Emile Zola

Zola, L’Assommoir, Chapitre VII, Le Grande bouffe

Introduction

Zola dans son devoir de romancier naturaliste narre « L’histoire Naturelle et Sociale d’une famille sous le Second Empire » ainsi que l’indique le sous-titre donné à l’ensemble de son œuvre sur les Rougon-Macquarts. Zola y dresse une grande fresque romanesque qui se réclame de l’esthétique naturaliste, notamment dans l’Assommoir. L’épisode de « La grande bouffe » constitue alors une des scènes primordiales du roman : en effet, considéré comme obscène d’une esthétique idéaliste, la nourriture est un des thèmes majeurs de l’esthétique réaliste : elles exprime les besoin fondamentaux de l’homme. En outre, l’écriture de Zola met le lecteur de plain-pied avec cette « grande bouffe« , jusqu’à la nausée, d’abord par sa peinture du peuple, ensuite par la présence envahissante des corps dans cette scène théâtrale.

I. Peindre le peuple

A. Évolution du langage

On note en premier lieu dans l’épisode de la grande bouffe une utilisation du langage familier qui évolue au cours du texte : Zola commence par l’utilisation de termes ou d’expressions populaires appartenant à un registre courant, tels que « il y eut là un fameux coup de fourchette », « collé une pareil indigestion », « tassée », « s’emplissait trop lui-même ». Le narrateur passe à un registre plus familier avec « bâfrer », et enfin à l’argot à partir du moment où Coupeau se fâche alors qu’il tient à ce que Virginie mange son morceau de cuisse. On note alors la progression du registre avec l’excitation et l’emballement du discours par rapport au mouvement d’euphorie et du laisser-aller général. Le registre argotique devient donc particulièrement évident avec « décrottait », « en aurait bouffé », « gueuleton », « joliment godiche ». Zola se sert donc du registre de langue populaire afin de traduire l’atmosphère d’excitation croissante qui règne autour de ce festin royal.

B. Variation du point de vue narratif

Zola utilise de plus la variation du point de vue narratif afin de rendre la scène plus vivante et de dévoiler les sentiments de chacun des personnages. Zola commence d’abord par donner une vue d’ensemble de la société à table au cours des trois premières lignes. C’est ensuite que le narrateur se rapproche de chaque personnage plus spécifiquement. Celui-ci commence par Gervaise bien sûr, maîtresse de cérémonie, qui « tassée sur les coudes », ne prend pas tellement part à l’euphorie générale si ce n’est qu’elle se contente d’observer et de manger l’oie avec satisfaction mais aussi avec une certaine appréhension, puisqu’elle mange avec gourmandise, « de peur de perdre la bouchée ». Zola passe de Gervaise à Goujet qui l’observe, admiratif et amoureux de sa gourmandise : « puis, sans sa gourmandise, elle restait si gentille et si bonne! ». Celui-ci paraît plus serein que Gervaise, qui s’occupe aussi en même temps du père Bru, perdu dans tant de nourriture et de bonté. Le regard de Goujet permet de revenir à la description de Gervaise en même temps que celle du père Bru et ces trois personnages forment alors un cercle à part de la société euphorique et excitée; on tient là un tableau particulièrement stéréotypie, avec Gervaise, la mère s’occupant du père Bru, enfant, « qui ne semblait pas connaisseur » et Goujet, éperdument amoureux et attendri devant un tel tableau. Le point de vue narratif passe alors aux Loilleux incroyablement jaloux devant un tel festin (« passaient leur rage sur le rôti … ils auraient englouti le plat … afin de ruiner la Banban du même coup »), puis à Mmes Putois, Lerat, Boche, et maman Coupeau, occupées à manger, et enfin, à Virginie, Poisson, Coupeau et Clémence en compagnie de Boche pour en revenir à une vue d’ensemble de la société.
Notons de plus que Zola nous expose cette galerie de portraits afin que le regard du narrateur passe d’un individu à un autre grâce à un mouvement cinématographique : on passe de Gervaise à Goujet car ils sont assis l’un en face de l’autre, puis au reste des convives autour de la table grave au « travelling ». Il est également important d’étudier l’ordre de la description de cette galerie de portraits : en effet, on passe du cercle calme formé par Goujet, Gervaise et le père Bu aux commères que sont Mme Putois, Lerat et Boche (d’ailleurs la concierge) pour en arriver à Virginie, Coupeau et Poisson qui se disputent et aux « indécences » de Clémence et Boche. Donc de la même manière que le langage argotique progressait avec l’euphorie, Zola passe d’un individu à un autre de sorte que l’on assiste à une progression d’une atmosphère de plus en plus excitée, euphorique, pour arriver à l’apogée de l’épisode lorsque le regard du narrateur revient sur une vue d’ensemble de la société avec « ils pétaient dans leur peau es sacrés goinfres! La bouche ouverte, le menton barbouillé … ».

II. Une scène théâtrale : la présence envahissante du corps

On observe de plus une présence constante et envahissante du corps dans cet épisode qui permet dans un premier temps de révéler les véritables caractères de chaque convive. En effet, à chaque convive est associé un morceau de l’oie, significatif de leurs attitudes et intentions, et l’énumération des morceaux de l’oie permet de passer d’un individu à un autre. On commence par Gervaise et les gros morceaux de blanc faisant référence symboliquement à sa boutique (une blanchisserie); sa gourmandise révèle de plus d’étendue de sa peur de devoir faire peut être face un jour à la famine, et prévoit donc sa déchéance finale. Goujet est l’amoureux chaste qui imite Gervaise et partage le repas avec elle comme un substitut à leur amour impossible (« s’emplissait trop lui-même, à la voir toute rose de nourriture »); le père Bru quant à lui mange n’importe quoi (« il avalait tout, la tête basse ») et subit la nourriture avec passivité comme les évènements de la vie. Les Lorilleux, mangent le rôti, ce qu’il y a de plus desséché, traduisant leur avarice, leur jalousie, et cherchent d’ailleurs à manger le plus possible afin de ruiner « la Banban ». Les dames décortiquent la carcasse qui est « le morceau des dames », « grattent les os », attiudes donc symboliques de leur curiosité et de leur tendance au commérage. L’avidité de Maman Coupeau est évoquée lorsque celle-ci « arrache » la viande. Birginie mange la peau et évoque sa jalousie et le « haut de cuisse » que lui sert Coupeau fait allusion à l’appétit amoureux de la jeune femme. La manière impétueuse de manger de Coupeau (« s’enfonçait un pilon entier dans la bouche ») souligne l’impétuosité de ses désirs, et le goût de Clémence pour le croupion souligne sa vulgarité.
Alors que le caractère de chaque convive est clairement décortiqué au cours du texte, le thème de la démesure alimentaire et de la maladie font surface et évoquent donc l’excès de nourriture, notamment avec « tassée sur ses coudes, mangeait des gros morceaux de blanc », « s’emplissait trop », « gourmandise », « bâfrer », « englouti », « le ventre enflé », « bouffé », « les bedons se gonfler » … On assiste ici à une scène de véritable excès, forcément mauvais pour la santé comme la clame Poisson; mais pour Coupeau, cet excès de nourriture ne peut être cause de maladie, si ce n’est au contraire qu’il la guérit (« au contraire, l’oie guérissait les maladies de la rate »). Les corps de chaque convie se gonflent de plus en plus, jusqu’à en devenir écœurants et envahissants, tel leur excès de nourriture.
De plus, le symbolisme social du comportement de chaque convive mène à une déshumanisation, que l’on peut voir à travers Gervaise dans un premier lieu : celle-ci est « énorme, tassée sur des coudes, gloutonne comme une chatte » et représente donc véritablement l’oie elle-même (l’oie est de plus au centre de l’attention, comme Gervaise, maîtresse de cérémonie). Le père Bru est « abêti de tant bâfrer », et Mmes Leral, Putois, et Poisson (ainsi que le mari) sont déshumanisées à travers leurs noms propres significatifs. On assiste donc à l’animalisation des personnages à travers cet excès de nourriture. Enfin, le comportement de chaque convive ne mène pas seulement à leur déshumanisation, mais révèle également du fait que ceux-ci cherchent à prendre leur revanche sur les bourgeois à travers le trop plein de nourriture et cet excès dans le cadre d’un festin absolument gargantuesque, cela devient particulièrement évident à travers le dernier paragraphe où l’on assiste à une vue d’ensemble de la société, avec « ils pétaient dans leur peau les sacrés goinfres! … ils avaient des faces pareilles à des derrières, et si rouges, qu’on aurait dit des derrières de gens riches, crevant de prospérité ».

Conclusion

En conclusion, on peut affirmer qu’une fois de plus, Zola est observateur et expérimentateur : il met en scène des personnages dans une situation précise et observe leur comportement (ce qu’ils mangent, la manière dont ils mangent, leurs désirs, leurs sentiments, etc …). De plus, Zola met en scène un festin gargantuesque qui envahit le lecteur. Enfin, notons que la place importante et la valeur symbolique de la nourriture est retrouvée au chapitre 12 ou au contraire, Gervaise fait face à la famine qu’elle redoutait tant.

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