Paul Claudel

Claudel, L’échange, I, Moi, je connais le monde. J’ai été partout…

Texte étudié

(I)

Lechy Elbernon. – Moi je connais le monde. J’ai été partout. Je suis actrice, vous savez. Je joue sur le théâtre. Le théâtre. Vous ne savez pas ce que c’est ?

Marthe. – Non.

Lechy Elbernon. – Il y a la scène et la salle. Tout étant clos, les gens viennent là le soir, et ils sont assis par rangées les uns derrière les autres, regardant.

Marthe. – Quoi ? Qu’est-ce qu’ils regardent, puisque tout est fermé ?

Lechy Elbernon. – Ils regardent le rideau de la scène. Et ce qu’il y a derrière quand il est levé. Et il arrive quelque chose sur la scène comme si c’était vrai.

Marthe. – Mais puisque ce n’est pas vrai ! C’est comme les rêves que l’on fait quand on dort.

Lechy Elbernon. – C’est ainsi qu’ils viennent au théâtre la nuit.

Thomas Pollock Nageoire. – Elle a raison. Et quand ce serait vrai encore, qu’est-ce que cela me fait ?

Lechy Elbernon. – Je les regarde, et la salle n’est rien que de la chair vivante et habillée. Et ils garnissent les murs comme des mouches, jusqu’au plus fond. Et je vois ces centaines de visages blancs. L’homme s’ennuie, et l’ignorance lui est attachée depuis sa naissance.

Et ne sachant de rien comment cela commence ou finit, c’est pour cela qu’il va au théâtre.

Et il se regarde lui-même, les mains posées sur les genoux.

Et il pleure et il rit, et il n’a point envie de s’en aller.

Introduction

Nous allons étudier un texte de Paul Claudel extrait de L’Échange. Paul Claudel (1868-1955) était diplomate, poète et auteur dramatique, contemporain de Paul Valéry, d’André Gide ainsi que le frère de la sculptrice Camille Claudel. Il fut marqué à la fois par la lecture de Rimbaud et par la religion catholique à laquelle il se convertit en 1886. La pièce fut créée en 1914 par Jacques Copeau. Au départ nous avons deux couples, Louis et Marthe, Thomas et Lechy, la tentative d’échange entre les deux couples tourne au drame, à la mort et à la séparation. Lechy est actrice de théâtre qui parle ici de son métier. Elle représente la femme libérée. L’évolution de leur rapport est au centre de la pièce. La tentative d’échange entre les deux couples tournera au drame, à la séparation et la mort. Dans un premier temps, nous étudierons l’évocation de l’espace théâtral, puis, en second lieu, la valeur symbolique du rapport entre le théâtre et la vie.

I. L’évocation de l’espace théâtral

L’évocation de cet espace est très sobrement présentée. Claudel va à la ligne à chaque fois, après chaque phrase. L’écriture est poétique, on a des versets très proches de la prose. Lechy a le plus grand temps de parole car, c’est un actrice qui parle de son métier et du théâtre, « Il y a la scène et la salle. Tout étant clos, les gens viennent là le soir, et ils sont mis par rangées les uns derrière les autres, regardant. », « Mais puisque ce n’est pas vrai ! C’est comme les rêves que l’on fait quand on dort ».

Marthes écoute et découvre, il n’y a qu’une seule réplique de Thomas : « Elle a raison. Et quand ce serait vrai encore, qu’est-ce que cela me fait? ». Dans un premier temps, du début jusqu’à la réplique de Thomas, nous avons le point de vue de la salle, après son intervention, celui de l’actrice qui correspond au regard du comédien sur la salle. On a une explication très puérile de la description de la scène faite à Marthe : « il y a la scène et la salle », « ils regardent le rideau de la scène », « et ce qu’il y a derrière quand il est levé ».

On constate en outre que les propos de Lechy sont pleins de vantardise. En effet, elle utilise un nombre considérable de pronoms sujets, « moi, je ». En fait, le public est aussi mis en avant. Il est présent mais passif et à l’écart par rapport à la scène, « ainsi par rangées les uns derrière les autres, regardant ». La métonymie « chaire vivant » le montre. Le public devient une personnalité globale, passive, soumise et indisciplinée.

L’évocation de l’espace théâtral nous amène à envisager les rapports que le théâtre peut avoir avec la vie.

II. La valeur symbolique du rapport entre le théâtre et la vie

A la question, « le théâtre, vous ne savez pas ce que c’est ? », Lechy répond en faisant un raisonnement analogique : une pièce de théâtre est comme un rêve. Les spectateurs assistent au spectacle théâtral la nuit : « Tout étant clos, les gens viennent là le soir », « C’est comme les rêves que l’on fait quand on dort ». Ils regardent « comme si c’était vrai », comme on regarde la vie. Par conséquent, il faut que le jeu théâtral soit plausible et crédible.

Le jeu théâtral n’est que la réplique du jeu de la vie. C’est un miroir, un reflet de l’homme. En effet, pour se divertir et apprendre, l’homme a besoin de se voir : « Il se regarde lui-même ». Le spectateur se projette sur l’acteur, il s’agit d’un procédé d’identification.

On peut faire un rapprochement avec Aristote qui soulignait bien l’effet cathartique et purificateur du théâtre rendu possible par l’effet miroir. La parole, dans le jeu théâtral est aussi cathartique, car en s’identifiant, l’homme se libère : « L’homme s’ennuie et l’ignorance lui est attachée depuis sa naissance et ne sachant de rien comment cela commence ou finit, c’est pour cela qu’il va au théâtre ». La curiosité de la fiction représente notre inquiétude face au destin. Le théâtre devient un lieu de vérité dans lequel les extrêmes des émotions sont suscités, « il pleure, il rit ». Ainsi, nous trouvons dans le théâtre la même élévation possible que celle du mythe de la caverne exposée dans la République de Platon. A travers ce mythe, le philosophe nous enseigne que l’homme peut franchir le seuil du sensible pour l’intelligible. De même, on trouve dans le théâtre cette même élévation. Du lieu de la fiction, on s’élève à la vérité, le spectacle du théâtre, donc des images, est celui du reflet de la vie. On peut parler d’une véritable initiation à la compréhension de la vie.

Conclusion

Malgré le caractère succinct de cet extrait, Paul Claudel nous décrit avec une grande poésie, l’espace théâtral avec ses valeurs symboliques et les ressorts que le jeu théâtral implique. La référence à Aristote nous informe sur la fonction possible de l’art théâtral, il a un but cathartique, purificateur et libérateur.

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