Paul Eluard

Eluard, Giorgio de Chirico

Poème étudié

Un mur dénonce un autre mur
Et l’ombre me défend de mon ombre peureuse,
O tour de mon amour autour de mon amour,
Tous les murs filaient blanc autour de mon silence.

Toi, que défendais-tu ? Ciel insensible et pur
Tremblant tu m’abritais. La lumière en relief
Sur le ciel qui n’est plus le miroir du soleil,
Les étoiles de jour parmi les feuilles vertes,

Le souvenir de ceux qui parlaient sans savoir,
Maîtres de ma faiblesse et je suis à leur place
Avec des yeux d’amour et des mains trop fidèles
Pour dépeupler un monde dont je suis absent.

Eluard, Giorgio de Chirico

Questions possibles

? La relation entre le poème et l’univers du peintre ;
? La relation entre le peintre et le poète ;
? Comment Paul Eluard met-il en valeur le pouvoir créateur de l’artiste ?

Introduction

Eluard : poète engagé, surréaliste.
Les principaux thèmes de Chirico : paysages urbains avec des places bordées d’arcades, perspective italienne, paysages déserts … Il fit partie du mouvement « la peinture physique » (1910-1920), avec deux autres peintres : Carlo Carra et Giorgio Morandi.
Caractéristiques : un certain soucis de réalisme, une certaine volonté de renouer avec la peinture de la Renaissance, des perspectives forcées, des ombres pas toujours logiques, des décors de palais italiens, des places arcades désertes, des tours, des cheminées d’usines. Il groupe des objets de façon irrationnelle (des fragments d’objets, de statues, ce qui donne un caractère mystérieux, onirique), tonalité angoissante qui nait du vide, absence totale de nature, pas de mouvement. Ce mouvement métaphysique va beaucoup influencer trois peintres : Magritte, Dali et Max Ernst (peintres surréalistes). Chirico est le frère d’Alberto Savinio (écrivain italien). Il a vécu quelques années à Paris. Il était ami avec Paul Eluard.
Ce poème est extrait du recueil « Mourir de ne pas mourir » publié en 1924.

Le poème est composé de trois quatrains. Les vers sont tous en alexandrins sauf le premier (octosyllabe). Il n’y a pas de rime. C’est un poème ponctué. Il est un hommage à Chirico qui est le sujet principal.

Premier quatrain

Le premier quatrain évoque à partir de quelques éléments l’univers pictural de Chirico (Places d’Italie).

« mur », au premier et quatrième vers : donne l’impression d’être enfermé, et exprime l’univers architectural : la Tour, les murs.

Les « ombres » s’opposent au blanc : univers en noir et blanc situé au milieu du vers.

Vers 4 : alexandrin composé de deux hémistiches ; la césure est forte au milieu du vers.

Eluard évoque ainsi l’univers pictural du peintre. La lumière particulière, très tranchée, qui provoque des ombres illogiques. « les murs filaient » exprime l’importance de la perspective.

L’atmosphère qui se dégage du tableau va nous être évoquée par ce que ressent le poète : cette peinture exorcise les angoisses du poète car il les voit projetées sur la peinture de Chirico.

« l’ombre » est l’inconscient du poète : Le poète se fond dans le tableau et se libère de ses angoisses. Il s’identifie à l’univers du peintre.

La « tour » est le lien entre la terre et le ciel , l’humain et le divin, le matériel et le spirituel. La « tour » devient pour Eluard l’amour idéal qui rapproche du divin (allusion à Gala). On a des rimes internes. « Ô » exprime l’admiration, la vénération.

« autour » est utilisé deux fois dans le premier quatrain : plus on avance, plus le poète s’investit dans le tableau.

La structure est cyclique : on est parti d’un mur à tous les murs.

Le poète est au centre de l’univers mais il a pris un certain recul.

« autour de mon silence » connote les paysages déserts, déshumanisés. Le poète est seul dans cet univers, il médite et s’analyse.

Deuxième quatrain : dominé par le champ lexical de la lumière

« Toi, que défendais-tu » : Qu’est-ce-ue Chirico voulait représenter ? Le poète interpelle le peintre. Interrogation sur le sens de cette peinture. La poète a peur de faire un contre-sens.

Intervient alors un élément naturel « les feuilles vertes » qui s’oppose aux éléments architecturaux, nature qui est quasi-absente des oeuvres de Chirico. Il y a de plus une contradiction entre « insensible » et « abriter ».

« tremblant » : c’est le poète qui tremble. Il fait un écho avec l’impression qui se dégage du tableau.

« pur » : lumière, sans nuage.

Eluard retrouve dans la peinture de Chirico ses propres angoisses : « miroir ». C’est une façon des les partager, et le poète se sent rassuré.

Le « Ciel », c’est Dieu : ciel insensible et pur : il montre qu’il ne trouve pas de réconfort dans la religion.

Point commun entre Dieu et le peintre : la création. Eluard évoque le pouvoir créateur du peintre qui en vient à bouleverser les lois de la nature : « les étoiles de jour ». Le pouvoir du peintre est ainsi mis en valeur.

Sixième et septième vers : Chirico bouleverse les lois de la nature, on n’a plus de repères : il invente un tout autre univers, totalement imaginaire. Ce n’est plus la lumière du soleil créé par Dieu, c’est l’artiste qui crée.

Troisième quatrain

« mains trop fidèles » exprime les gestes d’amitié.

Le dernier quatrain est ainsi un hommage à Chirico.

Neuvième vers : Ceux qui jugeaient sans chercher à savoir ce que voulait dire sa peinture.

« maîtres de ma faiblesse » : au départ, Eluard était tout seul à défendre la peinture de Chirico. Le public était en effet défavorable face à cette nouvelle peinture.

Onzième vers : Il n’a pas le même regard à cause des liens qu’ils ont tissé. Il déclare qu’il n’est peut-être pas objectif mais que son amitié l’a peut-être aidé à comprendre sa peinture.

Douzième vers : « un monde » : soit les critiques dont Eluard ne partage pas les idées ; soit le monde de Chirico qu’il ne comprend pas bien.

Conclusion

Le poète présente l’univers d’un peintre et les sentiments qu’il suscite. On en apprend autant sur Chirico que sur Eluard. Eluard n’a retenu que quelques éléments qui lui permettent de suggérer une atmosphère, une impression d’ensemble, qui évoque les collages surréalistes.

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