Albert Camus

Camus, L’Étranger, Excipit

De « Lui parti, j’ai retrouvé le calme » jusqu’à « m’accueillent avec des cris de haine »

Introduction

Albert Camus, écrivain majeur de la première moitié du XX° siècle, a publié en 1942 un roman étrange et polémique, L’Étranger, mettant en scène un narrateur, Meursault, qui fait le récit de sa vie. Cet extrait se situe au dernier chapitre de la 2° partie : dans sa cellule, Meursault pense à son exécution, à son pourvoi et à Marie, qui ne lui écrit plus. L’aumônier lui rend visite, malgré son refus de le rencontrer. Meursault est furieux contre ses paroles, réagit violemment et l’insulte. Après son départ, il se calme, réalise qu’il est heureux et espère, pour se sentir moins seul, que son exécution se déroulera devant une foule nombreuse et hostile. Nous verrons d’abord en quoi ce texte est un excipit, puis nous analyserons la sérénité du narrateur.

I. Les indices de l’excipit

La solitude retrouvée du narrateur : exclusion des autres (« lui » mis en évidence et rejeté en début de phrase l.1), omniprésence du JE (davantage encore que dans l’incipit) + temps verbaux de l’introspection, de l’intériorité (passé composé et imparfait) + l’épuisement et le refuge dans le sommeil l.1-2 (comme dans le trajet qui le menait à Marengo au chapitre 1, 1° partie).

Le champ lexical de l’achèvement, de la fin : « la fin » l.9, « des vies s’éteignaient » l.10-11, « que tout soit consommé » l.17-18, « mon exécution » l.19. Son exécution publique doit permettre à Meursault de donner du sens l’absurdité de sa vie.

La référence au décès de la mère (qui ouvrait le livre : « aujourd’hui, maman est morte ») l.7-13 permet de « boucler la boucle » : Meursault explique pourquoi la vie et la mort de sa mère à l’asile de vieillards ne devaient pas susciter la tristesse. Il compare l’existence à un jeu l.9-10. Il se sent proche d’elle l.13-14 (parallélisme avec la ligne 12). Sorte d’ « arrêt sur image » (nombreux repères temporels) : l.5-6 « à ce moment, et à la limite de la nuit », l.7-8 « pour la première fois, depuis bien longtemps ».

Pourtant cette fin ressemble à un début : l.10 « recommencer », l.12 et 13-14 « tout revivre », l.15-16 « je m’ouvrais pour la première fois », l.18-19 « souhaiter ». La mort de Meursault apparaît comme un nouveau départ.

II. La révolte et l’apaisement paradoxal

Même refus du registre pathétique qu’au début : absence de sentiments personnels dans champ lexical de la sérénité : l.1 « retrouvé le calme », l.2 « dormi », « indifférent » l.7, « purgé du mal » l.14. Renoncement à la tristesse de la mort : le hurlement des sirènes annonçant des décès ne provoque aucun émoi chez lui l.6-7 (au contraire, évocation légère : « elles annonçaient des départs pour un monde » [euphémisme ; cf. l.10-11 « des vies s’éteignaient »]).

Poétisation du langage : nombreuses figures de style (comparaisons et métaphores), par exemple l.11 : « le soir était comme une trêve mélancolique ».

Intériorisation des sensations extérieures : l.2-3 « des étoiles sur le visage », accumulation de verbes d’action : l.3 « montaient jusqu’à moi », l.4 « rafraîchissaient mes tempes », l.5 « entraient en moi comme une marée » (comparaison). Puis mouvement inverse : élargissement cosmique (de l’individu au monde qui l’entoure) : l.4 « merveilleuse paix » (hyperbole méliorative) ; l.5 « été endormi » (la Nature ressemble à Meursault à cet instant), l.16 « tendre indifférence du monde » (oxymore) : communion extérieure avec la Nature.

Réconciliation dans la révolte : la révolte de Meursault monte d’abord sourdement : les anaphores l.10 « là-bas, là-bas aussi » (avec insistance grâce à l’adverbe « aussi ») et l.12 « personne, personne » indiquent qu’il prend la responsabilité de son opinion. On relève également le champ lexical de la colère : les comparaisons l.16-17 « si pareil à moi, si fraternel » montrent que Meursault se sent bien dans la Nature mais ne se reconnaît pas dans la nature humaine : l.19-20 oxymore « qu’ils m’accueillent avec des cris de haine ». Il veut être séparé des autres hommes car il assume sa liberté individuelle et son statut d’ « étranger ». « Il s’agit de mourir irréconcilié » écrit Camus dans Le mythe de Sisyphe. Ainsi, pour que le bonheur soit complet, il faut lancer le dernier défi.

Conclusion

Cet extrait marque bien un achèvement dans le récit et met en valeur le calme retrouvé du narrateur. On pourrait le rapprocher de la biographie de Jean-Claude Romand rédigée par Emmanuel Carrère, L’Adversaire : Romand est lui aussi un étranger au monde dans lequel nous vivons.

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