Emile Zola

Zola, La Curée, Chapitre 2 , Description de Paris

Texte étudié

Ce jour-là, ils dînèrent au sommet des buttes, dans un restaurant dont les fenêtres s’ouvraient sur Paris, sur cet océan de maisons aux toits bleuâtres, pareils à des flots pressés emplissant l’immense horizon. Leur table était placée devant une des fenêtres. Ce spectacle des toits de Paris égaya Saccard. Au dessert, il fit apporter une bouteille de bourgogne. Il souriait à l’espace, il était d’une galanterie inusitée. Et ses regards, amoureusement, redescendaient toujours sur cette mer vivante et pullulante, d’où sortait la voix profonde des foules. On était à l’automne; la ville, sous le grand ciel pâle, s’alanguissait, d’un gris doux et tendre, piqué çà et là de verdures sombres, qui ressemblaient à de larges feuilles de nénuphars nageant sur un lac; le soleil se couchait dans un nuage rouge, et tandis que les fonds s’emplissaient d’une brume légère, une poussière d’or, une rosée d’or tombait sur la rive droite de la ville, du côté de la Madeleine et des Tuileries. C’était comme le coin enchanté d’une cité des Mille et Une Nuits, aux arbres d’émeraude, aux toits de saphir, aux girouettes de rubis. Il vint un moment où le rayon qui glissait entre deux nuages, fut si resplendissant, que les maisons semblèrent flamber et se fondre comme un lingot d’or dans un creuset.

« Oh ! vois, dit Saccard, avec un rire d’enfant, il pleut des pièces de vingt francs dans Paris! »

Angèle se mit à rire à son tour, en accusant ces pièces-là de n’être pas faciles à ramasser. Mais son mari s’était levé, et s’accoudant sur la rampe de la fenêtre:

« C’est la colonne Vendôme, n’est-ce pas, qui brille là-bas?… Ici, plus à droite, voilà la Madeleine… Un beau quartier, où il y a beaucoup à faire… Ah! cette fois tout va brûler ! Vois-tu?… On dirait que le quartier bout dans l ‘alambic de quelque chimiste ».

Émile Zola, La Curée, extrait du chapitre 2. (1871)

Introduction

Émile Zola (1840-1902) est le chef de file et le théoricien du mouvement naturaliste dont il jette les bases dans son ouvrage théorique Le Roman expérimental. Zola explique qu’il a pris le parti du naturalisme, doctrine par laquelle il essaie d’élever la littérature au rang de science exacte.

Zola narre en un cycle de vingt romans constituant une grande fresque romanesque « L’histoire Naturelle et Sociale d’une famille sous le Second Empire » ainsi que l’indique le sous-titre donné à l’ensemble de son œuvre sur les Rougon-Macquart.

Dans La Curée, deuxième volume de « l’Histoire naturelle d’une famille sous le Second Empire », publié en 1871, Zola dénonce les grandes fortunes qui ont dévoré, tels des chiens pendant la curée, les entrailles de Paris.

Dans le présent extrait Saccard a emmené dîner sa femme Angèle en haut des buttes Chaumont ; il contemple Paris…

Zola, en procédant à une description subjective de la ville, semble attaché à faire apparaître à travers le regard visionnaire de Saccard, la menace spéculative qui guette Paris, car le héros dévoile progressivement et malgré lui sa personnalité et ses désirs profonds.

I. Une réalité regardée

Saccard, le personnage principal, est installé au « sommet des buttes », dans un restaurant aux « fenêtres ouvertes » ; il embrasse « l’immense horizon »

1. Impression d’espace

Le champ lexical de la grandeur est important dans cet extrait : « immense horizon », « espace », « le grand ciel », « larges feuilles », « un océan de maisons ».

Dans la phrase « emplissant l’immense horizon », les assonances en « i », « en » , associées à l’allitération en « s », insistent sur l’étendue.

2. Impression d’horizontalité

Le regard de Saccard est panoramique ; il se promène « sur Paris, sur cet océan », pour redescendre « sur cette mer » (noter la répétition de la préposition « sur » qui insiste sur l’idée de domination).

De plus tous les mouvements sont descendants : « ses regards (…) redescendaient, le soleil se couchait, une rosée d’or tombait ».

Toutes les lumières convergent vers la scène où se déroule le spectacle.

3. Impression de calme associée à la vie

Une atmosphère feutrée est exprimée à l’aide des verbes « s’alanguissaient, glissaient » et des allitérations en « s ».

Le bruit, le mouvement dans cet « océan de maisons aux toits bleuâtres » restent étouffés, mais une vie intense se devine à travers les adjectifs comme « vivante, pullulante, pressés ».

La métaphore filée de l’eau (« cet océan, cette mer,le lac ») , suggère l’espace dont il était question, mais aussi toute la richesse que contient la ville.

II. La richesse de la ville

Elle transparaît à travers la palette de couleurs qu’emploie Zola à la manière des peintres impressionnistes.

1. La palette des couleurs

Au début du passage, les indications de couleurs sont en accord avec cette métaphore de l’eau.

Le tableau est en demi-teintes (« bleuâtres, ciel pâle, gris, verdures sombres, gris doux et tendre »).

Sur ces demi-teintes se détachent progressivement « le rouge, le saphir, le rubis » et « l’or ».

Mais Paris, ville grandiose, est aussi une ville enflammée par le soleil qui l’illumine.

2. Paris sous le signe du feu

Les couleurs froides contrastent avec le rouge du soleil. « qui se couchait dans un nuage rouge ».

Le paysage devient alors « resplendissant », Paris est métamorphosé par l’apparition de « l’or » et des pierreries (« émeraude, saphir, rubis »).

Ce qui était calme s’anime (« flamber », « se fondre »).

Le retour au passé simple, temps du récit, renforcé par « un moment » porte la métamorphose de la ville à son paroxysme.

3. Un lieu féérique

Le soleil transforme la ville en un lieu féerique où les maisons deviennent « lingots ».

Ainsi l’espace s’anime dans un mouvement épique par la rencontre de deux éléments habituellement opposés, le feu et l’eau.

Ces deux éléments sont ici complémentaires pour transformer la ville en une cité des Mille et Une Nuits.

III. La découverte du personnage principal

Saccard est à la fois celui dont on parle (« il fit apporter, il souriait…) et celui par qui l’on voit (« et ses regards amoureusement redescendaient toujours »), il domine la ville.

1. L’homme

Plus que les détails sur son caractère, c’est la subjectivité de sa vision de la ville qui va nous renseigner sur lui.

Aucun mot si ce n’est peut-être « galanterie inusitée » n’évoque directement sa personnalité.

Pourtant elle apparaît progressivement et de façon indirecte à travers la description qui est faite de Paris.

D’emblée, le spectacle modifie son comportement ; la gaîté qui l’envahit (« égaya », « souriait », « rire »), vient de ce qu’il regarde, et non du bonheur d’être au restaurant avec sa femme (celle-ci est d’ailleurs presque complètement effacée, n’apparaissant que dans les deux pronoms personnels « ils » et « leur »).

Ainsi, il regarde « amoureusement », non sa compagne qu’il ignore, mais cette « mer vivante » qui le fascine.

Peu à peu la réalité de la ville disparaît au profit d’une transfiguration onirique.

2. L’enfant

Ainsi Saccard fasciné, exalté, retrouve sa spontanéité d’enfant.

« Avec un rire d’enfant », il perçoit dorénavant « un coin enchanté d’une cité des Mille et une Nuits ».

La description devient souvenir d’images d’un conte d’enfant qui le transporte en Orient dans une cité caractérisée par la richesse de ses matériaux (« émeraudes », « saphirs », « rubis »), où tout est possible (« il pleut des pièces »).

La fantasmagorie rejoint en réalité les préoccupations de l’homme d’affaires.

3. L’affairiste

Heureux de dominer la ville, il la métamorphose en un immense « creuset ».

Les éléments se transmutent sous l’action du soleil.

Dans la phrase : « Le rayon qui glissait entre deux nuages fut si resplendissant », l’allitération en « s » et les assonances en « i » et en « en » évoquent le lent passage de l’état solide à l’état liquide mais aussi la jouissance suprême de Saccard.

On peut remarquer également la répétition du substantif « or » et le passage de la « poussière » aux « lingots ».

La gaîté de Saccard ne vient donc ni du plaisir d’être avec sa compagne, ni de l’ivresse procurée par « la bouteille de bourgogne » mais de la richesse potentielle de la ville.

Ainsi son « rire » paraît davantage celui d’un homme cupide que celui d’un enfant.

Finalement, le narrateur nous révèle plus du personnage et de son rêve de réussir que de la ville qu’il admire.

Conclusion

L’intérêt de ce passage réside davantage dans ce qui est suggéré que dans ce qui est décrit.

Certes il y est bien question de Paris, mais ce n’est pas le Paris que l’on admire mais celui qui sera détruit par l’avidité et la passion de Saccard.

Cette vision apocalyptique qui englobe la ville dans un immense brasier poétique préfigure la destruction que Paris va subir sous les dents acérées des spéculateurs.

Nous retrouvons, dans cet extrait, la causticité d’un auteur qui critique son époque.

 

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