Léon Schwartzenberg

Schwartzenberg, Face à la Détresse, La Notion d’Éthique

Texte étudié

La science, cela n’a rien d’éthique, prétendent d’aucuns. Si : la vraie science est toujours éthique. Dans son domaine, tout comportement qui s’écarte si peu que ce soit d’une véritable approche scientifique, de l’approfondissement des connaissances, de la découverte de nouvelles données, est un comportement antiscientifique et, par là même, non éthique. L’éthique définit la spécificité d’un comportement en rapport avec son objet.
L’attitude des médecins nazis dans les camps de concentration était doublement monstrueuse, humainement et scientifiquement : aucune de leurs prétendues « expériences » n’a fait faire le moindre progrès aux connaissances, Ce n’étaient pas des hommes de science, c’étaient des acteurs du génocide.
Lorsque, pendant l’Inquisition, des évêques soumettaient à la question3 des hérétiques, ils se mettaient hors la religion : ce n’étaient pas des prêtres, c’étaient des tortionnaires.
Lorsqu’un praticien assiste dans une prison aux sévices infligés à un détenu ou à une exécution capitale, ce n’est pas un médecin, c’est un valet de bourreau.
Lorsque vous traitez des malades avec des produits qui n’ont fait aucune preuve de leur action thérapeutique, vous n’êtes pas un soignant, vous êtes un charlatan.
Lorsque, pour gagner un tournoi sportif, vous achetez les meilleurs joueurs, que vous ne faites pas jouer mais dont vous empêchez d’autres clubs de profiter, vous ne faites pas du sport, vous faites des affaires.
Lorsque vous détenez une information que vous ne publiez pas ou que vous «arrangez», vous n’êtes pas un journaliste, vous êtes un censeur, un faussaire ou un courtisan.
Lorsque, dans la vie publique, vous vous attachez plus à votre carrière qu’à l’intérêt des citoyens par lesquels et pour lesquels vous avez été élu, vous n’êtes pas un homme politique, vous êtes un imposteur.
Quand on s’écarte du chemin de sa vie, on triche. Chaque métier, chaque type d’activité s’accompagne d’une attitude de rigueur qui lui est propre : c’est sur elle que repose la morale d’une conduite, ou pour reprendre un mot un peu vieux jeu, lui aussi, son honneur.
Nous sommes entrés dans l’ère de la « voyoucratie ». Le petit lascar des rues, déluré et mal élevé, pour lequel on pouvait éprouver de la sympathie, est à présent remplacé par la délinquance en costume trois pièces. La première devise, aujourd’hui : « Pas vu, pas pris ». La deuxième : « Tout est permis », puisque d’autres le font aussi. L’attitude des autres guide la mienne. Quels autres ? Ceux qui s’enrichissent. Ceux qui ont le pouvoir. La morale contemporaine ressemble à une partie de ping-pong : j’ai fait cela ? et toi ? et lui ? Pourquoi pas moi ? Alors, quand dans ce monde où tant d’individus trichent, se lève et marche un être étranger à ces pratiques, il meurt à petit feu ou bien se suicide.

Introduction

L’auteur est né en 1923 à Paris. C’est un cancérologue qui a enseigné dans des hôpitaux très connus. C’est un homme très connu pour ses prises de position en faveur des plus démunis. Il s’est rendu célèbre pour son combat en faveur de l’euthanasie. Il a dit « droit à l’information pour les malades ». Il a écrit deux célèbres ouvrages : Changer la mort, en 1977 et Requiem pour la vie, en 1985. Il a eu quelques responsabilités politiques : 9 jours en tant que ministre délégué de la santé, il a démissionné (car il considérait que l’assemblée nationale avait déformé ses propos sur la toxicomanie). Il a été aussi au parlement européen. Il a oeuvré pour le combat des sans-papiers : droit à l’alimentation. Il est mort à 79 ans.

I. Une argumentation efficace : convaincre

A. Il y a deux thèses en présence

Tout d’abord, il y a la thèse proposée (lignes 1 et 2) : « la vraie science est toujours éthique ». Dans le domaine de la science, il doit toujours y avoir une notion de morale. Il va préciser sa définition de la science (lignes 3 et 6) et préciser le sens du mot « éthique » lignes 6 et 7. Pour la science, c’est un « approfondissement des connaissances » ligne 4 et « l’éthique » ligne 6 est la spécificité d’un comportement en rapport avec son objet. Il est médecin et veut élargir sa réflexion à tout type d’activités professionnelles.

Et la thèse refusée apparaît ligne 1 avant même la thèse de l’auteur. La thèse refusée est : « la science n’a rien d’éthique », cela signifie qu’on n’a pas à se préoccuper de morale dans telle ou telle activité quelconque. On remarque que pour bien mettre en valeur les deux thèses, l’auteur utilise un vocabulaire adapté « éthique », « scientifique » ligne 3, « science » ligne 1, ligne 5 « antiscientifique » et « connaissance » ligne 4, « découverte », « nouvelle donnée » ligne 4 et 5.

B. Les arguments

La base argumentative se situe à la fin du texte à partir de la ligne 32. Il y a un argument pour développer chaque thèse, lignes 32 et 35. C’est parce qu’on a une attitude rigoureuse qu’on peut accéder à une forme de morale. C’est par un comportement rationnel, réfléchi, raisonné qu’on peut atteindre cette valeur morale. Entre la ligne 36 et la fin, l’argument est que parce que la société triche en général, il n’y a pas de raison de se préoccuper d’un problème de morale (quelque soit le métier que l’on exerce). C’est la thèse refusée.

Les deux thèses sont posées au début. Les arguments interviennent à la fin entre beaucoup d’exemples qui permettent de rendre la thèse plus accessible.

II. Un texte virulent sous forme de réquisitoire : persuader

A. Les exemples

A la ligne 32, on trouve « chaque métier, chaque type d’activités » renvoie à tous les exemples qui précèdent. On révèle diverses corporations, trois exemples autour du domaine médical (à rattacher avec la profession de l’auteur), lignes 8, 16, et 21. De plus, il y a le domaine de la religion, du sport ligne 23 avec « joueur », le domaine des médias ligne 26 avec « journaliste », domaine politique à la ligne 30 et 42 avec « ceux […] pouvoir ». Ce sont donc des exemples très diversifiés et il y a des choix différents d’époques qui accentuent la diversité : il y a deux explications historiques (1er et 2ème paragraphe ? nazisme, Moyen-Age, et siècles qui suivent). Il y a une diversité dans les milieux sociaux à la ligne 36 « petit lascar des rues », ligne 38 « délinquance […] pièces ». Presque tous ces exemples commencent par « lorsque », c’est une anaphore qui permet d’accentuer le fait qu’on aborde à chaque fois de nouveaux éléments. Chaque exemple dans sa construction permet d’accentuer le propos : il y a une négation par exemple « ce n’était pas les hommes de sciences » juste après une affirmation contradictoire « c’était » et se termine par une critique très forte ? cf. choix du vocabulaire : « auteurs du génocide » à la ligne 12 qui renvoie à la destruction massive. A la ligne 27, il y a « censure, faussaire, courtisan » qui est une accumulation de termes négatifs + une gradation : « censure, faussaire, courtisan » ? raconte des mensonges, courtisans, hypocrite, flatterie, etc…

B. Les procédés utilisés

Dans les exemples, est utilisé la généralisation. Il y a utilisation de « nous » qui inclut l’auteur et le lecteur, « vous » (ligne 20, 24, 26, 30). Il y a une interpellation du lecteur, c’est une façon de le bouleverser, de le faire réagir. Il y a l’emploi du présent de vérité générale qui permet d’étendre l’accusation.

Il y a des formules figées comme des maximes à la ligne 39 « pas vu pas pris », des formules impersonnelles, elliptiques (droit au but) simples. A tout cela s’ajoute l’emploi du discours direct mais anonyme, et ligne 43 il y a des formules brèves.

La fin du texte est très forte car redoutable. Le thème de la mort est présent à la ligne 45 « meurt à petit feu et se suicide ». Les gens d’exception n’ont pas vraiment leur place dans la société de notre époque. C’est un constat un peu désespéré, qui rehausse la valeur des gens « héros » qui ne se font pas avoir par l’immortalité.

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