Jean Racine

Racine, Andromaque, Acte III, Scène 7, La Tirade de Pyrrhus

Texte étudié

Pyrrhus, Andromaque, Céphise

Pyrrhus continue.

Madame, demeurez.

On peut vous rendre encor ce fils que vous pleurez.
Oui, je sens à regret qu’en excitant vos larmes
Je ne fais contre moi que vous donner des armes.
Je croyais apporter plus de haine en ces lieux.
Mais, Madame, du moins tournez vers moi les yeux :
Voyez si mes regards sont d’un juge sévère,
S’ils sont d’un ennemi qui cherche à vous déplaire.
Pourquoi me forcez-vous vous-même à vous trahir ?
Au nom de votre fils, cessons de nous haïr.
A le sauver enfin c’est moi qui vous convie.
Faut-il que mes soupirs vous demandent sa vie ?
Faut-il qu’en sa faveur j’embrasse vos genoux ?
Pour la dernière fois, sauvez-le, sauvez-vous.
Je sais de quels serments je romps pour vous les chaînes,
Combien je vais sur moi faire éclater de haines.
Je renvoie Hermione, et je mets sur son front,
Au lieu de ma couronne, un éternel affront.
Je vous conduis au temple où son hymen s’apprête,
Je vous ceins du bandeau préparé pour sa tête.
Mais ce n’est plus, Madame, une offre à dédaigner :
Je vous le dis, il faut ou périr ou régner.
Mon coeur, désespéré d’un an d’ingratitude,
Ne peut plus de son sort souffrir l’incertitude.
C’est craindre, menacer et gémir trop longtemps.
Je meurs si je vous perds, mais je meurs si j’attends.
Songez-y : je vous laisse, et je viendrai vous prendre
Pour vous mener au temple où ce fils doit m’attendre.
Et là vous me verrez, soumis ou furieux,
Vous couronner, Madame, ou le perdre à vos yeux.

Racine, Andromaque

Introduction

Andromaque est l’une des plus célèbres et plus interprétées tragédies de Jean Racine. Elle met en scène un conflit amoureux sans issue : Pyrrhus, roi d’Epire, garde recluse Andromaque, femme d’Hector, ainsi que son fils Astyanax. Il est amoureux d’Andromaque, mais doit faire face à un mur. Il menace à de nombreuses reprises de mettre à mort son fils si elle ne se décide pas à l’aimer, mais cède à chacune de ses supplications et repousse la mise à mort. Jusqu’au jour où il reçoit l’ordre des Grecs de leur livrer Astyanax. Entre deux feux, le vainqueur de Troie essaie, dans la scène 7 de l’Acte IV, de tourner cette situation à son avantage. Il accepte dans un premier temps la demande grecque, au détriment d’Andromaque, mais laisse une dernière chance à Andromaque. Si elle l’épouse, il se portera garant de la sécurité d’Astyanax. Nous verrons dans un premier temps que derrière une plainte pathétique, le roi d’Epire envoie un ultimatum très clair à Andromaque. Puis nous étudierons la position très ambiguë de Pyrrhus : si près du but, il met en jeu sa vie.

I. Le double discours de Pyrrhus

Cet extrait est d’abord l’occasion pour Pyrrhus d’émouvoir Andromaque. Mais avec un objectif précis en tête : l’obliger à l’épouser.

A. La pitié

Dans sa tirade, Pyrrhus laisse entendre une longue supplication à Andromaque, afin d’émouvoir sa tendresse. Il recherche constamment les yeux de celle-ci afin de lui exprimer son émotion par son regard : « Madame, du moins tournez vers moi les yeux », « voyez si mes regards », « vous me verrez », « le perdre à vos yeux ». Il utilise également le vocabulaire de la perception, qui peigne en sa faveur ses bons sentiments : « Je sens à regret », « je croyais », « mon cœur ne peut ». La présence constante de termes de négation font appel à la pitié d’Andromaque. Le champ lexical de la souffrance est également régulièrement invoqué : « pleurez », « larmes », « soupirs », « gémir », « meurs », « désespéré ». Pyrrhus a aussi recours à de nombreuses questions rhétoriques pour émouvoir Andromaque : « Pourquoi me forcez-vous à vous déplaire ? », « Faut-il que mes soupirs demandent sa vie ? ».

B. Un ultimatum

Mais derrière cette plainte non dissimulée, le roi d’Epire tente également de faire fléchir l’amour de sa captive, et lui adresse un ultimatum : « ce n’est plus, Madame, une offre à dédaigner ». Celui-ci s’apparente, en comparaison à ses précédentes menaces, à une dernière sommation : « Pour la dernière fois », « on peut vous rendre encor ». Il place astucieusement, entre plusieurs vers plaintifs, des ordres très courts : « Madame, demeurez », « tournez vers moi les yeux », « cessons de nous haïr », « songez-y ». On note également l’utilisation récurrente du verbe falloir, qui met Andromaque devant le choix à faire : voir son fils mourir ou épouser Pyrrhus : « Faut-il », « il faut ou périr ou régner ». Au plus fort moment, il utilise le présent de l’indicatif, pour étaler sa proposition : « Je vous conduis au temple », « Je vous ceins du bandeau ». La déclaration rapide de ces vers doit également représenter la facilité et la rapidité de cet acte, qui fait jusque-là horreur à Andromaque.

Ainsi nous voyons que derrière une plainte apparente, Pyrrhus fait à Andromaque ce que l’on pourrait assimiler à un dernier ultimatum de guerre.

II. Une position ambiguë

Cependant, Pyrrhus se trouve dans une situation très délicate, et semble abattre sa dernière carte dans sa longue « lutte » avec sa captive.

A. Un affrontement qui touche à son terme

A travers cette déclaration, le roi d’Epire se met en constante opposition par rapport à Andromaque : « je ne fais contre moi que vous », « Pourquoi me forcez-vous vous-même à vous », « je vous », « me soupirs vous demandent ». Le champ lexical de la guerre et de la justice est également beaucoup invoqué : « des armes », « les chaînes », « trahir », « juge sévère », « ennemi », « serment ». Il ressort que nous avons affaire ici à un affrontement théâtral, proche de son dénouement.

B. Une apparente position de force

Dans ce conflit, Pyrrhus apparaît donc en position de force par rapport à sa captive. C’est lui qui dicte constamment sa loi à Andromaque. Le vainqueur de Troie utilise beaucoup d’impératifs, et se place en acteur principal en employant principalement des verbes d’action pour décrire ses actes : « Je vous conduis », « je vous ceins », « je viendrai », « c’est moi qui vous convie », « vous mener ». Il se présente également comme un homme omniscient : « je sens à regret qu’en excitant vos armes », « je sais de quels serment je romps pour vous les chaînes ». Il évoque également a de nombreuses reprises son pouvoir royal : « ma couronne », « vous couronner ». De son côté, Andromaque n’est invoquée qu’avec des verbes de perception : « voyez », « vous me verrez », « songez-y » qui tendent à la rabaisser à son stade de – future – vaincue.

C. Mais une réalité toute autre

Cependant, si c’est bien Pyrrhus qui « mène les négociations » et qui semble imposer sa loi à Andromaque, le roi d’Epire semble, dans cette tirade, également au bord de la défaite, abattre sa dernière carte : « Je vous le dis, il faut ou périr, ou régner ». Au bord de l’épuisement après plusieurs mois de « guerre », il remet sa vie à la décision de son amante : « Mon coeur ne peut plus (…) de son sort souffrir l’incertitude ». Il en vient même à se menacer lui-même de mort : « Je meurs si je vous perds, mais je meurs si j’attends ». Si bien que c’est lui qui par moment, semble en position de vaincu : « Au nom de votre fils », « Faut-il qu’en sa faveur j’embrasse vos genoux ? ».

Ainsi, malgré son apparent pouvoir, Pyrrhus joue dans cette tirade son avenir et s’en remet à la décision d’Andromaque. C’est donc elle qui, dans un sens, a le pouvoir sur Pyrrhus.

Conclusion

Dans ce passage, Pyrrhus tente de convaincre sa captive de l’épouser, en expliquant qu’il sera en échange prêt à tout pour protéger la vie d’Astyanax, même si cela doit le conduire à la guerre. Mais derrière son apparence de « prince tout puissant », il révèle une relative faiblesse, d’une part par rapport à la politique, et par rapport à lui-même. Cette scène est cruciale, dans le sens qu’elle lance l’action finale de la tragédie. Pyrrhus se sent en danger et est désespéré ; cet ultimatum annonce la dernière partie du conflit.

Nous voyons ici dans cette scène la maîtrise de la langue tragique par Racine qui exprime la double portée du conflit, à la fois sentimental et politique.

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