Mémorialiste français.
Fils de Claude, premier duc de Saint-Simon et favori de Louis XIII, Louis de Rouvroy fut élevé dans la mémoire du vieux roi et dans le respect des valeurs du début du dix-septième siècle. Parmi les fréquentations des Saint-Simon, on compte le financier Desmarets, la riche et puissante famille des Pontchartrain-Phélypeaux, qui donneront plusieurs ministres à la France et le notaire Arouet, père de Voltaire. Le jeune Saint-Simon fut lui-même l’ami personnel de Philippe d’Orléans, futur Régent. Un enfant doué comme Saint-Simon, grandissant au sein d’une famille idéalement placée dans le cercle des puissants, ne put que développer une sensibilité politique et s’intéresser à ce milieu.
En 1683, afin de se rapprocher de la cour, la famille Saint-Simon s’installa dans un modeste hôtel particulier de Versailles. En 1691, Claude de Saint-Simon engage son fils de seize ans dans les mousquetaires gris, sous la bienveillance de Louis XIV. A la même période, Saint-Simon commence à écrire, même si l’essentiel des « Mémoires » ne fut écrit que lors du règne de Louis XV. Parmi ses récits de cette période figurent la prise de Namur en 1692 à laquelle il participa, et la défaite désastreuse à La Hougue face aux forces navales anglo-hollandaises. Il écrivit également sur les mariages des bâtards de Louis XIV envers lesquels il eut une antipathie sans borne. Il fit enfin les portraits de deux des hommes qu’il haïra le plus, l’abbé Dubois et le futur maréchal de Villars.
A la mort de Claude en 1693, son fils hérita donc du titre de duc à l’âge de dix-huit ans. A cette époque eut lieu un évènement important que Saint-Simon ignorera dans ses mémoires : la grande famine de 1693, qui entraîna la mort de plus d’un million de personnes. Pendant ce temps, le désormais duc prit part à une série de victoires militaires, à Neerwinden, à Charleroi, en Espagne et en Italie. Il hérita également des propriétés de son père et des faveurs royales que celui-ci détenait. Cette position lui permit désormais de hausser le ton pour défendre ses intérêts, par exemple lorsque le maréchal de Luxembourg voulut accroître son rang parmi les pairs, rabaissant en conséquence le rang de Saint-Simon ; de même ne fut-il pas très heureux de la décision de Louis XIV d’instaurer la capitation, un impôt qui frappait toutes les familles de France et qui se calculait en fonction du rang social.
Dans le même temps, Saint-Simon prépara son mariage avec Mlle de Lorges, fille du général qui le commanda pendant les campagnes du Rhin, mais qui avait surtout l’heureuse idée d’avoir un grand-père maternel financier, lui assurant par conséquent une dot importante. Alors que Saint-Simon se mariait, d’illustres figures de ce siècle disparurent : La Fontaine, Mignard, Mme de Sévigné ou La Bruyère ; l’armée française fut battue et quasiment humiliée en 1695 à Namur. Le traité de Ryswick (1697) mit finalement un terme à la guerre de la Ligue d’Augsbourg, ainsi qu’à la carrière militaire de Saint-Simon.
Au début du siècle suivant, alors que la guerre de succession espagnole devint un problème politique important et que l’Angleterre, les Pays-bas et le Saint Empire déclarèrent la guerre à la France, Saint-Simon put enfin se loger dans un petit appartement au château de Versailles. Cela lui permit d’être un fin observateur du spectacle permanent de la grande et de la petite histoire du monde. Se nourrissant essentiellement des sujets de cour, il remarque à peine les victimes du grand hyver de 1709 qui fit plus de 600 000 morts. Il note par contre la famine qui frappa la France et les conséquences de celle-ci.
Saint-Simon, de moins en moins en faveur auprès du roi, forma alors avec Fénelon, Beauvilliers et le duc de Chevreuse un groupe qui portait toutes ses espérances sur le duc de Bourgogne. Saint-Simon écrivit plusieurs propositions de réformes afin de faire revenir l’ordre et la prospérité. La mort du dauphin en 1712 mit fin à ses espoirs. Il continua toutefois à soumettre des documents – signés ou anonymes – proposant des réformes, en vint même à y défendre le tiers-état et les paysans, victimes de la crise et de la guerre ; tout en continuant à défendre son rang contre les prétentions du duc de Maine ou de La Rochefoucauld (petit-fils de l’auteur des « Maximes »).
La légitimation des bâtards de Louis XIV en 1714 constitua aux yeux de Saint-Simon une décision désastreuse, et cette position renforça son ostracisme au sein de la cour. La mort du roi et la régence de son ami Philippe d’Orléans marquèrent son retour en grâce. Il devint membre du conseil de régence, entra en possession du château de Meudon qui lui fut donné par le Régent en 1719. En 1722, il fut envoyé en Espagne comme ambassadeur extraordinaire, y négocia deux mariages entre les Bourbon français et espagnols.
Après la mort du Régent en 1723, Saint-Simon se retira de la vie de cour. Pendant cette semi-retraite, il tomba sur le journal du courtier Philippe de Courcillon, marquis de Dangeau, à la lecture duquel il fut choqué par les flatteries et les mensonges qui y abondaient. Il décida alors d’écrire son propre journal, un récit véridique de l’histoire de son temps. Cela donna naissances aux « Mémoires », fortes de 2754 pages manuscrites mêlant intrigues de cour et politiques royales entre 1691 et 1723, qu’il rédigea d’un style fin et spirituel, et où il invoqua les dégâts causés par la monarchie absolue pour en prédire la chute. Selon les vœux de l’auteur, les « Mémoires » ne furent publiées dans une version incomplète qu’en 1788, et furent publiées dans leur version définitive en 1830.
En présentant un point de vue unique des coulisses de Versailles, et malgré une partialité qu’il admit lui-même, les « Mémoires » composent un portrait fidèle de la vie quotidienne à la cour, des différentes factions qui y évoluaient et des intrigues qui s’y déroulaient. Source incomparable pour les historiens et les sociologues, les « Mémoires » de Saint-Simon inspirèrent également d’illustres écrivains comme Stendhal et Proust, et demeurent un chef d’oeuvre de la littérature française et du genre mémorialiste.