Georges Brassens

Brassens, La non-demande en mariage

Poème étudié

Ma mie, de grâce, ne mettons
Pas sous la gorge à Cupidon
Sa propre flèche
Tant d’amoureux l’ont essayé
Qui, de leur bonheur, ont payé
Ce sacrilège…

Au refrain

J’ai l’honneur de
Ne pas te demander ta main
Ne gravons pas
Nos noms au bas
D’un parchemin
Laissons le champ libre à l’oiseau
Nous seront tous les deux prison-
niers sur parole
Au diable les maîtresses queux
Qui attachent les cœurs aux queues
Des casseroles!

Au refrain

Vénus se fait vielle souvent
Elle perd son latin devant
La lèchefrite
A aucun prix, moi je ne veux
Effeuiller dans le pot-au-feu
La marguerite

Au refrain

On leur ôte bien des attraits
En dévoilant trop les secrets
De Mélusine
L’encre des billets doux pâlit
Vite entre les feuillets des livres de cuisine.

Au refrain

Il peut sembler de tout repos
De mettre à l’ombre, au fond d’un pot
De confiture
La jolie pomme défendue
Mais elle est cuite, elle a perdu
Son goût « nature »
Au refrain
De servante n’ai pas besoin
Et du ménage et de ses soins
Je te dispense
Qu’en éternelle fiancée
A la dame de mes pensées
Toujours je pense

Au refrain

Brassens, La non-demande en mariage

Introduction

Georges Brassens, né le 22 octobre 1921, à Sète (alors Cette) (France) et mort le 29 octobre 1981 à Saint-Gély-du-Fesc (16 km au nord de Montpellier ), est un auteur-compositeur-interprète.

Tout au long de sa carrière, Brassens aura repris, mis en chansons, interprété des poèmes (Paul Verlaine , Louis Aragon , Antoine Pol , Paul Fort , Victor Hugo , François Villon Richepin, etc.)

G. Brassens s’est fait connaître du grand public par son refus proclamé de se conformer aux attitudes stéréotypées, et son désir de suivre son « chemin de petit bonhomme ».

Il en donne ici une illustration dans son humoristique contestation de l’une des institutions les mieux établies : le mariage.

I. Le non-conformisme de l’auteur

1. Le non-conformisme social

Le non-conformisme social de Brassens s’exerce le plus souvent contre des institutions, des pratiques sociales codifiées.

Ici, c’est la forme juridique du mariage qui est visée : le refrain ne laisse aucun doute à cet égard, il reprend la formule stéréotypé « J’ai l’honneur de » qui sert à introduire un document écrit de caractère officiel.

De même, la demande en mariage est un rituel protocolaire qui se pratiquait naguère entre les familles.

Le caractère juridique est rappelé par l’allusion à la signature (« au bas du parchemin ») de l’acte de mariage, seul document reconnu pour l’existence légale d’un couple, à l’époque de Brassens.

Brassens tourne ironiquement les formules de façon négative : « non-demande », « ne pas te demander » … Il s’agit d’une « anti-cérémonie » sur le mode de la dérision.

2. Le non-conformisme sentimental

Le refus institutionnel rejoint, plus profondément, un désir de vivre les sentiments amoureux, selon des modalités différentes de celles de la majorité des individus.

Le texte de la chanson oppose systématiquement le vocabulaire de l’amour-désir et celui de la vie en ménage.

D’un côté les expressions de l’amour : « Cupidon » et sa flèche, Vénus, les billets doux, la pomme défendue etc…

De l’autre, celles du mariage : « casseroles », « lèche-frites », « livres du cuisine », « servante », « ménage ».

La passion se dégrade en habitudes, l’amour devient une affaire de contraintes ménagères.

C’est le conformisme banal de la vie « petite-bourgeoise » qui est dénoncé.

3. Le non-conformisme poétique

La critique des stéréotypes des comportements passe par celle des clichés du vocabulaire, des expressions toutes faites de la langue quotidienne.

La chanson multiplie les allusions à ces clichés, pour les détourner de leur empli habituel.

Deux exemples, entre autres, peuvent suffire à illustrer ce procédé : « Mettre sous la gorge de Cupidon sa propre flèche ».

Deux expressions courantes sont ici entremêlées, mettre le couteau sous la gorge à quelqu’un et la flèche du petit dieu Amour, qui, cette fois, se retourne contre lui : double détournement d’expressions figées.

Autre exemple : « effeuiller dans le pot-au-feu la marguerite » : ici la locution figée « effeuiller la marguerite », jeu traditionnel des amoureux, est dérisoirement associée au « pot-au-feu », qui symbolise ma monotonie de la vie quotidienne, qui engloutit les passions. On pourrait analyser de même l’expression « la jolie pomme défendue ».

II. Le baladin et la tradition

1. Une préciosité désuète

Les textes de Brassens sont empreints d’une nostalgie discrète, d’un goût prononcé pour le passé révolu, comme en témoigne l’admiration de Brassens pour Villon, Verlaine ou Ronsard est connue.

Elle explique son goût pour l’archaïsme, particulièrement sensible dans certaines tournures de style, et dans son goût pour les références mythologiques, assez nombreuses dans « La non-demande en mariage ».

Comme dans un grand nombre de ses chansons Brassens use d’un vocabulaire et d’images désuets : « M’amie », « Cupidon », « Vénus », « Mélusine », « parchemin »…

Cette habitude tient à une certaine préciosité qui le pousse à utiliser les aspects archaïsants de la langue. Mais elle traduit aussi une tendance importante de son inspiration.

De là, l’importance des références à la mythologie, et à une culture traditionnelle, parfois oubliée.

2. La fuite du temps

Brassens emprunte aussi à ses modèles un élément essentiel de sa thématique : l’inquiétude face au temps qui passe : « Vénus se fait vieille souvent »

Le temps détruit les sentiments, émousse les passions les plus vives.

La seule attitude possible est alors de refuser un avenir tracé d’avance.

L’unique façon de lutter contre l’usure du temps est de vivre chaque instant présent comme un ouvreau commencement.

Tel est le sens d’une expression comme « éternelle fiancée ». La codification des sentiments les sclérose, il faut les laisser libres pour qu’ils puissent continuer à vivre : « Laissons le champ libre… »

3. Le scepticisme souriant

Brassens partage avec Villon ou Ronsard une certaine inquiétude face à la fuite du temps, et à la précarité des sentiments humains.

Il faut jouir de l’instant, refuser la routine qui nous guette.

Mais cela ne dépasse pas le stade d’un vague malaise : l’ironie, le clin d’œil prennent rapidement le dessus dans l’inspiration de Brassens.

Le registre littéraire de la chanson n’est pas angoissé, mais plutôt nostalgique, dans la tradition épicurienne de ses devanciers.

C’est en souriant, avec humour, et impertinence pour ses références mythologiques qu’il nous met en garde contre le mariage…

Conclusion

Non conformisme et respect de la tradition s’allient sans difficultés dans l’inspiration de Georges Brassens.

S’il récuse l’insignifiance et les contraintes de la vie quotidienne, c’est en se plaçant dans la lignée d’autres poètes illustres anticonformistes du passé, à commencer par François Villon.

Son inquiétude devant le passage du temps, notamment dans le domaine des sentiments amoureux, son désir de vivre un éternel présent, de profiter de l’instant présent, sa hantise de la sclérose, son refus des habitudes au profit d’une surprise toujours renouvelée, l’apparentent à la grande tradition des écrivains épicuriens, à la manière de Ronsard.

Du même auteur Brassens, Saturne

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