La formation de la personnalité, Dissertation

Sujet

Tout se joue avant six ans : tel est le titre quelque peut provocateur d’un ouvrage de puériculture qu’à écrit la pédiatre Louise Dodson-Fitzhugh il y a une dizaine d’années. Les textes autobiographiques que vous avez lus et étudiés vous permettent-ils ou non de confirmer sa thèse ?

Corrigé

Louise Dodson-Fitzhugh écrivait, il y a une dizaine d’années, un ouvrage de puériculture intitulé Tout se joue avant six ans. Le cadre de notre étude est délimité par ce titre à la petite enfance, plus particulièrement les six premières années (au sens large, on peut aller un peu plus loin). Dans l’affirmation de L. Dodson-Fitzhugh, le mot « tout » représente le moi de l’individu, autrement dit sa personnalité toute entière. Par conséquent l’emploi par l’auteur de l’expression « Tout se joue » exprime que l’édification de la personnalité d’un individu se fait un peu au hasard, au gré des expériences nouvelles. Cela introduit une notion de destin inéluctable et immuable qui selon l’auteur se déterminerait au cours des premières années de la vie d’un être humain : la succession d’expérience formatrice de l’enfance lui forgerait une identité qu’il garderait telle qu’elle et qui le définirait tout le long de sa vie.
Néanmoins il convient de s’interroger sur la véracité de cette affirmation. En effet la personnalité semble se former au fil des expériences inédites, dont nous ressortons vainqueurs ou perdant, mais en en tirant toujours un enseignement. On pourrait donc penser que les premières années sont toutes aussi formatrices que les autres et ne peuvent en aucun cas déterminer à elles seules une personnalité, et donc un individu. Il s’agit donc de savoir si les premières années édifient entièrement la personnalité d’un individu ou si c’est la vie entière et sa suite d’expériences enrichissantes ?
Après avoir étudié l’influence des expériences de la vie toute entière sur la personnalité, nous nous intéresserons plus particulièrement à celle des premières années.

La personnalité d’un individu ne semble pas pouvoir se résumer aux enseignements tirés des premières expériences, tout simplement parce qu’en six ans, l’éventail des expériences qu’on peut vivre et qu’on vit est beaucoup plus réduit que celui d’une vie entière. L’homme connaît des expériences nouvelles même après six ans, et celles des premières années sont noyées dans le flot des suivantes. Chaque expérience est inédite et unique, et nous évoluons grâce à ce qu’elle nous apporte.
Prenons l’exemple de Jean-Jacques Rousseau à travers son ouvrage autobiographique Les Confessions. Il était un enfant sage, aimable et très bien élevé. Mais après dû quitter son havre de paix à Genève, il connut la rue et la débauche. L’épisode des trois pommes, où il dément avoir volé et mangé alors qu’il l’a fait, ou encore du ruban volé, où il a dérobé un ruban pour l’offrir et a toujours refusé de l’admettre, en sont des exemples flagrants. J.J Rousseau a perdu pratiquement toutes notions du Bien et du Mal et se permet de voler sans aucuns remords. Sa personnalité, en particulier sa morale, a été modifiée et pourtant à cette époque Rousseau doit avoir environ seize ans.
Sartre quant à lui, connut grâce à l’école (et puis après encore grâce à la vie) une profonde remise en question de ce qu’il est, ce qu’il exprime dans son livre autobiographique Les Mots. Sa personnalité nouvellement formée condamne totalement la précédente qu’elle juge puérile. Son comportement vis-à-vis des autres et de lui-même changea, donc c’est bien sa personnalité qui a évolué. On peut observer cette évolution à travers son attitude face à la littérature. Non seulement il continue de lire, mais de plus il s’essaye à l’écriture ! Cette ouverture se fait en parallèle de son entrée au Lycée, qui va achever de le transformer.
On peut donc dire que des expériences importantes telles que l’école, la rue ou encore le travail peuvent faire évoluer, positivement ou négativement, la personnalité d’un individu, car ces expériences sont totalement inédites. Par conséquent l’édification de la personnalité ne se résume pas aux six premières années d’une vie, mais s’étale sur une vie toute entière.

S’il est vrai que la vie est une longue suite d’expériences, plus enrichissantes les unes que les autres, il n’en est pas moins que celles des premières années sont beaucoup plus formatrices de par le fait que ce sont les premières, et donc qu’elles vont donner ses principaux traits de caractère à l’individu.

Les premières années sont le temps des premières expériences décisives dans le tournant que prendra la personnalité de l’individu. En effet l’individu est jeune, donc encore très malléable. Sa personnalité est quasiment inexistante, car vierge de tous préjugés et principes. Il est donc aisé d’y graver (presque pour la vie) les premiers enseignements tirés des premières expériences. Tandis qu’après une dizaine d’années, les principes de base issus des ces expériences ont forgé la base de la personnalité de cet être homme. Il développe alors un certain caractère et un œil critique qui rendent difficile d’ancrer si profondément des enseignements tirés de nouvelles expériences.
Tout d’abord un événement peut être aisément traumatisant lorsque l’on est un enfant. De ce fait l’enseignement associé à cette expérience est gravée plus profondément dans la personnalité et peut grandement influer sur la personnalité de l’individu. Prenons comme illustration le récit autobiographique Gorge coupée de Michel Leiris. M. Leiris enfant a été traumatisé par un rendez-vous chez le chirurgien chargé de lui enlever les végétations. Ce n’est pas tant l’acte de l' »amputation » en lui-même qui l’a traumatisé à vie mais plutôt le subterfuge grâce auquel ses parents, l’ont l’emmené au cabinet. Ses parents, qui sont censés le protéger, l’ont sciemment dupé pour lui faire subir une douloureuse opération. Sa vision du monde en est restée bouleversée, qu’il perçoit maintenant comme « un monde plein de chausse-trapes ». Il est resté l’enfant dans la salle de chirurgie se refusant de devenir « chair à médecins, chair à canons, chair à cercueil ». Sa personnalité en est restée à jamais marquée.
Pour Nathalie Sarraute dans Enfance, l’histoire est différente et l’école est en grande partie responsable du changement. C’était une enfant trop gâtée, donc exécrable comme on peut le lire dès les premières pages, notamment avec l’épisode du canapé qu’elle déchire avec une paire de ciseaux malgré les injonctions de sa nourrice « Ich werde es zerreissen. » Mais en allant à l’école, elle découvre les rédactions, et c’est la révélation. Elle s’adonne, à partir de ce moment là, à une activité qui la passionne, écrire (des histoires qu’elle invente). N. Sarraute a découvert durant l’enfance sa vocation, son destin, qui plus est tout à fait par hasard. Il y a donc bien une détermination de la personnalité presque toute entière par la découvert de sa passion de l’écriture.
En outre des vérités fondamentales peuvent se dévoiler à l’enfant et s’inscrire dans sa personnalité. C’est le cas pour Albert Camus, comme il nous le raconte dans Le Premier Homme. A la suite d’une bagarre entre camarades au champ vert, Camus découvre que la guerre et en général la violence sont des mauvaises choses : « et il connut ainsi que la guerre était mauvaise, car vaincre un homme est aussi amer que d’en être vaincu. » Additionnée à la vie pauvre qu’il mène et à son amour pour la nature (sensualité), cet événement fera de Camus ce qu’il deviendra plus tard, soit un humaniste qui s’opposera à la guerre d’Algérie. L’influence décisive des premières années est donc très évidente ici.
Les premières années sont donc les plus formatrices car elles regroupent toutes les expériences importantes qui vont « éduquer » l’enfant. Les notions fondamentales que l’enfant en tirera seront gravées dans sa personnalité et définiront par la suite (et pour la vie dans la plupart des cas) l’individu qu’il sera.

Les premières années de l’enfance sont particulièrement formatrices car elles sont le lieu des premières expériences donc des premiers enseignements. Ils seront immédiatement intégrés et formeront la base (presque) immuable de la personnalité de l’individu, participant de ce fait à part entière à son édification. Néanmoins la personnalité ne se refuse pas à toutes améliorations ou évolutions par la suite, car l’être humain est par définition un être en perpétuel changement. Seules les expériences enrichissantes, en bien ou en mal, seront retenues et aideront à l’évolution de la personnalité.

Cependant il serait intéressant d’élargir le sujet à la notion de hasard, que L. Dodson-Fitzhugh a intégrée à son affirmation avec « se joue ». Peut-on orienter selon ses désirs la personnalité d’un enfant, et donc sa vie future, en lui faisant vivre des expériences choisies ?

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