Pierre de Beaumarchais

Beaumarchais, Le Mariage de Figaro, Acte V, Scène 3, Commentaire 2

Texte étudié

O femme ! Femme ! Femme ! Créature faible et décevante !… nul animal créé ne peut manquer à son instinct : le tien est-il donc de tromper ?… Après m’avoir obstinément refusé quand je l’en pressais devant sa maîtresse : à l’instant elle me donne sa parole, au milieu même de la cérémonie… Il riait en lisant, le perfide ! Et moi comme un benêt… Non, monsieur le Comte, vous ne l’aurez pas… Vous ne l’aurez pas,. Parce que vous êtes un grand seigneur, vous vous croyez un grand génie!… Noblesse, fortune, un rang, des places, tout cela rend si fier! Qu’avez-vous fait pour tant de biens ? Vous vous êtes donné la peine de naître, et rien de plus. Du reste, homme assez ordinaire ; tandis que moi, morbleu! Perdu dans la foule obscure, il m’a fallu déployer plus de science et de calculs pour subsister seulement, qu’on n’en a mis depuis cent ans à gouverner toutes les Espagne et vous voulez jouter… On vient… C’est elle… ce n’est personne. La nuit est noire en diable, et me voilà faisant le sot métier de mari, quoique je ne le sois qu’à moitié ! (il s’assied sur un banc). Est-il rien de plus bizarre que ma destinée ? Fils de je ne sais pas qui, volé par des bandits, élevé dans leurs mœurs, je m’en dégoûte et veux courir une carrière honnête ; et partout je suis repoussé ! J’apprends la chimie, la pharmacie, la chirurgie, et tout le crédit d’un grand seigneur peut à peine me mettre à la main une lancette vétérinaire ! – Las d’attrister des bêtes malades et pour faire un métier contraire, je me jette à corps perdu dans le théâtre : me fussé-je mis une pierre au cou ! Je broche une comédie dans les mœurs du sérail. Auteur espagnol, je crois pouvoir y fronder Mahomet sans scrupule : à l’instant un envoyé… de je ne sais ou se plaint que j’offense dans mes vers la sublime porte, la Perse, une partie de la presqu’île de l’Inde, toute l’Égypte, les royaumes de Barca, de Tripoli, de Tunis, d’Alger et de Maroc ; et voilà ma comédie flambée, pour plaire aux princes mahométans, dont pas un, je crois ne sait lire, et qui nous meurtrissent l’omoplate en nous disant : chiens de chrétiens ! – Ne pouvant avilir l’esprit on se venge en le maltraitant – Mes joues creusaient mon terme était écu : je voyais de loin arriver l’affreux recors, la plume fichée dans sa perruque; en frémissant je m’évertue. Il s’élève une question sur la nature des richesse ; et comme il n’est pas nécessaire de tenir les choses pour en raisonner, n’ayant pas un sol, j’écris sur la valeur de l’argent et sur son produit sitôt je vois du fond d’un fiacre baisser pour moi le pont d’un château fort, à l’entrée je laissai l’espérance et la liberté.

Introduction

Nous allons étudier le monologue de Figaro extrait de l’acte V, scène 3 du Mariage de Figaro de Beaumarchais. Il s’agit du monologue le plus long du théâtre classique du XVII et XVIIIème siècle et de la scène la plus célèbre de l’œuvre. Figaro qui croit que Suzanne le trompe avec le comte, s’est rendu dans le parc de la salle de marronnier afin de s’en assurer. Il croit savoir en effet que Suzanne y a donné rendez-vous à son maître. Vêtu d’un grand manteau sur les épaules et d’un large chapeau, il se rend sur les lieux. Il vient d’éloigner tous ceux qui seront les témoins de la trahison de Suzanne et de la duplicité du maître. Il se retrouve seul dans l’obscurité, se promène en attendant que les évènements se précisent, le temps s’immobilise et Figaro va faire le récit de sa vie, et s’interroge sur lui-même, donnant libre court à sa verve contre les différentes injustices sociales et politiques sans réelle importance dramatique. L’action est arrêtée, ce monologue est cependant parfaitement inséré dans la situation : il s’agit de mettre en avant la colère de l’homme blessé qui s’apaise. La créature faible et décevante redevient Suzanne à la fin du monologue. Grâce au retour de Figaro sur lui-même, Figaro a retrouvé la force d’affronter le comte. L’action peut reprendre de plus belle. Nous aborderons ce monologue selon deux axes de lecture, dans un premier temps, nous analyserons le mouvement du monologue, puis en second lieu, sa portée satirique.

I. Le mouvement du monologue

1. Le mouvement

Le monologue s’ouvre sur un Figaro accablé, terriblement jaloux qui s’en prend à Suzanne et à travers elle à la femme ainsi que le suggère la première phrase. Il en vient à douter de Suzanne et de toutes les femmes en général. Le comte devient un rival, il lui jette un défi et s’en prend à la noblesse. Puis, il finit par s’asseoir sur un banc, devient songeur prenant une attitude méditative et en vient donc à réfléchir sur sa situation et son identité.

2. Une introspection

Il évoque son passé d’abord, ses origines obscures, son évasion de chez les brigands, ses études qui ne le conduisent qu’à être vétérinaire. Il s’étend sur les tentatives d’ascension sociale, ses talents, ses ambitions et ses déboires d’auteur, au théâtre, sa comédie est censurée car il parle de la religion musulmane et s’est mis tous les pays musulmans contre lui. Il s’essaye à la philosophie, il rédige un mémoire sur les richesses qui lui valent la prison. En souvenir de cet emprisonnement, il a une pensée pour le tribunal, se lève, lance un trait de satire contre l’autorité politique. Il continue à récapituler, concernant le journalisme, il est dit que son journal est inutile. Cette ultime tentative de réussir marque une transition. A l’étape suivante de sa vie, il se trouve rejeté dans les marges de la société et obligé de vivre d’expédients. Il renonce aux lettres. Il postule pour un emploi public, « mais on lui préfère un danseur ». Enfin il se fait barbier. Il prolonge l’introspection en s’interrogeant cette fois sur son identité insaisissable. A la fin du monologue, il revient à son point de départ, renouvelle son imprécation mais en employant cette fois, le diminutif affectueux « Suzon » par trois fois qui montre que le personnage a changé d’état d’esprit. Un bruit de pas le ramène à l’instant de crise. Il redevient le valet de comédie, se redresse et se prépare au combat il a retrouvé les forces nécessaires pour affronter son destin. Les didascalies soulignent les phrases successives du monologue. Nous sommes donc passés du conflit à l’introspection, du désespoir d’ascension sociale à la chute et du rappel du passé à l’interrogation sur l’identité. Enfin, malgré sa longueur, le monologue s’inscrit parfaitement dans la situation. Il trouve naturellement son point de départ dans la jalousie de Figaro.

II. La portée satirique

1. La monarchie du siècle des lumières

Le monologue nous éclaire sur le thème fondamental de la pièce. La naissance et ses privilèges étouffent l’expression du mérite personnel. La critique porte essentiellement sur le fait que la monarchie du siècle des lumières laissait se former nombre de roturiers, mais leur refusait très généralement les places importantes, réservant les emplois aux seuls fils de la noblesse.

2. Censure des ouvrages religieux

La critique porte encore sur la censure des œuvres d’esprit religieux. La comédie écrite par Figaro est interdite. Nous avons une allusion transparente à la religion chrétienne en matière de pouvoir. C’est la seule satire contre la religion que contient la pièce.

3. Censure du pouvoir politique

Nous avons une critique de l’arbitraire du pouvoir politique concernant la justice pénale qui est mise en valeur par l’accumulation verbale. L’accumulation produit un effet comique. Le langage a une fonction dynamique comme Rabelais qui est de susciter le mouvement et le mouvement lui-même éveille le rire. La critique du manque de liberté de la presse repose sur l’énumération ironique. La censure est désignée par l’antiphrase, « douce liberté ». C’est la satire des différentes formes de censures qui l’emporte au détriment de la critique politique Beaumarchais cherche à plaire, non à être original, il se contente de se faire l’écho des critiques les plus répandues dans l’opinion.

Conclusion

Beaumarchais exploite l’une des fictions du monologue théâtral, donner au public une connaissance de la vie intérieure du personnage. C’est un procédé dramaturgique pour doter le personnage d’une intériorité.

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