René Barjavel

Barjavel, La nuit des Temps, Résumé et Analyse

Généralités

La nuit des temps à été publié en 1968. A l’origine, ce roman avait été écrit à la demande du metteur en scène André Cayatte. En effet celui-ci avait fourni le sujet à Barjavel en lui demandant de le mettre en forme pour en faire une adaptation cinématographique. Mais le budget prévu s’avérant trop important, le film ne fut jamais tourné.

Présentation succincte

Perdus dans d’immenses et hostiles étendues polaires, les membres d’une expédition scientifique française font des relevés topographiques sous-glaciaires. La glace atteint une épaisseur de plus de 1000 mètres. Ses couches les plus profondes remontent à environ 900 000 ans. Un jour un phénomène totalement inattendu s’y produit : les sondes enregistrent un signal provenant du sous-sol ! Sans aucun doute possible il y a un émetteur sous la glace ! La nouvelle fait l’effet d’une bombe : que vont découvrir les spécialistes venus du monde entier qui creusent la glace à la recherche du mystère ? On met à jour une sphère contenant deux êtres humains congelés au zéro absolu mais encore en vie, enfouis là depuis « La nuit des temps »… Qui est ce couple de jeunes gens ? La jeune femme est d’une beauté remarquable et fascine particulièrement le Docteur Simon qui en tombe éperdument amoureux avant même que soit décidé une tentative de réanimation. Le jeune homme pour sa part est grièvement brûlé.

La femme s’appelle Eléa et l’homme Païkan. Grâce à une « Traductrice » dans laquelle le langage des jeunes gens et de leurs semblables a été encodé et des moyens de communications propres à leur civilisation, le docteur Simon explorera leur monde et leur vie…

Une civilisation puisée dans un passé de plusieurs centaines de milliers d’années mais qui surpasse la nôtre au regard du respect de la nature et d’une grande maîtrise technologique qui la mettra pourtant en péril.

Traversant le drame universel comme une flèche de feu, le destin d’Eléa et Païkan les conduit droit vers le mythe légendaire des amants bienheureux et maudits, à l’instar de Roméo et Juliette, Tristan et Yseult et de tous ceux que même la mort ne séparera jamais.

La nuit des temps est tout à la fois une épopée, un reportage et un chant d’amour passionné. Le passé et le présent s’y mêlent, confrontent les craintes et les espoirs et y jouent le sort du monde.

Résumé

En plein Antarctique, une mission scientifique française capte un signal inattendu qui provient des profondeurs glacées. Il s’agit d’un émetteur placé là 900 000 ans auparavant. Plusieurs nations qui fraternisent dans l’adversité des rudes conditions polaires entreprennent alors des fouilles passionnées. Une sphère est mise au jour dans laquelle deux individus reposent en hibernation : un homme et une femme, tous deux masqués. La femme, réanimée en premier, se nomme Eléa. Elle est d’une beauté exceptionnelle. Un ingénieux système – « la Traductrice » – lui permet d’expliquer la guerre totale qui a conduit un savant de son époque, Coban, à l’enfermer avec lui dans cet abri. Mais la jeune femme explique qu’elle aurait préféré mourir aux côtés de celui qu’elle aime d’un amour sans nom : Païkan. En apprenant qu’elle a dormi 900 000 ans, elle fait une dépression. Toutefois la présence et l’attention d’un médecin de l’équipe de réanimation, le Docteur Simon, la rassure. Elle accepte d’aider les chercheurs à réanimer Coban qui est toujours masqué. Celui-ci est détenteur de connaissances dont les applications sans limites intéressent les scientifiques mais excitent les convoitises des dirigeants de grandes puissances sans scrupules. La réanimation de Coban s’avère plus compliquée que celle d’Eléa. Sollicitée, celle-ci accepte de donner son sang dans le dessein secret de tuer Coban en s’empoisonnant elle-même. L’opération est supervisée par le docteur Simon. Celui-ci, à l’aide d’équipements sophistiqués de l’époque d’Eléa, observe les rêves de Coban pendant qu’il revient à la vie. C’est ainsi qu’il comprend – à mesure qu’aparaissent en rêve les derniers instants de la vie de Coban – qu’il s’agit en fait de Païkan ! En effet, alors qu’Eléa était déjà en hibernation dans l’abri, Païkan s’est querellé avec Coban et y a pris sa place au tout dernier moment. Alors qu’il enlève le masque de Païkan pour en avertir Eléa, il s’aperçoit que celle-ci agonise, tuant ainsi par son sang empoisonné celui de qui elle fut séparée et que le destin avait gardé constamment à ses côtés sans qu’elle le sache. Simon ne dit mot pour éviter d’asséner la triste vérité à la femme condamnée, meurtrière involontaire de son grand amour. A l’extérieur, un scientifique, traduisant la langue de cette civilisation passée pour essayer de conserver ces découvertes à des fins personnelles, détruit les documents. Il échouera à en retrouver des copies. Il ne reste des deux amants venus de La nuit des temps et qui l’ont traversée côte à côte, nous apportant de fabuleuses nouvelles technologies, que l’horreur qui hante le docteur Simon. Mais aussi et surtout l’amer regret de la race humaine qui n’a rien pu appris ni retenu depuis la civilisation d’Eléa et Païkan alors qu’elle en descend sans l’avoir su à la suite d’une guerre nucléaire.

Commentaire – Analyse

L’idée d’un continent disparu est un concept très ancien. Il suffit de penser aux mythes de l’Atlantide, de l’Eldorado ou de Mû ou encore aux études géographiques très officielles relatives à la dérive des continents. La science-fiction ne pouvait négliger une telle source d’inspiration. Le thème de La nuit des temps prend ses sources dans ce fond mythique et littéraire inépuisable

Ici, sur fond de conditions de vie polaire extrêmes point un rayon de vie autour de laquelle des hommes d’origines différentes vont se rassembler à la recherche de leur avenir. Unis, ils s’acharneront à décrypter le mystère qui, du lointain des temps, les ramène à leurs origines. Le temps est à la coopération. A la lutte commune contre l’adversité. Au progrès humain. Les nations délaissent leurs vieilles rivalités. Elles se regroupent pour comprendre et maîtriser l’inconnu. Chacune propose ses meilleures ressources, humaines et technologiques. Les difficultés sont l’occasion pour chacun d’employer son ingéniosité dans l’intérêt commun et non pour détruire l’autre. Un monde nouveau se profile…

Dans ce concert harmonieux des nations et cette marche unie des hommes se profile clairement la reconquête du paradis perdu. Les métaphores à ce sujet sont multiples :

– Le nom de la base – E.P.I. – évoque la renaissance. Le blé est bien dans la Bible le symbole de l’abondance vers laquelle toutes nations régénérées semblent vouloir accéder.
– L’universalité retrouvée du langage par l’intermédiaire de la Traductrice est la fin du châtiment de Babel, deux fois nommée dans le roman.

MAIS…, comme pour marteler le côté inéluctable de la déchéance de l’homme de son propre fait, l’humanité comprend alors que son élan est fortement compromis par sa faute en même temps qu’elle constate que celui des temps anciens le fut pour la même raison ! En effet, après la réussite de la réanimation d’Eléa, les tentatives d’appropriation des découvertes ne tardent pas. Ainsi les scientifiques d’E.P.I. n’auront-ils pas le plaisir d’annoncer le monde de paix et de prospérité que la science venait pourtant tout juste de rendre possible.

A suite de la perte de la Traductrice, les réanimateurs se retrouvent tout à coup comme étrangers les uns aux autres. Chacun vocifère dans une cacophonie inintelligible et l’on retrouve la retranscription fidèle du désarroi des premiers châtiés du langage. C’est la nouvelle chute de Babel.

Hoover et Léonova, totalement impuissants dans les glaciales bourrasques de neige, sont la proie des éléments et doivent s’en remettre à la chance. Celle-ci se manifestera comme une grâce divine et leur révélera une issue : la porte vers la vie. Dans l’urgence, il faudra également évacuer la station polaire qui se consume sous les feux de l’atome. Comme jadis il fallut fuir Rome détruite par les flammes et la décadence, ou encore Sodome et Gomorrhe anéanties par le feu du ciel. L’homme qui s’était pourtant équipé des protections les plus sûres se voit à nouveau totalement démuni à cause de sa vanité et de son orgueil.

L’idée selon laquelle le savoir qui se prévaut de la sagesse est incertain et dangereux n’est pas propre à La nuit des temps . En tout état de cause elle est parfaitement illustrée par la transformation en statue de glace d’un individu pénétrant dans la sphère plongée dans le zéro absolu. A l’instar de la femme de Loth qui fut changée en statue de sel après s’être retournée pour voir le châtiment de Sodome.

De plus, Barjavel a écrit là son plus beau roman d’amour. Il y développe les thèmes qui lui sont chers. Exprimer son amour avec toute la chaleur de son cœur, sans rien demander en retour, pour le seul bénéfice de l’élu(e) qui choisit ou pas de l’accepter. Lorsque l’effort est total et vrai, et motivé par aucune arrière-pensée, il peut faire accomplir des miracles.

A leur époque, Eléa est à Païkan. Elle ne vit que par lui. Elle n’existe que par lui. Elle partage avec lui un amour sans nom, indicible, inconnu. Faisant à nouveau appel à la technologie, Simon parvient à matérialiser la confiance et la vérité immaculées qui unissent les couples qui s’aiment et qui n’ont aucun secret l’un pour l’autre. Chacun vit la vie de l’autre, vit pour l’autre. Le couple est in-dis-so-cia-ble.

Barjavel a su donner à l’amour unique entre deux êtres la plus grande extension acceptable avant de tomber dans le fantaisiste. Il est parvenu à le faire rayonner d’une flamme universelle, celle-là même dont l’intensité a immortalisé les destins tragiques et les sentiments passionnés des héros mythiques : Roméo et Juliette, Tristan et Yseult, Quasimodo et Esméralda. Sans vouloir aller jusqu’à comparer Barjavel aux auteurs de ces chefs-d’œuvre, il est indéniable que sur la nature, la puissance, la grandeur, la noblesse et la complexité de l’amour de ses héros, Barjavel a réussi à les rejoindre. Son couple tricéphale – Eléa-Païkan-Simon – figure désormais dans la littérature contemporaine en bonne place pour leur succéder et renouveler le genre.

Dans ce contexte la destinée des individus et celle de l’humanité avancent conjointement et séparément.

Ce schéma est tout à fait classique chez Barjavel. On le retrouve très tôt, par exemple dans Le Voyageur imprudent, mais également dans les derniers romans comme la Tempête.

A cette évolution parallèle des individus et des peuples, Barjavel ajoute une complexité des relations entre les personnages qui confère à La nuit des temps une véritable dimension psychologique.

Bien que solidement ancré à des allégories spirituelles, Barjavel a systématiquement recours à la technologie pour les matérialiser. Comme qu’il le fera dans Une Rose au Paradis où il poussera les analogies aux extrêmes.

Au plan des descriptions techniques qui jalonnent ce roman, il est bon de savoir que Barjavel suivait de près l’actualité scientifique et technique. En particulier dans le cadre de son activité journalistique. Et, s’il n’était pas une autorité scientifique reconnue auprès du grand public – comme le fut Albert Ducrocq en radio – sa présence à Cap Kennedy lors du lancement d’Apollo XI et sur le plateau des Dossiers de l’Écran en compagnie de ce même Albert Ducrocq pour y accueillir Armstrong, Aldrin et Collins de retour de la Lune, montre bien son rôle, son apport et son intérêt pour l’actualité technique de son époque. Ses commentaires apportaient là une touche de poésie et de réflexion appréciable.

Certains éléments, objets ou concepts du monde de Gondawa et décrits par Eléa se retrouvent dans notre environnement technique d’aujourd’hui. Dans certains cas d’ailleurs leurs inventeurs ne renient pas la paternité des idées de Barjavel !

Deux exemples retiennent particulièrement l’attention :

– La clé de Gondawa est précisément le concept qui ne peut manquer d’évoquer la carte à puce.

Mise au point et brevetée dans les années 1970 avec le succès que l’on sait, elle fait vivre aujourd’hui une industrie considérable et constitue le passage obligé de nombreux systèmes de sécurité. La société Bull a d’ailleurs rendu hommage à Barjavel par la plume de son directeur technique dans un ouvrage qui cite en totalité le passage de La nuit des temps dans lequel est décrit le fonctionnement de la clé comme système de paiement. René Barjavel fut même destinataire à titre personnel de l’un des premiers exemplaires de cartes ! Dans ce roman, l’utilisation de la clé ne se limite pas au paiement, elle sert aussi plus largement à s’identifier vis-à-vis de la collectivité. À cet égard, il est bon de se souvenir que l’idée de carte à puce universelle est un produit technologique maintenant parfaitement défini, mais dont la mise en place s’oppose encore à des considérations d’ordre plutôt psychologiques, éthiques et de stratégie commerciale.

– Interconnexion d’ordinateurs en réseau pour la résolution d’un problème de traduction ou de décryptage.

Les premiers mots prononcés par Eléa – après la découverte de la Sphère – et la compréhension de la langue de Gondawa se résoudront par la mise en commun mondiale des systèmes informatiques interconnectés pendant le temps de cette recherche. Chaque système analysera une part des configurations linguistiques possibles, jusqu’à ce que la phrase prononcée par Eléa devienne compréhensible. Il en sera ainsi pour tout les autres textes découverts dans l’Abri.

Au plan de la forme, La nuit des temps écrit pour le cinéma est riche en rebondissements. Les scènes d’action y sont parmi les plus prenantes et les plus angoissantes qu’ait écrites Barjavel. L’auteur ne s’encombre pas des conventions littéraires. C’est un roman très « parlant », qui regorge de dialogues et d’interjections ou de scènes sonores très descriptives. Les dialogues sont nombreux, sans sacrifier au texte, et l’un déborde parfois sur l’autre sans les transitions classiques. Barjavel dose aventure et suspens avec narrations épiques et épopée fantastique tout en jonglant avec des dialogues vivants et réalistes et des textes d’une teneur poétique propre au grand romancier.

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