Jacques Prévert

Prévert, Paroles, Pater Noster

Poème étudié

Notre Père qui êtes au cieux
Restez-y
Et nous nous resterons sur la terre
Qui est quelquefois si jolie
Avec ses mystères de New York
Et puis ses mystères de Paris
Qui valent bien celui de la Trinité
Avec son petit canal de l’Ourcq
Sa grande muraille de Chine
Sa rivière de Morlaix
Ses bêtises de Cambrai
Avec son océan Pacifique
Et ses deux bassins aux Tuileries
Avec ses bons enfants et ses mauvais sujets
Avec toutes les merveilles du monde
Qui sont là
Simplement sur la terre
Offertes à tout le monde
Éparpillées
Émerveillées elles-mêmes d’être de telles merveilles
Et qui n’osent se l’avouer
Comme une jolie fille nue qui n’ose se montrer
Avec les épouvantables malheurs du monde
Qui sont légion
Avec leurs légionnaires
Avec leurs tortionnaires
Avec les maîtres de ce monde
Les maîtres avec leurs prêtres leurs traîtres et leurs
reîtres
Avec les saisons
Avec les années
Avec les jolies filles et avec les vieux cons
Avec la paille de la misère pourrissant dans l’acier des canons.

Prévert, Paroles (1945)

Introduction

Jacques Prévert est né le 4.02.1900 et est mort le 11.04.1977. Il a eu beaucoup de mal à se faire reconnaître des critiques car on lui reprochait sa poésie trop simple A présent, il est considéré comme un des plus grands poètes du XX° siècle et il est publié dans la collection de La Pléiade, synonyme de consécration, d’honneur pour un écrivain.

Dans ses poèmes du recueil Paroles (1946), Prévert rapporte des scènes inspirées du quotidien banal ou insolite. Avec tendresse ou ironie, sarcasme ou émotion, il conduit son lecteur à tourner vers le monde un regard différent, pour saisir avec une naïveté étonnée la réalité que masquent l’habitude ou l’indifférence.

Avec « Pater Noster », qui appartient au même recueil, Prévert nous offre une nouvelle illustration de cet usage malicieux d’une formule figée, latine cette fois et chargée de connotations religieuses, destiné à égarer ou à surprendre le lecteur.

Le poème, en effet, sous l’apparence, vite abandonnée, de la prière à Dieu, dévoile un sentiment d’admiration, totalement païen, pour le monde et ses beautés, qui n’exclut pas une dénonciation amère, quoique plus discrète, des malheurs qui s’y déroulent. C’est par le biais d’une écriture très vive, familière et parfois ironique, que le poète clarifie sa position.

I. L’Hommage à la vie

1. La préférence pour la vie d’ici-bas

Dès les premiers vers, Prévert affirme nettement sans préférence pour cette vie d’ici-bas par opposition aux hypothétiques paradis proposés par le discours religieux.
Par cette position, le poète définit son attitude vis-à-vis de ses contemporains : il se veut parmi les hommes, non à part, à côté ou à leur tête, mais avec eux, comme le souligne le pronom personnel « nous » du troisième vers.
Le poète fait preuve de sa générosité, aucune exclusive ne doit limiter son accueil des hommes. Les extrêmes sont réunis pour grossir sa famille comme le souligne l’antithèse du vers 31 : « Avec les jolies filles et avec les vieux cons ».
L’accumulation anaphorique des « avec » accentue ce recensement de l’espèce constitué de membres parfois mauvais comme les chefs, les bourreaux qualifiés de « maîtres », de « reitres », de « tortionnaires ».
Mais l’affirmation de la solidarité humaine passe par-dessus les imperfections morales ou sociales. Même le temps et des destructions (« saisons », « années ») ne parvient pas à disqualifier la création terrestre.

2. La contemplation du monde

Mais plus que chez les hommes, souvent cruels, c’est dans les spectacles qu’offre le monde, dans la contemplation des « merveilles » (vers 20) que le poète puise ses raisons d’aimer la vie sur terre.
Les vers 5 à 13 sont construits sur le même moule et sont consacrés à l’énumération de quelques-unes des beautés du monde.
On peut observer que le poète essaie à travers cette énumération de nous transporter en des lieux divers et éloignés de l’univers : New-York, la Chine, l’Océan Pacifique, la France. Le pays d’origine de l’auteur domine avec la mention de deux villes : Morlaix et Cambrai (cité pour sa célèbre spécialité les « bêtises de Cambrai »). Paris revient à trois reprises : dans un titre évocateur du romancier Eugène Sue (« Les mystères de Paris »), dans un site méconnu (« Le canal de l’Ourcq »), dans une particularité touristique peu originale (« les deux bassins des Tuileries »).
Les huit possessifs (« ses », « son », « sa ») qui introduisent ces curiosités géographiques, l’utilisation de la préposition « avec », la construction juxtaposée (vers 7 à 12) ou coordonnée (« et puis », « et ») sont autant de moyens de rendre ces beautés à leur propriétaire unique, la « terre » (vers 4).

3. La nature de ces merveilles

L’examen de la nature de ces « merveilles du monde » (vers 15), de leur désignation et du commentaire qu’en fait le poète, permet de mesurer la malice ou la bonhomie de cet hommage que l’on a du mal à prendre tout à fait au sérieux.
En effet, dans cet inventaire totalement arbitraire figurent bien une réelle merveille de l’univers (« la grande muraille de Chine » retenue sans doute pour le symbole insensé et un peu absurde d’une folle construction étalée sur douze siècle et longue de près de 5 000 km), un océan grandiose (« l’Océan Pacifique » sans doute car il est le plus vaste. Mais faut-il s’enorgueillir d’une banale étendue d’eau ?).
Mais le poète cite aussi un canal peu spectaculaire et peu connu (le « petit canal »), une rivière du Finistère sans attrait particulier (« l’Ourcq »), deux bassins semblables et surtout de simples berlingots appréciés des amateurs mais sans prétention à de démesurés titres de gloire de « mystères » auréolés de prestige et d’inconnu quand il s’agit de ceux de New-York, mais bien identifiés comme sortis de l’imagination féconde d’un auteur populaire quand ils sont de Paris.
De toute façon, quels sont ces mystères ? Ce n’est pas la comparaison blasphématoire de la Trinité, leur fantaisiste localisation géographique (les « mystères de Paris ») qui nous éclairent et justifient qu’on en fasse un motif de fierté d’être sur terre.

4. Les qualités de ces merveilles

Les qualités que le poète apprécie dans ces « merveilles » ne sont d’ailleurs pas celles qu’on attendrait : nobles réalisations humaines, traces du génie de l’homme ou encore mieux signes éclatants de la grandeur du Créateur.
Non, la terre est ici qualifiée de « jolie » et encore « quelquefois » seulement (vers 4). Le même adjectif déplacé servait à Apollinaire pour définir, avec un humour ambigu, la guerre : « Ah, mon Dieu que la guerre est jolie », Alcools).
Dérision ou affirmation de choix esthétiques, les qualités appréciées sont ici bien ternes :

– la simplicité (la longue métaphore et la comparaison des vers 20-22 qui va dans ce sens : « Émerveillées elles mêmes d’être de telles merveilles / Et qui n’osent se l’avouer /Comme une jolie fille nue qui n’ose se montrer”) ;
– la gratuité (la muraille de Chine) ;
– l’humble pittoresque (« le petit canal », « la rivière ») ;
– l’incertitude (« les mystères ») ;
– la futile gourmandise (« les bêtises de Cambrai »).
– Et surtout, vertu suprême au crédit de ces merveilles terrestres, elles s’offrent avec un naturel bon enfant (« Qui sont là / simplement »), une modestie qui répugne à l’étalage impudique : « Comme une jolie fille nue qui n’ose se montrer »).

Ajoutons l’éclectisme, la disparate de ce bric à brac hétéroclite qui doit montrer que le monde est rempli de merveilles variées et mal connues qu’il suffit de voir, de ramasser devant soi, pour peu qu’on prenne la peine d’exercer ses sens et son imagination.

Cette déclaration d’amour au monde cache une sensibilité de poète : celui qui sait puiser dans le réservoir offert par la réalité, même la plus banale, qui est capable de discerner les « merveilles » là où le profane ne voit que décor triste, qui n’attend pas de recevoir une quelconque inspiration divine que lui dispenserait un omnipotent Notre Père. Les « mystères « d’ici-bas valent bien, pour le professionnel de l’imaginaire et du rêve, ceux de l’au-delà. Dieu est gentiment remercié.

L’hommage rendu au monde ne manque pas, on le voit, de fantaisie et de lucidité puisque Prévert ne s’est pas cantonné à l’énumération d’une humanité exclusivement poétique ou à l’inventaire des beautés les plus extraordinaires de la planète. Il ne se contente pas d’aimer dans le monde les traditionnels objets d’admiration comme de donner son estime aux seuls « bons enfants » ou aux uniques « jolies filles ».

Il réhabilite des lieux obscurs et sans grâce comme il réintègre à la communauté les « mauvais sujets » et « les vieux cons ». Sa solidarité avec le monde n’est donc pas faite d’aveuglement. Il sait que la terre est un lieu d’asile pour des êtres dangereux et d’accomplissement pour des actes nuisibles. Mais il prend les choses « en bloc ». Puisque Dieu permet ces excès, il « fera avec », ce qui n’empêche pas le poète de reconnaître et de dénoncer cette réalité mauvaise.

II. La dénonciation des malheurs du monde

1. Les méchants et les menteurs

Nous avons déjà noté que dans son désir d’admettre au rang des représentants de l’humanité l’ensemble des spécimens de l’espèce, le poète était amené à accueillir des catégories négatives sur lesquelles va s’exercer sa verve vengeresse.

En effet le certificat d’appartenance au monde indistinctement délivré par Prévert n’annule pas son sens critique à l’égard des méchants ou des menteurs.

Le poème contient de ce fait un sévère acte de condamnation à l’égard de certains agissements traditionnellement stigmatisés dans Paroles. Il avait bien dit que la terre n’était que « quelquefois … jolie », qu’elle comptait de « mauvais sujets » qui, sans être tout à fait condamnables (Prévert s’est toujours montré bienveillant à l’égard des insoumis et des marginaux), annonçaient les errements humains.

Son indulgence est moins évidente à l’endroit des vieillards définis par une formule grossière et parlante (« Vieux cons ») qui incarnent cette expérience satisfaite « qui indique(n) aux enfants de la route/ D’un geste de ciment armé » (« Le droit chemin »). L’apostrophe à « Notre Père » est aussi un refus de l’autorité paternelle, fût-elle divine.

2. Les dictateurs et les chefs

L’autre cible, plus nette encore, est constituée par la vaste catégorie des chefs, des dictateurs, des militaires aveugles, bref des « maîtres du monde ». On peut relever dans Paroles et dans les recueils qui ont suivi des centaines d’exemples de cette hostilité du poète à l’égard des sinistres tyrans.

L’allusion ici est rapide, mais claire : le pouvoir, forcément totalitaire, secrète des maux liés à l’oppression, c’est la torture (« les tortionnaires), la guerre (« légionnaires ») et son cortège de tueries (perpétrées par des « reîtres »), de trahisons (accomplies par des « traîtres »).

Toute la haine de Prévert pour la guerre se concentre dans ces quatre vers qui dénoncent les fauteurs de troubles que sont les hommes politiques ou les chefs militaires, plus coupables encore que les exécutants du grand massacre.

Paroles, écrit en partie au cours de la seconde guerre mondiale, contient de nombreux poèmes marqués du refus des valeurs militaires et de la condamnation des réflexes guerriers (« Familiale », « L’ordre nouveau », « Le Temps des royaux », etc.). Le pauvre soldat, l’anonyme, le « pigeon-soldat » comme il est dit dans le poème liminaire (« Tentative de description d’un dîner de têtes à Paris-France ») est écrasé, pris entre l’acharnement de l’exploitation (ici « la paille de la misère »), et l’embrigadement (« l’acier des canons »). Au bout, la mort est une certitude.

3. L’Église

Parmi les complicités dont bénéficie l’entreprise guerrière, figure celle, hautement coupable, de l’Église. Retrouvant la hargne de Rimbaud dénonçant la collusion de Dieu et du Roi (« Il est un Dieu, qui rit aux nappes damassées/ Des autels…, « Le Mal), Prévert s’en prend aux prêtres qu’il place au service des maîtres du monde et relie, dans une saisissante accumulation, aux « traîtres » et aux « reîtres ».

L’attaque religieuse rejoint celle, implicite que le titre du poème et les premiers vers annonçaient déjà. Dieu, qui d’ailleurs autorise l’existence de la méchanceté et du mal sur la terre, est bien coupable, suivant un procès traditionnellement mené par les sceptiques.

L’anticléricalisme de Prévert (et son athéisme) est en général aussi virulent que son antimilitarisme, comme le montre un des plus longs et anciens poèmes de Paroles, « Souvenirs de famille ou l’Ange garde-chiourme », totalement fondé sur la parodie évangélique.

Le congé à Dieu, brutalement exprimé dans le deuxième vers est à expliquer non seulement comme le refus de toute intervention transcendantale dans l’œuvre poétique, mais surtout comme un désaveu de toute tentative divine pour introduire dans le désordre du monde une organisation morale.

La multiplication des misères sur terre (« les épouvantables malheurs du monde/ Qui sont légion »), la trahison des prêtres vendus à la cause des oppresseurs, suffisent à discréditer l’autorité de Dieu et à persuader l’homme de s’accommoder du « monde comme il va » pour reprendre le titre de Voltaire à qui fait parfois songer ce poème.

4. Une anti-prière

L’hommage adressé à la vie sur cette terre n’interdit donc pas l’identification des dangers, des crimes, des malheurs qui y règnent. Le tableau du monde présenté par Prévert est loin d’être totalement rose. Mais les imperfections sont acceptées, rapatriées dans le camp de l’humain – et non déléguées au crédit de quelques forces maléfiques qui réintroduiraient, négativement, la transcendance.

Si salut il doit y avoir, c’est à l’homme seul de l’assurer. Cette parodie de prière adressée à un Notre Père refusé, est exactement une anti-prière puisqu’il est surtout demandé au destinataire, Dieu, de ne rien faire, de ne pas intervenir, de ne pas se mêler des affaires des humains.

Le monde leur appartient ; qu’ils se prennent en charge et, se débarrassant des croyances paresseuses, qu’ils acceptent de l’assumer tel quel pour pouvoir, peut-être, le changer. On peut difficilement aller plus loin dans la voie de l’athéisme.

Cette position, ouvertement affichée dans Paroles, est autorisée, semble-t-il, par l’existence du mal ; mais précisément le tableau du mal présenté par « Pater Noster » est proportionnellement inférieur à celui du bien et ne suffit pas à désespérer le poète. Or l’espérance n’est-elle pas une des vertus attendues du croyant ? Des voies divergentes semblent finalement se rejoindre et Prévert nous interpelle dans nos convictions. D’autant que le ton est provocant.

III. Une langue poétique parfaitement adaptée

1. Le fonctionnement du langage poétique

Ce poème, on le voit, contient un message « politique » d’une audace et d’une gravité que l’apparence ne permettrait guère de deviner. C’est que Prévert n’est pas un penseur, un idéologue. A peine il s’avoue poète. Plutôt que d’ériger des théories, il caresse la moquerie. Plutôt que d’enseigner, il démystifie.

Aussi doit-on, pour « Pater Noster » comme pour la plupart de ses œuvres poétiques, corriger la vigueur de l’attaque par la gaîté de la forme ou encore vérifier comment la langue poétique se met au service de la démonstration.

Quelques effets de style viennent souligner l’intention du propos.

La première caractéristique du langage poétique de Prévert est de nature syntaxique. On peut repérer de nombreuses anaphores du « avec » (quinze occurrences dont treize en position initiale) ; l’effet accumulatif se combine ici avec l’effet incantatoire qui doit reproduire le principe de la prière.

L’énumération, capitale dans ce poème, participe du même but. Prévert est sinon l’inventeur du moins l’un des meilleurs représentants de cette poésie du dénombrement, de l’ « Inventaire » pour reprendre le titre d’un de ses plus célèbres poèmes.

La plus grande partie de « Pater Noster » est ainsi construite sur une accumulation des « beautés » (première partie), puis des malheurs (deuxième partie). Deux ou trois schémas servent de moule à l’énumération : groupe nominal ( possessif + adjectif + nom) + préposition + groupe nominal de lieu comme par exemple dans l’expression « son petit canal de l’Ourcq ». Ce stéréotype revient une bonne demi-douzaine de fois et le dernier vers reprend, à peine modifié, ce modèle redoublé symétriquement.

Un autre schéma est celui composé du possessif (ou article) + adjectif + nom (de préférence au pluriel du type « ses bons enfants (…) les jolies filles ».

2. Le vocabulaire

L’association lexicale contribue au déroulement du poème. Par exemple, l’expression « mystères de Paris » amène, par un glissement à partir du premier mot, la mention de la Trinité. Par un autre glissement du deuxième mot, nous avons « New York ». Le « petit canal de l’Ourcq » appelle, en contrepoint, la « grande muraille de Chine ».

Le registre « liquide » permet de passer du « canal » (v.8) à la « rivière » (v.10), à l’ « océan » (v.12), au « bassin » (vers 13).Les « saisons » (vers 29) sont élargies par les « années » (vers 30), idée reprise dans l’adjectif « vieux » du vers suivant.

La répétition procède du même entraînement verbal : « Restez-y / Nous resterons » ; « Merveilles du monde » (vers 15) / « émerveillés/ merveilles » (V.20) ; « n’osent se l’avouer, n’ose se montrer ».

Parfois le mot, pris à la lettre, retrouve de sa vigueur première et oriente l’écriture : ainsi l’expression « qui sont légion » (v.24) entraîne le mot « légionnaires » (v.25), qui lui-même suscitera d’autres enchaînements. Les mots « bêtises » (v.11) ou « Pacifique » (v.12) dépassent le sens étroit qu’ils ont dans les groupes tout faits auxquels ils appartiennent.

3. Les sonorités

La troisième règle d’écriture est d’ordre sonore. Le recueil Paroles revendique, par son titre, une priorité orale. Les effets des allitérations ou les effets phonétiques de « Pater Noster » le montrent.

La combinaison de sons, loin d’être un enjolivement gratuit, participe de la construction et du projet général. Ainsi Morlaix et Cambrai, deux chefs-lieux de province, sont sans doute choisis en raison de la rime.

Même effet entre « légionnaires » et « tortionnaires » (dont les sens sont voisins) ou encore plus nettement dans le vers 28 qui combine le procédé de paronomase et de paronymie : « Les maîtres avec leurs prêtres leurs traîtres et leurs reîtres ».

4. Le rythme

Pour finir, le rythme poétique joue une grande importance dans ce poème et contribue à cet effet d’emportement général.

La ponctuation est traditionnellement rare chez Prévert ; elle est totalement absente ici, où les lignes de lectures sont induites par le sens ou par les procédés stylistiques.

Le mètre est variable, tantôt très court (3 syllabes), tantôt long (13 syllabes), le plus souvent intermédiaire (de 6 à 9 syllabes).

L’impair domine, mais l’alexandrin n’est pas absent (v. 14 et 31). Le changement de mètre n’est pas totalement arbitraire, il peut permettre un effet de rythme quand deux vers de longueur identique se succèdent (5/6 ; 10/11 ; 17/18 ; 25/26, soit six hexasyllabes sur 32 vers, 29/30).
A plusieurs reprises, une expression brève est détachée en position isolée pour souligner une rupture dans le sens et dans l’allure visuelle du poème :

« Notre père qui êtes aux cieux
Restez-y »

On note le même effet aux vers 16 ou 19.

Ces procédés ont en commun de donner au poème une allure vive proche de l’improvisation ou de l’incantation (dont le titre semble se réclamer). La poésie de Prévert se veut simple, directe, efficace, et c’est peut-être une des raisons de son succès auprès du grand public.

Pourtant cette écriture n’est ni innocente, ni « facile ». Si elle parvient à se faire oublier, c’est qu’elle entre en parfaite adéquation avec un contenu qu’elle souligne souvent, qu’elle camoufle parfois.

Conclusion

Les deux faces de Prévert apparaissent assez bien dans ce poème « Pater noster ».

D’une part l’impitoyable profondeur (avec le sourire) des errements contemporains, l’opposant à toute contrainte (la religion, l’autorité, l’âge, les valeurs bourgeoises).

D’autre part, le poète ébloui, qui ouvre des yeux émerveillés sur le monde pour s’apercevoir qu’il n’est pas toujours bien reluisant, mais qu’il renferme aussi quelques beautés remarquables ou anodines, le poète enfant qui, saluant l’oiseau, salue à travers lui les bonheurs de l’existence et le spectacle de la réalité.

De ces deux tendances, la seconde prime dans ce poème : l’anathème cède le pas à l’enthousiasme. L’admiration l’emporte sur la condamnation, l’optimisme sur la révolte.

Si le poète donne un peu brutalement congé à Dieu, c’est précisément parce qu’il estime que l’étendue du mal sur la terre, qui témoigne de l’imperfection divine, ne justifie pas le détour métaphysique.

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