Jean Racine

Racine, Phèdre, Acte II, Scène 2 , L’aveu amoureux d’Hippolyte à Aricie

Texte étudié

HIPPOLYTE
Je me suis engagé trop avant.
Je vois que la raison cède à la violence.
Puisque j’ai commencé de rompre le silence,
Madame, il faut poursuivre : il faut vous informer
D’un secret que mon cœur ne peut plus renfermer.
Vous voyez devant vous un prince déplorable,
D’un téméraire orgueil exemple mémorable.
Moi qui, contre l’amour fièrement révolté,
Aux fers de ses captifs ai longtemps insulté ;
Qui des faibles mortels déplorant les naufrages,
Pensais toujours du bord contempler les orages ;
Asservi maintenant sous la commune loi,
Par quel trouble me vois-je emporté loin de moi ?
Un moment a vaincu mon audace imprudente :
Cette âme si superbe est enfin dépendante.
Depuis près de six mois, honteux, désespéré,
Portant partout le trait dont je suis déchiré,
Contre vous, contre moi, vainement je m’éprouve :
Présente je vous fuis, absente je vous trouve ;
Dans le fond des forêts votre image me suit ;
La lumière du jour, les ombres de la nuit,
Tout retrace à mes yeux les charmes que j’évite,
Tout vous livre à l’envi le rebelle Hippolyte.
Moi-même, pour tout fruit de mes soins superflus,
Maintenant je me cherche, et ne me trouve plus.
Mon arc, mes javelots, mon char, tout m’importune.
Je ne me souviens plus des leçons de Neptune.
Mes seuls gémissements font retentir les bois,
Et mes coursiers oisifs ont oublié ma voix.
Peut-être le récit d’un amour si sauvage
Vous fait en m’écoutant rougir de votre ouvrage.
D’un cœur qui s’offre à vous quel farouche entretien !
Quel étrange captif pour un si beau lien !
Mais l’offrande à vos yeux en doit être plus chère.
Songez que je vous parle une langue étrangère,
Et ne rejetez pas des vœux mal exprimés,
Qu’Hippolyte sans vous n’aurait jamais formés.

I. Les caractéristiques de l’aveu

A. La nécessité

Poussé par l’invocation de la « haine » supposée envers elle.

Anaphore « il faut » et lexique de la nécessité (« céder », « rompre ») ainsi que la présence de négations qui montrent l’impossibilité de cacher son secret plus longtemps.

Thème du secret : « silence, secret, renfermer, cacher ».

Il n’a plus le choix, il ne peut plus reculer : il s’est engagé donc il doit continuer.

B. Tonalité lyrique

Il met son cœur à nu, exprime ses sentiments les plus profonds avec l’innocence de la découverte.

Situation d’énonciation (C’est Hippolyte qui parle) :
Multitude de « je », « moi », « mon ».

Autres dénominations par métonymies et périphrases : « un prince », « le rebelle », « cette âme ».

Lexique des sentiments et du charme : il est envoûté par la passion amoureuse qu’il éprouve pour Aricie.

Lexique de la honte appuyé par le fait qu’il ne nomme pas Aricie : il tente mais peine à réduire la distance entre eux.
C’est une déclaration : peinture de la passion amoureuse.

II. La peinture de la passion amoureuse selon Racine

A. Naissance

Sur le plan temporel : « depuis près de 6 mois ».

Champ lexical du regard qui est récurrent dans l’amour racinien. Il est le point de départ du sentiment amoureux.

Un amour interdit qui vient d’un interdit politique car Aricie fait partie de la famille rivale.

Le thème de la lutte contre cet amour est présent : il caractérise l’involontaire dans le sentiment.

La lutte contre cet amour est inutile : « superflus », « vainement ».
Évocation d’Éros (dieu de l’amour) à travers l’arc.

B. Les effets

1. Scission du personnage

Séparation corps/âme : v536, v558, v525.

Les paradoxes v541 :
– contre vous : lutte contre l’amour
– contre moi : lutte contre lui-même

Au vers 542 on retrouve le parallélisme, l’antithèse et le paradoxe :
– parallélisme : symétrie des vers (syntaxe, versification …)
antithèses : présente/absente et fuis/trouve
– paradoxe : présente puis fuis et absente puis trouve (pensées)

Hippolyte pense tout le temps à Aricie.

Les anacoluthes v530, v531 à 535 qui montrent la difficulté à raisonner du personnage, à s’exprimer (structure grammaticale des phrases modifiée).

Versification : L’alexandrin se hache et l’hémistiche n’est plus au centre du vers : 4×3 au lieu de 6×2 : mode d’expression saccagé, sonorités connotant la violence.

Les figures sont violentes : il lutte, il s’éprouve.

2. Changements

Le vocabulaire antithétique est envahissant :
– orgueil/déchéance, prince/déplorable
– guerrier et exemplaire
– un moment d’imprudence/6mois de honte, désespoir
– contre (lutte)/vainement
– rebelle/livré

Les oxymores qui montrent cette évolution : prince déplorable, audace imprudente, soins superflus.

Les négations « ne plus » qui dénotent l’évolution.

Anaphore du « tout » globalisateur qui caractérise ce changement radical.

Le désarroi total se fait sentir :
– syntaxe : mode interrogatif ou exclamatif
– vocabulaire : trouble, violence subie

Présence morale d’Aricie en tous lieux et temps.

Métaphores filées qui comparent l’amour à un orage ou à la captivité.

Conclusion

Sa déclaration à Aricie le rapproche plus de Phèdre (ressemblances du style) mais écarte l’éventualité de leur amour.

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