Paul Eluard

Eluard, A mes amis exigeants, La poésie doit avoir pour but la vérité pratique

Poème étudié

« La poésie doit avoir pour but la vérité pratique »

À mes amis exigeants

Si je vous dis que le soleil dans la forêt
Est comme un ventre qui se donne dans un lit
Vous me croyez vous approuvez tous mes désirs

Si je vous dis que le cristal d’un jour de pluie
Sonne toujours dans la paresse de l’amour
Vous me croyez vous allongez le temps d’aimer

Si je vous dis que sur les branches de mon lit
Fait son nid un oiseau qui ne dit jamais oui
Vous me croyez vous partagez mon inquiétude

Si je vous dis que dans le golfe d’une source
Tourne la clé d’un fleuve entr’ouvrant la verdure
Vous me croyez encore plus vous comprenez

Mais si je chante sans détours ma rue entière
Et mon pays entier comme une rue sans fin
Vous ne me croyez plus vous allez au désert

Car vous marchez sans but sans savoir que les hommes
Ont besoin d’être unis d’espérer de lutter
Pour expliquer le monde et pour le transformer

D’un seul pas de mon coeur je vous entraînerai
Je suis sans forces j’ai vécu je vis encore
Mais je m’étonne de parler pour vous ravir

Quand je voudrais vous libérer pour vous confondre
Aussi bien avec l’algue et le jonc de l’aurore
Qu’avec nos frères qui construisent leur lumière

Introduction

Nous allons étudier un poème de Paul Eluard intitulé « La poésie doit avoir pour but la vérité pratique ». Le poète a appartenu au surréalisme et au dadaïsme. Il s’agit moins d’un poème, malgré son allure générale très organisée avec anaphore et images travaillées, que d’un manifeste. La deuxième partie est dominée par le thème de l’engagement, mais le début semble exagérer les clichés poétiques, sans pourtant arriver à les affadir, il y a distance mais non renonciation. Le thème central est donc celui de l’engagement. Nous allons étudier dans un premier temps la distance prise par rapport à la poésie, puis, en second lieu, nous analyserons les valeurs poétiques.

I. La distance prise par rapport à la poésie

1. Les trois mouvements du poème

Les quatre premières strophes sont structurées par anaphores tant au début qu’à la fin, « si je vous dis », « vous me croyez ». Il y a un enjambement entre le premier et le dernier vers. Chaque cœur des quatre strophes contient une image et nous constatons une gradation dans la difficulté des images, l’élargissement et dans la réaction envisagée de la part des destinataires, « encore plus », vers 12. Ce même vers est composé de deux sujets et le verbe achève la strophe. La conjonction de coordination « mais » au vers 13 marque une rupture et annonce le deuxième mouvement. Elle marque une opposition. Nous retrouvons une anaphore au vers 15 avec une reprise du même type de tournure. Les strophes 5 et 6 correspondent au deuxième mouvement, puis, le changement de temps, le futur marque une nouvelle rupture et le référent devient le locuteur lui-même au vers 19, nous sommes dans le troisième mouvement.

Dans le premier mouvement, il y a prise à partir d’un destinataire. Les destinataires attendent une certaine poésie de la part du locuteur. On a une réflexion sur la poésie et le locuteur se cite lui-même, « si je vous dis ». Dans le deuxième mouvement, nous avons le thème du patriotisme, le destinataire n’a pas conscience que la poésie rassemble les hommes, elle doit parler du monde. Enfin, dans le troisième mouvement, Eluard tente de convaincre les destinataires ; Il leur promet de les faire changer en les touchant par les sentiments, « d’un seul pas de mon cœur ». Il propose de réconcilier les deux poésies, parler de la nature et des causes politiques, « Quand je voudrais vous libérer pour vous confondre | Aussi bien avec l’algue et le jonc de l’aurore | Qu’avec nos frères qui construisent leur lumière. »

2. Le paratexte

Le titre « deux poètes d’aujourd’hui » est une réflexion sur la poésie soucieuse de s’adapter à son époque. Nous ressentons la nécessité pour le poète de s’engager face à l’oppression, c’est un engagement communiste. La dédicace, « A mes amis exigeants », dévoile un problème de justification et de reproches, elle a une connotation péjorative. Cela peut-être laudatif car les exigences marquent l’estime et la volonté de communiquer. Le destinataire est défini, « amis exigeants », « mes » nous renvoie au locuteur. Cette poésie est un peu comme une préface, c’est un message du locuteur à des destinataires.

3. L’énonciation

La première personne du singulier désigne le poète, nous notons la présence de verbes de parole, « dire », « chanter ». On retrouve également le champ lexical de la parole. Le locuteur parle à des destinataires à la deuxième personne du pluriel. Des lecteurs de la poésie simple qui ne cherchent pas à s’engager. Nous n’avons pas d’indices spatio-temporels si ce n’est au vers 19, un projet pour l’avenir, « je vous entraînerai » et un changement d’état au vers 20, « Je suis sans forces j’ai vécu je vis encore ».

II. Les valeurs poétiques

1. Les champs lexicaux

Nous avons le champ lexical de la nature, « forêt », « soleil », « vent », « pluie », « branche », « nid », « oiseau », « source », « verdure », « fleuve »… Celui de l’amour, « ventre », « lit », « se donner », « désirs », « paresse de l’amour », et « cœur », pour la métonymie de l’affectivité. A ces deux champs lexicaux, s’ajoutent ceux de l’engagement et de l’écriture avec, « dis », « expliquer le monde et le transformer », « parler », « libérer », « confondre », « construire ».

2. Les images

Dans la strophe première, nous avons une comparaison entre le soleil dans la forêt et la fécondité, nous avons l’idée de pénétration, de mélange de la lumière et de l’obscurité, de la sécheresse et de l’humidité, de l’horizontalité et de la verticalité. Le « ventre » est une métonymie de la femme. « Se donne » connote la générosité et « lit », l’intimité. Dans la strophe numéro deux la métaphore entre le jour de pluie et de cristal domine, elle suggère le mélange de la lumière et de l’obscurité, les gouttes de pluie ressemblent à du cristal sur le plan visuel et le verbe « sonner » satisfait notre curiosité sur le plan auditif. Nous relèverons l’allégorie avec la métaphore, « les branches de mon lit » dans la strophe trois. C’est une image de la construction de la vie avec une périphrase à la troisième personne, « un oiseau qui ne dit jamais oui ». Dans la quatrième strophe, il y a une image topographique qui mélange l’idée de départ et d’arrivée. La source entraîne un fleuve, ce qui souligne l’espoir. Enfin, dans la strophe 7 au vers 20, nous avons une idée de résurrection avec une rupture avec le passé. La réconciliation domine au vers 23. Le poème se termine sur une connotation humaniste et politique, « nos frères » qui construisent un monde meilleur, « construisent leur lumière ».

Conclusion

Cette poésie accorde de l’importance à l’inspiration, nous avons un enthousiasme des convictions, du sentiment qui donne envie au poète de célébrer ses idées. Il prend la parole au nom des êtres humains, c’est un porte parole de l’amour et de l’espérance que ressentent les hommes. C’est une poésie de la résistance qui repose sur des images, une polysémie et la connotation des mots. Eluard redonne de la vie à la réalité et de la saveur aux sensations. L’amour intensifie la vie, donne de la générosité pour s’ouvrir au monde. La poésie a le même rôle, c’est une forme d’action car elle débouche sur un échange entre l’auteur et le lecteur. Le poète désire que la poésie soit une libération pour l’homme car elle doit permettre le progrès de l’humanité.

Du même auteur Eluard, Les dessous d'une vie, La Dame de Carreau Eluard, Giorgio de Chirico Eluard, Capitale de la douleur, La Courbe de tes yeux

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