Fable ou Conte Philosophique, Quel genre d’œuvre est le plus efficace en vue d’éduquer le lecteur ? Dissertation

Introduction

L’écriture a toujours passionné les hommes, autant dans son art que dans sa fonction littéraire. Cela se développera à travers différents genres d’écrits dont la volonté sera de les instruire en leur transmettant une conception éthique et de nouvelles idées, comme le font les divers apologues ou encore les essais. Mais cela se révèle être plus ou moins efficace selon les genres, mais également selon les destinataires, car chaque texte est adressé à un public défini. Nous nous intéresserons en priorité à l’apologue, avec la fable et le conte, et plus particulièrement au conte philosophique, pour nous demander laquelle de ces deux formes argumentatives, en vue d’éduquer le lecteur, est la plus efficiente. Mais de quelles manières procèdent-elles pour arriver à leur fin ? Quelles en sont leurs limites ? Et par quels autres genres est-il possible d’enseigner au lecteur ?

Développement

« La littérature veut instruire ou plaire ; parfois son objet est de plaire et d’instruire en même temps », écrit Horace, l’un des plus grands poètes latins dans son « Art Poétique ». C’est ainsi que procèdent les différentes variantes de l’apologue, et parmi elles, la fable et le conte. Mais il me semble que ce dernier paraît tout de même, malgré la répartition des personnages entre le bien et le mal – comme dans le célèbre conte merveilleux de Charles Perrault « Cendrillon » – qui pourrait aider l’enfant à faire la différence entre les deux, avoir davantage l’intention de le distraire et de le faire rêver, contrairement au conte philosophique qui, lui, a une véritable visée didactique. Nous nous pencherons donc sur la fable et le conte philosophique, qui cherchent tous deux d’abord à plaire pour ensuite instruire le lecteur et entraîner plus rapidement son adhésion à la thèse.
La fable, est dans un premier temps adressée aux enfants. Elle va alors favoriser l’histoire à la morale, et mettre en scène des animaux au comportement humanisé pour les amuser et jouer davantage sur leurs sentiments, les faire sourire, les charmer par l’atmosphère comique (situation) du récit, et laisser place à leur imagination, comme dans « Le loup et la cigogne » de La Fontaine, où les deux personnages principaux sont deux animaux antagonistes, la cigogne sauve le loup, ce qui est invraisemblable dans la réalité et plutôt comique. Mais la fable évolue, elle est alors plus satirique que didactique. Son public change également, il devient celui cultivé des salons mondains. Celui-ci est séduit par la forme poétique de la fable, par sa variété, sa critique, ses nombreux rebondissements, et la tendance de l’auteur à se manifester dans le récit, ce qui crée une complicité entre les deux individus, comme Victor Hugo dans sa fable « Fable ou histoire », qui intervient en tant que le « belluaire » qui démasque l’usurpateur.
Par ailleurs, le conte philosophique s’inspire de la nouvelle forme de la fable pour « capter » le lecteur. Il va mettre en scène les aventures de personnages humains bien définis mais irréels, faire appel au merveilleux, à l’exotisme et à l’ironie. Et tout ceci, véhiculé justement par le côté conte. Il va ainsi, comme le fait la fable, susciter l’imagination du lecteur. Dans « Candide » de Voltaire, l’exotisme est connoté par le fait qu’on donne « un bel autodafé » en brûlant des personnes pour que la terre cesse de trembler, ce qui rappelle les Incas du Pérou, monde occidentale de l’Amérique du sud, qui faisait des sacrifices humains en l’honneur des Dieux ; l’ironie, elle, vient des critères de sélections des condamnés, « deux portugais » sont choisi pour avoir « arraché le lard » du poulet. Le conte philosophique plaît également car il permet la « popularisation » de la philosophie, car accompagnée du conte, tout le monde peut y accéder et mieux comprendre le texte.
Une fois que le lecteur a adhéré à l’histoire et qu’il s’y plaît, il peut à présent être instruit. Ces deux formes d’apologue ont alors un côté pédagogique.
La fable a pour cela recours à la morale. La fontaine écrit d’ailleurs qu’elle « apprend aux enfants ce qu’il faut qu’ils sachent […] et les toutes premières notions des choses proviennent d’elles » (des fables) dans sa préface aux « Fables ». En effet, il s’agit d’inspirer aux destinataires une conduite sage et réfléchie. Elle est le plus souvent exprimée à la fin ; c’est au lecteur de la déduire, elle impose donc une réflexion. Il est plus facile de la comprendre si elle est imagée, d’autant plus quelle est fréquemment implicite. En illustrant la morale avec des animaux, elle la rend vivante et la fait mieux ressortir, car en mettant des images sur des mots, les enfants sont alors plus aptes à comprendre. Par exemple, toujours dans « Le loup et la cigogne », la morale signifie qu’il ne faut jamais demander a être récompensé pour être venu en aide à une personne. On l’utilisait d’ailleurs déjà au Moyen Âge dans le même but, les fables de Marie de France « Le dit d’Esope », rédigées au XIIème siècle, en témoignent. La fable est donc pratique pour éduquer les enfants. Ainsi, La Fontaine destina ses premières fables au dauphin de Louis XIV. Elle enseigne également à son nouveau public des salons mondains, car avec sa portée satirique qui dénonce la société et les travers des hommes, elle lui montre ce qui est fortement déconseillé de faire, « La ferme des animaux » de Georges Orwell est un exemple de l’évolution de la fable. Cet œuvre dénonce le totalitarisme stalinien, les animaux servent alors à contourner habilement la censure ; dans le passage du corpus, l’auteur veut peut-être, en plus de sa critique, montrer au lecteur qu’il ne faut pas faire preuve de trahison, ceci avec la mort des animaux ayant collaboré avec « Boule de neige », ennemi de « Napoléon ».
Le conte philosophique, tout comme la fable, veut conduire le lecteur vers la sagesse en lui donnant une leçon, et par la critique des mœurs et de la société. « Les Lettres persanes » de Montesquieu écrites en 1721 dénoncent ainsi les abus du pouvoir absolu en France, les mœurs et la religion. L’âge d’or de ce genre est le Siècle des Lumières, soit celui du savoir et du raisonnement logique. L’aventure vécue par le héros du conte a pour but de conduire à une réflexion morale mais plus poussée que celle attendue dans la fable car elle pose un débat. Le lecteur doit donc réfléchir lui-même et se forger sa propre opinion, ce qui développe son esprit critique. Dans la lettre 97 de l’ouvrage de Montesquieu, la question est celle des principes philosophiques et de la religion ; l’auteur expose les choses de manière à ce que l’on adhère forcément à la raison plutôt qu’à l’« absurdité » de la croyance.
Ainsi, la fable et le conte philosophique cherchent à éduquer quel que soit le destinataire en lui plaisant, et en lui imposant une réflexion plus ou moins approfondie. Mais ils ont tous deux leurs points faibles, leurs limites.

La fable ainsi que le conte philosophique peuvent être mal compris. En effet, leur morale est parfois trop implicite, et le lecteur n’a pas forcément envie de réfléchir sur le texte pour savoir réellement qu’est-ce qu’il veut montrer, dire. Prenons l’exemple d’une parodie de la fable de La Fontaine « La cigale et la fourmi », par Jean Anouilh intitulée « La cigale » (1961). Si le texte de La Fontaine pouvait être plutôt bien cerné, là ce n’est plus le cas. S’il est lu rapidement, il se peut que la critique que fait l’auteur ne soit pas comprise. Ici, c’est celle de l’artiste semblant désintéressé et altruiste qui est peinte, la cigale vient alors démentir cette image.
Ils peuvent également tous les deux ne pas être pris au sérieux par le fait qu’ils s’éloignent trop de la réalité. Dans la fable, les situations sont souvent « farfelues », on peut ne pas faire le rapprochement entre les hommes et les animaux et la prendre ainsi à la légère sans tenir compte de la leçon à tirer, tel que dans « Le singe et le dauphin » de La Fontaine (Livre IV), qui montre qu’il ne faut pas mentir étant donné de ce qu’il arrive au singe, mais le lecteur pourrait ne pas se comparer aux animaux. Il en est de même pour le conte dans lequel l’ironie est omniprésente, comme dans « Le Baron perché » de Calvino (1957), en l’honneur de la venue de Napoléon, on « maquille » un noyer en chêne.
Même s’ils visent tous deux à mener à une réflexion, le récit étant favorisé à la morale, le lecteur a tendance à se focaliser davantage sur l’histoire et pris dans l’action et dans l’irréel, peut en oublier le véritable sens, et ceci, plus dans le conte philosophique que dans la fable, car il est généralement d’une longueur plus imposante. Il y a donc le danger du trop plaisant. Dans « Le voyage de Gulliver » (1726) de Jonathan Swift, on ne laisse emporter dans le monde féerique des Lilliputiens en prêtant moins attention au fait que l’auteur fait une satire féroce de la société anglaise.
La fable étant le plus souvent particulièrement brève et avantageant déjà le récit, ne développe pas assez l’argumentation alors qu’elle doit persuader rapidement le destinataire, « Le coq et la perle » de La Fontaine (Livre I des Fables) doit ainsi réussir à le faire en 12 vers, chose peu probable.
De plus, lorsque la fable dénonce satiriquement des abus de pouvoir en utilisant les animaux pour éviter la censure, pour comprendre les doubles sens du récit et à qui l’écrivain veut réellement faire référence, cela demande d’avoir une certaine culture et d’être un minimum courant des idées politiques de ce dernier – c’est pour cela qu’elle fut ensuite destinée au salons mondains-; ainsi, dans sa fable « Fable ou histoire », Victor Hugo, opposé au Second empire, ridiculise Napoléon III et dénonce ses méthodes tyranniques, et ceci, plus particulièrement avec le vers 10 de ce texte « Regardez ma caverne est pleine d’ossements ».
Jean-Jacques Rousseau, grand philosophe des Lumières, exprime sa désapprobation sur le fait que l’on fasse apprendre les fables de La Fontaine à des enfants, dans son ouvrage « L’Émile ou de l’éducation », datant de 1762. Selon lui, « la morale est tellement mêlée et si disproportionnée à leur âge, qu’elle les porterait plus au vice qu’à la vertu ». Il justifie cela en montrant que les enfants n’aiment pas s’humilier, c’est pour cela qu’entre la cigale et la fourmi, ils choisiront la fourmi qui refuse de rendre service à la cigale, ou bien encore entre le corbeau et le renard, ils préféreront le renard, alors que celui-ci vole le corbeau. Les fables de La Fontaine enseigneraient donc mal aux enfants. Mais là n’est pas les seuls reproches qu’il leur fait, il pense que la syntaxe des phrases est bien trop compliquée pour eux, comme celle-ci : « Maître renard, par l’odeur alléché », et qu’elles les induisent en erreur, par exemple avec le fait que les animaux parlent. Ainsi, ces remarques s’ajouteraient aux limites du genre.
Nous pouvons donc voir que la fable et le conte philosophique ont tous deux des propriétés qui peuvent « nuire » à leur dessein didactique. Mais ce ne sont pas les seuls genres d’œuvres à travers lesquels l’auteur peut avoir la même intention.

Le meilleur choix du genre littéraire se fait tout d’abord en fonction du destinataire, car tout dépend du type de personnes que l’on veut atteindre à travers ses écrits, mais également de la sorte d’instruction que l’on souhaite donner.
On peut utiliser le roman pour ses différentes facettes, en effet, chaque style romanesque peut apprendre à son lecteur. Par exemple, si l’on veut transmettre un savoir historique, il sera bénéfique d’avoir recours au roman historique car il prend pour cadre un épisode important de l’histoire, il permet également de se renseigner sur les mœurs de l’époque. Madame Marie-Madeleine de Lafayette a été la première à s’en servir en écrivant « La princesse de Clèves » en 1678, l’action se déroule alors à la cour du roi Henri II, et comporte en même temps une leçon morale.
Si l’on veut affirmer une thèse, une conception, il est possible d’utiliser le roman à thèse qui se sert d’une histoire comme prétexte pour illustrer et confirmer une doctrine, comme le fait Victor Hugo dans « Le dernier jour d’un condamné » dans lequel il s’oppose à la peine de mort. Mais le roman étant plus complexe que le conte philosophique, en l’employant, on prend tout de même le risque de ne pas être compris.
On peut également, pour défendre une thèse, user de l’essai qui démontre en s’adressant directement à la pensée, à l’intelligence sans passer par la séduction. C’est une contestation des codes établis et qui aborde des thèmes universels. L’essai a une visée didactique car l’auteur y partage ses connaissances avec le lecteur. Ce nom commun vient d’ailleurs du titre de l’ouvrage de Montaigne « Les essais », suites de réflexions personnelles au sujet de l’homme, dans lequel il traitera d’ailleurs le sujet de l’institution des enfants. La Rochefoucauld écrit « Les Maximes » dans le même état d’esprit, ce n’est pas un essai mais elles forment une vision du monde très critique et qui abordent aussi des thèmes universels. « On fait souvent vanité des passions même les plus criminelles ; mais l’envie est une passion timide et honteuse que l’on n’ose jamais avouer. » est l’une des ses nombreuses maximes.
En vue d’éduquer le lecteur, l’utopie peut, elle aussi, être utile. C’est une vision d’un monde heureux et idéal, qui ne saurait exister, à travers laquelle on voit une critique de notre propre monde. Le genre est fondé par Thomas More en 1516 avec « L’Utopie », dans laquelle l’auteur développe quelques-uns des grands idéaux humanistes.

Conclusion

Ainsi, la fable et le conte philosophique cherchent tous deux à plaire pour instruire plus efficacement le lecteur, mais certains aspects font qu’ils n’atteignent pas toujours leur dessein didactique. Par contre, ce ne sont pas les seuls moyens par lesquels les hommes de lettres peuvent transmettre leur enseignement.
Aujourd’hui, cela passe également par la diversité de la télévision, avec les dessins animés éducatifs qui suivent le développement de l’enfant comme « Dora l’Exploratrice », ou encore avec les émissions culturelles. Mais la télévision est avant tout une distraction et ne peut en aucun cas remplacer le livre qui lui, même lorsqu’il est attrayant, apporte véritablement quelque chose à l’homme.

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