d’ailleurs cet accent baudelairien dans le poème Brise marine, issu du recueil Poésies, où le thème de la fugue poétique est présent tout au long du texte.

Problématique : Comment Mallarmé parvient-il à mêler les thèmes du voyage et de l’expérience poétique ?

I. La recherche d’un ailleurs

Notons tout d’abord que cette recherche d’un « ailleurs » est bien entendu influencée par Baudelaire. Mallarmé recherche l’idéal à travers le voyage ce qui est implicitement affirmé au vers 10 : « Lève l’ancre pour une exotique nature ». En effet, l’exotisme est perçu comme étrange lointain ce qui stimule l’imaginaire du lecteur comme celui de l’auteur. Ainsi, Mallarmé présente un « ailleurs » attrayant qui exalte son envie de voyager, comme l’illustre le vers 2 : « Fuir ! Là-bas fuir ! ». La répétition du verbe « fuir » met en évidence un désir inopiné de quitter le monde dans lequel il vit ce qui renforce l’idée de mal-être de ce poète maudit. De plus, l’expression « là-bas » est reprise par l’adjectif « exotique », vers 10. Nous pouvons donc penser que le poète n’a qu’une vague vision de cet idéal. Son idéal s’appuie sur le ciel et la mer qui rendent le lieu paradisiaque. En effet le champ lexical de la mer est omniprésent : vers 3 « l’écume », vers 16 « matelots », vers 10 « l’ancre », vers 13 et 15 « les mâts », vers 14 « vent » et « naufrages », vers 16 « matelots ». Grâce à ce champ lexical, l’auteur nous informe qu’il est à la recherche d’un dépaysement. De plus dès le début du poème, Mallarmé identifie ses sentiments à un oiseau : « je sens que des oiseaux sont ivres ». Notons que ces oiseaux sont avant tout un symbole de liberté. Ainsi on retrouve donc la thématique de la fuite. En effet, le poète souhaite s’envoler vers la liberté. De plus, à travers l’adjectif « ivre », l’auteur affirme implicitement que la liberté exalterait ses sentiments. On peut donc penser que l’auteur trouve cette ivresse à travers l’écriture poétique car on trouve dans la poésie une certaine liberté de langage ; l’auteur est en quelque sorte transporté vers un idéal qui exalte ses sentiments. Cependant, lorsque Mallarmé se résigne à partir, il entend un appel de la mer qui apparaît au vers 16 « Mais, ô mon cœur, entends le chant des matelots ! ». De plus, ce « chant » n’est pas sans rappeler la musicalité du poème. En effet aux vers 13 et 15, le nom « mâts » est utilisé à trois reprises, ce qui donne un rythme au texte, tout comme l’allitération en [p] vers 13 à 15 : « peut-être », « penche », « perdus ».

II Un ailleurs où disparaîtrait le « spleen »

Le spleen désigne l’ennui, l’état d’angoisse. En effet, comme Baudelaire, Mallarmé est très mélancolique, ce qui se reflète dans ses poèmes. Le désespoir du poète apparaît tout d’abord à travers une allégorie de l’ennui présente au vers 11 « Un Ennui, désolé par les cruels espoirs ». De plus, nous savons que la disparition de sa mère et de sa sœur a provoqué chez lui une hantise de la mort, ainsi que de l’ennui. Ainsi, nous pouvons dire que ses rêves sont brisés par cette hantise, comme en témoigne le verbe « désolé ». A partir du vers 11, nous pouvons penser que Mallarmé redescend sur terre et qu’ainsi, ses hantises reprennent le dessus sur sa vie, ce que nous pouvons voir à travers l’oxymore « cruels espoirs », vers 11. A travers cette figure de style, l’auteur met en avant son état dépressif. L’état d’angoisse apparaît lui avec l’image de la page blanche au vers 7 : « Sur le vide papier que la blancheur défend ». Nous pouvons donc penser que cet ailleurs où veut fuir Mallarmé est synonyme pour lui d’inspiration poétique. En effet, ici, le voyage en mer remplit cette page blanche ; cela est renforcé par un chiasme vers 6 et 7 : « la clarté déserte », « le vide… défend » ; au vers 6, la « clarté » s’associe à la « blancheur » du vers 7, puis ces deux noms s’opposent avec l’adjectif « déserte » et le nom « vide ». On retrouve de nouveau le thème du spleen à travers l’utilisation du champ lexical du vide et de l’absence : vers 4 « rien », vers 6 « déserte », vers 7 « blancheur », et vers 15 « perdus ». Mais cependant, lorsque le poète s’évade vers cet ailleurs, il comble le vide comme en témoigne le vers 4 « rien ».

Conclusion

Mallarmé s’échappe à travers ses voyages, qui sont pour lui une inspiration poétique. A travers le voyage, il arrive à nous faire part de ses expériences poétiques. Beaucoup de poètes mêlent la poésie avec leur expérience durant un voyage, comme Baudelaire.

Du même auteur Mallarmé, Le Vierge, Le Vivace et le Bel aujourd'hui... Mallarmé, Poésies, Renouveau

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