Paul Fort

Fort, Ballades Françaises, L’Écureuil

Poème étudié

Écureuil du printemps, écureuil de l’été, qui domines la terre avec vivacité, que penses-tu là-haut de notre humanité ?
– Les hommes sont des fous qui manquent de gaîté.

Écureuil, queue touffue, doré trésor des bois, ornement de la vie et fleur de la nature, juché sur ton pin vert, dis-nous ce que tu vois ?
– La terre qui poudroie sous des pas qui murmurent.

Écureuil voltigeant, frère du pic bavard, cousin du rossignol, ami de la corneille, dis-nous ce que tu vois par-delà nos brouillards ?
– Des lances, des fusils menacer le soleil.

Écureuil, cul à l’air, cursif et curieux, ébouriffant ton col et gloussant un fin rire, dis-nous ce que tu vois sous la rougeur des cieux ?
– Des soldats, des drapeaux qui traversent l’empire.

Écureuil aux yeux vifs, pétillants, noir et beaux, humant la sève d’or, la pomme entre tes pattes, que vois-tu sur la plaine autour de nos hameaux ?
– Monter le lac de sang des hommes qui se battent.

Écureuil de l’automne, écureuil de l’hiver, qui lances vers l’azur, avec tant de gaîté, ces pommes… que vois- tu ?
– Demain tout comme Hier. Les hommes sont des fous et pour l’éternité.

Introduction

Ce petit texte est un poème en prose. Il est tiré des « Ballades Françaises« . Il a été écrit en 1917, moment le plus noir de la Première Guerre mondiale. C’est un texte courageux car l’auteur appelle au pacifisme à un moment où les militaires appellent à la guerre.

I. C’est un texte en apparence frivole, léger et divertissant

Il faut le lire comme un poème car malgré l’apparence, il y a des alexandrins. Cela nous fait penser à La Fontaine car il emploi un écureuil, donc un animal. Mais ici on annonce un message donc ce n’est pas vraiment une morale comme chez La Fontaine. Ici l’écureuil représente la sagesse.

A. A travers le personnage de l’écureuil

C’est un personnage qui n’est pas humain. Donc le lecteur ne s’attend pas à avoir un texte sérieux car le personnage n’a pas une grande stature. Ce personnage peut diminuer la première impression du lecteur.

C’est un personnage de petite taille, donc c’est encore plus frivole. On aurait pris un éléphant… Là c’est petit, mignon. On ne s’attend pas à une morale.

C’est un personnage qui n’a pas de statut symbolique, de dimension, d’histoire. Il n’a rien à voir avec le lion qui est fort ou l’oiseau, symbole d’espoir et de liberté. Donc cela rend le texte frivole en apparence.

B. A travers sa qualité poétique

C’est un texte si joliment écrit qu’on oublie qu’il est porteur d’un message.

Il est constitué de véritables strophes : petits paragraphes composés d’une longue question et d’une réponse. Les 4 alexandrins sont délimités par la rime.

Il y a présence de sonorités : c’est donc un texte poétique.

On relève des rimes internes : à la fin de chaque alexandrin, on a les mêmes sonorités : « été », « vivacité ». Le premier quatrain a une rime commune (AAAA) apportée par les sonorités [te] (té et é).

Le deuxième quatrain :

– B bois ? [wa]
– C nature ? [yr]
– B vois ? [wa]
– C murmurent ? [yr]

Le troisième quatrain :

– D bavard ? [ar]
– E corneille ? [?j]
– D brouillard ? [ar]
– E soleil ? [?j]

Ce sont des rimes suffisantes car elles contiennent 2 sons communs. Par ailleurs, les rimes sont de formes ABAB. Les dispositions sont recherchées : ce sont des rimes croisées. Les 3 premiers quatrains sont en rimes suffisantes, le 4ème et le 5ème le sont également : tous les quatrains ont des rimes suffisantes. Elles sont toutes des rimes croisées à l’exception du 1er quatrain où ce sont des rimes suivies (AAAA).

On relève des allitérations (répétitions de sons consonnes). Il y a récurrence du son [t] dans les 2 premières lignes surtout : « terre », « vivacité » ? allitération en [t].
Allitération en [s] : « cursif », « gloussant ».
Allitération en [k] : ligne 10.
Allitération en [t] : ligne 15.
Allitération en [r] : lignes 4 et 5.

Il a apparemment utilisé certains mots pour leurs sonorités.

On relève des assonances (répétition de sons voyelles) :
Assonances en ou : [u] ? « ébouriffant », « gloussant », « dis-nous », « sous », « rougeur ».
Assonances en [y] : « u ».
Assonances en [i] : ligne 7.
Assonances en [a] : ligne 12.
Assonances en [ã] : « an » (lignes 13-15).

Il faut qu’il y ait au moins 3 sonorités pour donner un effet de style, sinon on pourrait croire que c’est du hasard. Donc là, c’est recherché.

Il y a même un mélange des assonances et des allitérations :
« Écureuil », « cursif », « curieux » ? On a [k] : ke et [y] : u.
« Doré », « trésor des bois », « ornement » => On a [?r] : or.

Des jeux de rythmes : présente de rythmes.

On relève des rythmes binaires : c’est lorsqu’on coupe un hémistiche (= moitié d’un alexandrin) en deux parties.
Exemple : « Écureuil du printemps » / « Écureuil cul à l’air » : hémistiche à 2 rythmes binaires.

Des rythmes alternés : « Humant la sève d’or la pomme entre tes pattes ».

Le rythme croissant : « Qui lance vers l’azur avec tant de gaîté ».

Le texte a été écrit avec tant d’habilité, de talents, qu’on fait plus attention à la forme qu’au fond qui est le message qu’il renferme.

Pourquoi ce texte est-il frivole, divertissant ?

C. Par sa composition

C’est un texte qui est constitué de petites unités. Cela fait 3 lignes, ce qui fait environ 2 phrases par strophe. Le passage à lire est si court, si bref, qu’on n’a pas le temps de s’ennuyer. On a l’impression que c’est léger et qu’il n’y a pas de messages. La pensée n’est pas développée, donc on ne réfléchit pas. On passe vite d’un sujet à un autre.

Il y a une structure cyclique : on a l’impression que tous les paragraphes sont faits de la même façon : une répétition, ou la présence en anaphore de l’écureuil, suivi de sa caractérisation, suivi de la question et enfin de la réponse. On a l’impression d’un refrain : l’apparence d’une chanson avec un refrain, ce qui divertit : c’est léger.

Le choix du dialogue : le dialogue allège ce qui aurait pu être une longue description, ou un message et donc trompe le lecteur car cela donne un caractère léger au texte.

D. Parce que le héros est un personnage joyeux

Il est décrit comme un être joyeux : « gaîté » : il est gai ; « gloussant un fin rire ». Donc il rit, il glousse et en plus, il est lié au « rossignol » qui lui-même est lié au chant, à la joie.

Cette gaîté est exprimée par un vocabulaire de mouvement : il y a des verbes et des adjectifs comme : « voltigeant », « lances », « cursif », « ébouriffant », « pétillants ». Ce sont des mots qui expriment le mouvement, or le mouvement exprime la vie, la joie, contrairement à l’inertie.

Syllogisme : la mort c’est l’immobilité, la tristesse. Or le personnage bouge, il vit, il est gai. Donc la vie est joyeuse.

II. Cependant ce texte est plus profond qui ne paraît et il permet de dénoncer la guerre

Ce texte sert en fait à dénoncer et démontrer la folie des hommes qui a conduit à la guerre.

A. A travers la position de l’écureuil

On remarque qu’il est en hauteur : « qui domine » ou bien « là-haut » ou encore « juché sur ton pin ».

Donc cette position est symbolique car elle symbolise la distance, le recul. On peut dire que l’écureuil est placé en hauteur pour démarquer, pour mieux condamner la folie des hommes. Il se différencie, se sépare des hommes.

Il prend de la distance.

C’est une position qui représente la sagesse ; c’est une position morale, il détient la vérité. Le sage c’est celui qui a du recul, qui prend de la hauteur et qui regarde avec plus d’objectivité. Le sage ne se mélange pas aux problèmes.

B. Les formes de la dénonciation

1. A travers un vocabulaire réaliste

Pour évoquer la guerre, il se réfère aux armes : « lances », « fusils ».

Il se réfère aux nations en guerre : « drapeaux », « empire ».

Il se réfère à la souffrance puisqu’il parle du « lac de sang ». Pour dénoncer la guerre l’auteur présente les faits tels qu’ils sont réalisés. Donc il y a dénonciation d’un vrai problème, ce n’est pas symbolique, c’est un problème réel : la guerre.

Pour dénoncer la guerre désormais, il ne s’écarte pas du sujet, il n’est pas frivole. Il va se servir de termes réalistes et directs.

2. A travers un style lapidaire (lapis = pierre)

C’est un style sec et efficace. C’est un style qui n’est pas enjolivé mais qui est direct c’est-à-dire non imagé.

La phrase est courte : à peine un alexandrin.

La phrase, surtout la réponse contenant la dénonciation est déclarative. Elle est de forme affirmative ou négative. La déclarative permet d’exprimer un constat. Exemple : « des lances ».

A travers des phrases incomplètes qui vont droit à l’essentiel. Il emploie ce qu’au théâtre serait une stichomythie : phrases courtes. Il va à l’essentiel. Exemple : « que vois-tu […] monter le lac de sang ». Il répond directement et il fait l’économie du verbe introducteur.

3. En exagérant la violence

Il amplifie la dénonciation en utilisant des hyperboles : « le lac de sang » : le mot « lac » amplifie la quantité de sang.

Des métaphores : « monté le lac de sang » ; il compare le sang à une inondation. De même que le niveau de l’eau augmente avec une inondation, la quantité de sang augmente pendant la guerre.

4. Pour dénoncer la folie des hommes, la guerre, il dépersonnalise l’homme : il lui retire son humanité

C’est l’animal qui prend la place de l’homme, c’est lui qui parle, qui défend les valeurs de solidarité. Exemple : « frère […] cousin […] ami ».

L’homme n’a plus le statut d’humain. La preuve c’est qu’il est désigné par des objets symboles de mort : « des lances, des fusils ». En fait pour dire des soldats tenant des lances, il dénonce les hommes par les armes. C’est une métonymie : figure qui consiste à désigner un ensemble pas un élément de cet ensemble, dans lequel il n’est pas inclus. De plus ils sont caractérisés de « fous » : cela leur fait perdre toute humanité.

C. Cette dénonciation est intemporelle

Grâce à l’indétermination spatio-temporelle. On ne sait pas où cela se passe, ni pour quelle guerre. Cela peut-être lu et compris quelque soit l’époque.

C’est toujours d’actualité. Nous ne connaissons pas l’époque par exemple : « des drapeaux qui traversent l’empire ». On ne sait pas le ou les pays en guerre, ni les lieux des champs de batailles. Le texte est écrit au présent de vérité générale.

Le personnage qui dénonce la guerre, donc l’écureuil, par sa nature renforce l’intemporalité de la leçon car c’est un personnage neutre, sans histoire. Il n’a pas de contexte (de forêts partout). Ceci permet de rendre la leçon ou la dénonciation générale.

D. La position de l’auteur

C’est une position pessimiste c’est-à-dire que l’écureuil présente une vision de l’humanité : il a une vision pessimiste de la guerre et l’auteur rejoint cette vision. En apparence, on ne sait pas ce qu’il ressent, ce qu’il pense puisqu’il est là pour interroger l’écureuil. Mais en réalité on sait ce qu’il pense.

Il pense que rien ne permet de dire que les hommes changeront. Dans la dernière réplique : « Demain tout comme Hier. Les hommes sont fous et pour l’éternité » : redondance sur le fait que cela ne changera pas. On parle de fatalité, la folie des hommes est fatale car deux expressions sont utilisées pour dire que la folie des hommes ne changera pas.

En fait ce pessimisme rejoint celui de l’écureuil ça le poète complète la phrase de l’écureuil. En effet la phrase « demain tout comme hier » se trouve dans la partie où le poète est censé parler. La phrase du poète est complétée par la phrase de l’écureuil : « Les hommes sont des fous ». Donc ils pensent la même chose, ce qui veut dire qu’ils sont tous les deux pessimistes. L’écureuil est le porte-parole de l’auteur.

III. A travers l’écureuil le poète célèbre les forces de la vie

Le poème a une apparence frivole, mais ce n’est pas le cas. Il n’est pas aussi frivole qu’il ne le paraît. Certes il veut dénoncer la guerre, mais il veut en fait nous donner le goût de la vie ainsi que les raisons de se battre.

A. L’écureuil incarne la nature (donc la vie)

Il est lié aux saisons, à toutes les saisons. Il incarne le cycle de la nature : printemps, été, automne, hiver.

– Il incarne presque tous les domaines de la nature :
– Il représente le règne végétal : « la pomme », « le pin vert ».
– Il représente le règne animal : « la pie », « le rossignol », « la corneille ».

Il est présent dans le règne minéral. Il symbolise la vie puisqu’il représente tous les aspects de la nature.

Syllogisme : comme la nature représente la vie, et l’écureuil représente la nature, donc l’écureuil représente la vie.
Il célèbre les forces de la vie.

B. Il incarne des qualité générales qui sont génératrices de vie, qui expriment la vie

1. Il est caractérisé par la vivacité

En effet il est associé à un lexique de mouvements : « voltigeant », « lances », « cursif ». Donc l’écureuil est représenté comme un être dynamique, qui veut sans cesse explorer le monde. Il a des qualité générales qui symbolisent la vie.

2. Il symbolise la jeunesse éternelle

Ainsi il est « juché sur ton pin vert ». Or le vert symbolise la jeunesse éternelle car c’est la couleur des feuilles qui sont en pleine croissance. Cela ne vieillit pas. De plus le pin est un arbre très résistant car il ne perd jamais ses feuilles.

L’écureuil traverse toutes les saisons, on sent sa présence, il est toujours vivant. Donc il ne meurt jamais.

L’emploi du présent : le présent d’éternité, de vérité générale : « qui domine la terre ». Ce sera tout le temps comme ça, il dominera toujours, « qui lance vers l’azur […] ces pommes ». L’écureuil est donc associé au présent. Par ailleurs, l’écureuil est associé au participe présent : « voltigeant », « ébouriffant ». Or ce participe présent n’exprime qu’une durée indéterminée (participe passé ? représente une durée) donc l’écureuil représente l’éternité. On peut donc dire que l’écureuil est doté de qualités qui symbolisent la vie.

C. L’écureuil représente des valeurs

1. Il représente la solidarité, l’amitié

On relève des mots qui évoquent le lien avec d’autres animaux, avec les autres : « frère », « cousin », « ami ». On remarque ici d’ailleurs une graduation : on part du lien familial : « le frère », « le cousin », au lien social : « ami ». Il établit des liens de toutes sortes pour montrer que l’écureuil est capable de tisser des liens : donc l’écureuil peut représenter la solidarité puisqu’il établit des liens de toutes sortes.

L’écureuil symbolise aussi le contact avec des végétaux. On relève ainsi le champ lexical des sensations : olfactive (liée à l’odorat) dans la phrase : « humant la sève d’or ». Par l’odorat il permet le contact avec l’arbre. Tactile dans la phrase « la pomme entre tes pattes ». Par le toucher il a contact avec le fruit. Visuelle : il « vois ». Donc on peut dire qu’il a des contacts avec la nature. Il a bien un lien avec autrui donc avec le monde extérieur. Il est solidaire.

2. Il est caractérisé par la beauté

Sa beauté se caractérise par sa couleur : « doré », « trésor des bois ». On retrouve la sonorité : or. C’est la couleur or. Il y a aussi la couleur de ses yeux : « noirs et beaux ». Le noir ici est vu comme quelque chose de beau.
Sa beauté est représentée par son apparence. Il a une « queue touffue », des postures amusantes et belles : « ébouriffant ton col », « humant la sève d’or ».

La beauté s’exprime par des procédés de style qui sont la métaphore et l’hyperbole. Ainsi il est comparé à un « trésor » qui est riche et beau => métaphore. Mais aussi à une fleur : « fleur de nature ». C’est une expression métaphorique à valeur hyperbolique. C’est-à-dire c’est la plus belle, la meilleur (valeur superlative). Il est défini comme l’ornement de la nature : c’est la parure, le plus beau de la nature.

Conclusion

Cela peut être comparé au « Dormeur du Val » de Rimbaud (1870). C’est la même idée de beauté qui contraste avec l’horreur, ici celle de la guerre. C’est un thème qui est donc universel. Cependant Rimbaud est supérieur à Paul Fort car c’est plus abstrait : l’homme aux deux trous… Rimbaud écrit une fatalité : l’homme est mort. Mais Paul Fort donne des raisons d’espérer par rapport à la guerre.

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Commentaires

1 commentaire à “Fort, Ballades Françaises, L’Écureuil”

traore Le 20/02/2024 à 14h48

le texte est tres simple et composer d'element clé

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