La culture nous protège-t-elle contre la violence ?
Sachant que la culture est un producteur spirituel, nous pouvons assimiler la culture avec la notion de civilisation. En effet, le propre de l’homme est d’adapter son environnement naturel et social en fonction de concepts qu’il a créés. Dans son rapport à immédiat, l’homme s’identifie à sa culture, c’est-à-dire à l’ensemble des produits spirituels d’un groupe social donné. On distingue alors la langue, la technique et les sciences, les coutumes et les religions et l’art. Or, à travers la comparaison et les jugements, certaines cultures peuvent se sentir supérieures et d’avoir le droit de mépriser les autres. De par l’éducation que nous avons reçue, nous devrions cependant plutôt faire preuve de tolérance et de compréhension de la diversité. On problématisera alors la question en nous demandant, dans quelle mesure la culture nous mettrait-elle à l’abri de cette tendance agressive de domination ? Pour éplucher ce questionnement, il faut dire en premier lieu que la communication, par le biais du langage, permet un échange et une compréhension mutuelle.
I. La culture nous ouvre à la diplomatie grâce au langage
1. Le langage permet un rapprochement des civilisations
La culture est la fondation d’une civilisation. Elle est le produit de l’esprit des hommes qui forme ces derniers à développer le potentiel de son humanité. Mais il faut d’abord savoir que sa base et son support sont le langage. Le langage est le support de la transmission du savoir, et principalement l’outil de l’échange de la pensée articulée. « Instrument universel de nos communications mutuelles, le langage doit toujours suivre la même marche qu’elle. Sa destinée se règle donc sur celle de la société humaine, donc j’ai déjà caractérisé l’évolution nécessaire », disait Comte dans Système de politique positive. C’est par le langage que les hommes peuvent déployer une organisation politique et négocier leurs intérêts, au lieu de recourir à la violence physique contreproductive. Premièrement, le langage a toujours raison de l’impulsion. C’est la conscience qui suspend nos tendances ou qui regrette leurs effets, mais cette conscience ne saurait passer à la réflexion analytique sans l’articulation des signes qu’est le langage. Ce principal support culturel est ce qui fait fondamentalement que la pensée pense. Il s’ensuit que l’homme qui pense fait parler sa raison en s’ouvrant un dialogue avec lui-même.
2. Le langage est la condition pour reconnaitre autrui
Deuxièmement, puisque le langage permet de communiquer, il est l’accès ultime à la connaissance d’autrui. Comment pourrais-je me faire connaître par autrui si je n’use pas du langage, ne serait-ce que par le moyen des images figuratives, des gestes ou encore la parole ? C’est toute l’expérience humaine qui transparaît dans le langage, dans la pensée d’autrui et dans la mienne, donc une expérience partagée. Kant exprimerait cela dans Qu’est-ce que s’orienter dans la pensée : « Penserions-nous beaucoup ou penserions-nous bien si nous ne pensions pas en commun avec d’autres qui nous font part de leurs pensées et auxquels nous communiquons les nôtres ? » Dans une différence de culture, donc de langage, nous usons certes de différents mots, donc une différence dans la forme, mais c’est toujours une expérience compréhensible par toute l’humanité que je partage avec autrui. Après tout, apprendre une autre langue, à part sa fonction utilitaire, est un acte de bienveillance pour embrasser la culture de l’autre. C’est pouvoir s’ouvrir à l’expérience particulière des autres. Nous remarquons quand nous traversons ce pont que les hommes d’à côté connaissent la joie et l’angoisse de la mort, les vicissitudes de la guerre et le besoin de fraternité, la valeur de l’effort du travail et sa pénibilité. En tout, c’est la condition humaine qui y transparait.
On comprend dès lors que le langage, qui est un élément significatif d’une culture donnée, est important dans la maitrise de soi, la tolérance et la sympathie. Mais malgré l’ouverture à la communication, il n’est pas assuré que certaines cultures ou certains hommes ne se sentent pas supérieurs vis-à-vis des autres. Ce sentiment pourrait les influencer leur attitude pour légitimer toute forme de domination.
II. L’intolérance à la diversité culturelle entraîne la violence
1. La culture rend le différend méprisable
La culture, c’est aussi ce qui prend conscience de l’étrangeté des autres, donc méprisables. D’un groupe d’homme à un autre, la culture est une sphère où des hommes partagent un même esprit par l’habitude des traditions et l’incorporation des valeurs communément admises. Elle est ce cercle qui nous fait dire que « nous sommes », et par conséquent que « vous êtes ». Aussi, c’est là le danger, comme disait d’ailleurs Montaigne : « Se trouve autant de différence de nous à nous-mêmes que nous à autrui ». La vision d’une autre habitude ou d’une autre tradition n’est jamais a priori accueillie à bras ouvert. Puisque les autres n’ont pas les mêmes valeurs « normales » que nous, il est difficile de les considérer respectueusement. Dans l’extrémisme de sa distinction, la culture nous éduque à la valorisation de la nationalité, elle nous demande de verser notre sang pour une identité abstraite, fut-il au prix de la vie d’un homme pourtant de chair, de sang et d’âme comme nous, qui a le malheur de ne pas partager cette dernière. On demande même à Dieu dans nos hymnes de nous favoriser. Chose étonnante, puisque qu’on attribue souvent aux dieux la transcendance universelle.
2. La culture n’empêche pas l’usage de la violence.
On se demandera comment Hitler peut-il être un grand admirateur d’Hamlet, ou Fidel Castro un lecteur des misérables de Victor Hugo, car l’histoire a certifié de leur attitude violente. Lisent-ils ces ouvrages à travers des pensées idéologiques déjà fermes, ou avec une certaine ouverture d’esprit ? Une chose est sûre, cela ne les a pas empêchées de préférer la violence à la diplomatie. Mais remarquons aussi que même un pacifiste comme Gandhi admet que la violence est parfois un moyen efficace et non négligeable. Selon ce dernier, « là où il n’y a le choix entre lâcheté et violence, je conseillerai violence. Je cultive le courage tranquille de mourir sans tuer. Mais qui n’a pas ce courage, je désire qu’il cultive l’art de tuer et d’être tué, plutôt que de fuir honteusement le danger ». Toutefois, la violence est la violence, elle est amorale en soi qu’importe le rapport de l’homme à la culture. Entre l’homme ouvert d’esprit par l’enrichissement culturel et celui qui a une vision close du monde, la violence sera toujours par nature impulsive et agressive, et dans sa maitrise, un moyen pour une fin. C’est à l’égard de cette idée de maitrise qu’on dit qu’il est préférable de se cultiver, or on remarquera qu’un homme sans culture extraordinaire peut tout autant être pacifiste. Les moines bouddhistes isolés dans leurs monastères ne savent rien des œuvres d’une mère Theresa ou celui de Nelson Mandela, ni ne regardent pas National Geographic pour se faire l’idée de la diversité culturelle. Certes, ils ont une culture, celui des enseignements d’un maitre, mais ces maitres comme Jésus Christ ou Bouddha, sont-ils au fond si éloigné d’eux quand ils méditent leur humanité ? Parfois, c’est justement dans l’idée qu’on est supérieurement cultivé qu’on s’arroge le droit de mépriser le vulgaire et manipuler la masse comme du bétail. En fait, ceux qui veulent unifier violemment les hommes reconnaissent et admettent la diversité, mais justement trouve cette unification dangereuse, et qu’il faut la dépasser par une idéologie transcendantale.
Le fond du problème est que la culture est à la fois une condition d’ouverture, et donc de compréhension et de tolérance, mais aussi d’enfermement qui stimule le mépris de l’étranger et sa domination. En effet, la culture est une condition d’ouverture à autrui du fait du langage. Le langage nous permet non seulement de mieux communiquer avec la raison et donc de nous maîtriser, mais il permet aussi de connecter les expériences de notre condition humaine avec autrui, ce qui nous amène à une meilleure sympathie. Pourtant, la rencontre avec l’autre n’est pas toujours aussi ouverte. Autrui, dans sa différence culturelle, ne partage pas les mêmes valeurs que moi. D’où s’ensuit la méprise. Mais fondamentalement, la violence est une réalité qui dépasse la culture. Justement parce qu’elle n’a pas de valeur en soi, elle est tout simplement naturelle. Les personnes richement cultivées peuvent autant l’utiliser que ceux qui le sont moyennement. Ceux qui se sentent supérieurs, amenés à la destinée d’unifier les hommes sous une bannière transcendante, sont de loin même les plus totalitaires.