Y-a-t-il un progrès dans l’art ?

L’idée de progrès est ce mouvement qui avance vers un meilleur état d’un être. Le progrès technique, par exemple, tend vers un progrès afin de mieux cerner l’efficacité. Et si l’art dans son sens classique est la production d’une belle œuvre par un créateur conscient, parler de progrès serait avoir à l’esprit une évolution des critères du beau. A ce sujet, il semble y avoir des appréciations consensuelles sur les œuvres, en affichant des précisions techniques dans la forme de l’art. Et face à des critères observables, l’on est tenté de formuler une hiérarchisation dans les œuvres d’art, donc de supériorité et de dépassement. Toutefois, l’aspect subjectif de la création et du goût pose problème, on peut encore préférer le cinéma en noir et blanc que celui en couleur. Ainsi se formule un problème : la variété des productions artistiques selon les frontières et les époques nous met-elle en position pour déterminer un progrès au même titre que les autres disciplines ? Face à ce dilemme profond, nous allons scruter les coulisses des artistes pour découvrir que la culture, dans son sens général, propulse l’art dans une dimension plus évoluée. Par contre, ces restrictions n’atténuent en rien le degré artistique d’une œuvre, en ce sens que la beauté ne progresse pas, elle est éternelle.

I. Le progrès dans l’art se fait en rapport avec la culture artistique

A. L’art se conditionne avec les limites culturelles de l’artiste

En évoquant le mot « culture », nous nous retrouvons dans un cadre de pensée et de représentation, mais aussi de règles qui déterminent les possibilités de l’agir humain. A part l’œuvre proprement, il y a un sens incorporé dans celle-ci, un sens qui découle du vécu ou de l’imagination de l’artiste, et qui sera par la suite soumis à un public, amateur ou avisé en matière d’art. D’ailleurs, une œuvre acquiert son véritable statut autant qu’elle est plébiscitée. Ainsi, elle sera accueillie ou bannie selon les normes sociétales en vigueur, y compris les tabous et les interdits qui subsistent dans la communauté. Soulignons que l’artiste se développe également au sein d’une société. Mais une fois qu’il élargit ses horizons vers d’autres contrées plus lointaines, il sera soumis à d’autres perspectives dans ses activités artistiques, notamment dans une plus ou moins de liberté dans ses créations. Il suffit de considérer le constat de Marcel Mauss dans Les techniques du corps pour acquiescer ce point de vue : « Enfin, il faut savoir que la danse enlacée est un produit de la civilisation moderne d’Europe. Ce qui vous démontre que des choses tout à fait naturelles pour nous sont historiques. Elles sont d’ailleurs sujet d’horreur pour le monde entier, sauf pour nous ».

B. L’art progresse avec la connaissance minutieuse de la matière

« L’activité du génie ne paraît pas le moins du monde quelque chose de foncièrement différent de l’activité de l’inventeur en mécanique, du savant astronome ou historien, du maître en tactique », disait Nietzsche dans Humain, trop humain. Si l’art s’exprime dans la manipulation d’une matière, l’artiste doit être d’une part un chercheur qui s’intéresse sur les propriétés de celle-ci. Il doit consulter les différentes sciences qui s’y portent et suivre leur progrès. Par exemple, la « method acting » de Stanislavski demande à l’acteur de se cultiver sur les avancés de la psychologie et de la physiologie des émotions. L’enjeu de la connaissance de sa matière est bien sûr d’ordre pratique pour une meilleure expressivité. La maîtrise de la matière rend alors possible un effet plus réaliste dans l’ensemble de l’œuvre. La « classical acting », la méthode traditionnelle dans le métier de l’acteur, dénote par contre une créativité moindre aux yeux de certains critiques d’art, car elle ne s’occupe que de la précision de la performance selon ce qui est décrit dans un script. La « method acting », s’intéressant plus profondément à l’émulation émotionnelle du personnage, grâce à une certaine expertise de la psychologie, permet une meilleure improvisation en se projetant dans une situation « réelle ». On peut aussi prendre l’exemple de la révolution de la gastronomie dans l’avènement de « la cuisine moléculaire » qui dépeint la figure du chef comme un véritable artiste-chimiste, à l’instar du grand Heston Blumenthal.

On peut dès lors comprendre pourquoi on peut parler de progrès en art, dès qu’on aperçoit l’évolution des connaissances qui permettent de meilleures perspectives et de manipulations. Toutefois, est-ce bien parler de l’art en soi et non seulement de cette auxiliaire qui le soutient ?

II. Il n’y a que des meilleures créativités en art

A. Le progrès technique ne conditionne pas la qualité esthétique d’une œuvre

S’il y a bien un conditionnement technique de l’ « expression », cela ne dit rien en ce qui fait l’art comme étant une œuvre à part entière. Par exemple, les « blockbusters » du cinéma actuel, riche des meilleurs moyens techniques que l’industrie peut offrir, ne sont pas pour autant universellement applaudis par les critiques d’art. Les agrégations de critiques comme « rotten tomatoes » pointent du doigt des inconsistances qui sont le fruit du progrès technique et ne garantissant nullement davantage d’esthétisme. Comment se fait-il que les films de Yasujiro Ozu, peu connu internationalement (des années 30-60), utilisant les matériels les plus basiques et refusant de se conformer à des perspectives cinématographiques qui font autorité, notamment le « tracking » (le fait de déplacer la caméra au cours d’une prise de vue), rivalisent, aux sensibilités des critiques (entre 88% et 100% sur le site de rotten tomatoes) avec certaines grandes productions hollywoodiennes contemporaines, moyennant des experts internationaux et les outils cinématographiques derniers cris comme l’Avatar de James Cameroun (82%) ? En fait, l’art c’est aussi l’art de mettre en œuvre ses moyens. Les moyens d’expression peuvent être contraignants, au-dessous d’un minimum nécessaire selon la forme d’art, mais les critiques comprennent bien que l’art, c’est aussi la mise en situation originale de la matière. De manière subtile, les cinéphiles sont miraculeusement soumis à son charme face à une telle simplicité sans savoir comment. Kant, dans son Critique du jugement, dirait tout simplement : « Est beau ce qui est reconnu sans concept comme l’objet d’une satisfaction nécessaire ».

B. L’art est en situation

En fait, la création artistique est en situation. L’artiste peut choisir d’améliorer une perspective, mais sait-il véritablement où il va ? Il se dit peut-être que s’il ajoute une nouvelle couleur, que s’il change autrement la prise de vue ou que s’il adopte un nouveau mouvement il tend vers un dépassement, mais sans la moindre référence. Ne s’agit-il pas plutôt d’un flux intuitif qui se dévoile et se développe dans la lutte de l’artiste avec la matière ? Alain désigne ce mouvement selon cette définition tirée de Vingt leçons sur les Beaux-Arts : « On nomme inspiration ce mouvement de nature qui dépasse nos espérances ; et l’artiste est l’homme en qui la réalisation, par le chant, par la construction, par la peinture, par le dessin, l’emporte de loin su l’imagination seulement mentale, qui promet tant, et qui tient si peu ». Fondamentalement, l’artiste croit en son intuition, il ne préfère pas une perspective ou une méthode à une autre parce qu’elle correspond à une amélioration, il le choisit car il est convaincu que c’est elle qui exprime le mieux son intention. En ce sens, l’artiste inférieur n’est pas celui qui a le moins étudié et exercé une forme d’art et son concept, mais un artiste qui n’a pas su montrer une plus grande créativité dans son projet, c’est celui qui a le plus peur de prendre des risques dans le souci du conventionnalisme. Certainement, un artiste ne réinvente pas la roue et en maitrise les concepts, développe son imagination, mais ne pas de façon inconditionnelle : ils font une certaine économie d’inspiration, mais fondamentalement l’artiste peut puiser partout sa muse.

Comment donc définir ce qui progresse en art, s’il est possible d’en parler alors que les questions de goût forment des impasses ? On peut bien parler de progrès culturel dans l’art. D’abord, le débordement des idées sagement rangées dans le for intérieur de l’artiste, parfois en marge des opinions dominantes, montre un réel progrès dans ce qui mérite d’être dit ou pas en art. Ensuite, une forme d’art évolue naturellement avec le progrès de la connaissance de sa matière. Cependant, cela ne concorde pas fondamentalement en ce qui fait l’art en soi. Ce ne sont que des moyens qui appuient l’artiste. Ce n’est pas la richesse de moyens techniques qui font la beauté dans la production d’une « œuvre d’art », mais plutôt l’ingéniosité de l’artiste à manipuler les techniques à sa disposition, même les plus basiques, dont le résultat est esthétiquement appréciable. En fait, l’art présente de nombreuses polémiques : la création artistique est un processus intuitif qui ne s’inspire pas forcément des meilleures conventions. En somme, on peut dire qu’il n’y a ni progrès en art, car les techniques ne sont que des moyens, ni un manque de critère, car une création se juge sur son originalité esthétique. En art, il n’y a que des découvertes.

 

 

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