François-René de Chateaubriand

Chateaubriand, Mémoires d’Outre-Tombe, Les soirées à Combourg, Commentaire 1

Texte étudié

A huit heures, la cloche annonçait le souper ; Après le souper, dans les beaux jours, on s’asseyait sur le perron; Mon père, armé de son fusil, tirait les chouettes qui sortaient des créneaux à l’entrée de la nuit. Ma mère, Lucile et moi, nous regardions le ciel, les bois, les dernier rayons du soleil, les premières étoiles ; A dix heures, on rentrait et l’on se couchait.

Les soirées d’automne et d’hiver étaient d’une autre nature. Le souper fini et les quatre convives revenus de la table à la cheminée, ma mère se jetait en soupirant sur un vieux lit de jour de siamoise flambée ; on mettait devant elle un guéridon avec une bougie. Je m’asseyais auprès du feu avec Lucile ; les domestiques enlevaient le couvert et se retiraient ; Mon père commençait alors une promenade, qui ne cessait qu’à l’heure de son coucher. Il était vêtu d’une robe de ratine blanche, ou plutôt d’une espèce de manteau que je n’ai vu qu’à lui. Sa tête, demi chauve, était couverte d’un grand bonnet blanc qui se tenait tut droit. Lorsqu’en se promenant, il s’éloignait du foyer, la vaste salle était si peu éclairée par une seule bougie qu’on ne le voyait plus ; puis il revenait lentement vers la lumière et émergeait peu à peu de l’obscurité, comme un spectre, avec sa robe blanche, son bonnet blanc, sa figure longue et pâle. Lucile et moi, nous échangions quelques mots à voix basse, quand il était à l’autre bout de la salle ; nous nous taisions quand il se rapprochait de nous. Il nous disait, en passant ; « De quoi parliez-vous ? ». Saisis de terreur, nous ne répondions rien : il continuait sa marche. Le reste de la soirée, l’oreille n’était plus frappée que du bruit mesuré de ses pas, des soupirs de ma mère et du murmure du vent.

Dix heures sonnaient à l’horloge du château ; mon père s’arrêtait ; le même ressort, qui avait soulevé le marteau de l’horloge, semblait avoir suspendu ses pas. Il tirait sa montre, la montait, prenait un grand flambeau d’argent surmonté d’une grande bougie, entrait un moment dans la petite tour de l’ouest, puis revenait, son flambeau à la main, et s’avançait vers sa chambre à coucher, dépendante de la petite tour de l’est. Lucile et moi, nous nous tenions sur son passage ; nous l’embrassions, en lui souhaitant une bonne nuit. Il penchait vers nous sa joue sèche et creuse sans nous répondre, continuait sa route et se retirait au fond de la tour, dont nous entendions les portes se refermer sur lui.

Le talisman était brisé ; ma mère, ma sœur et moi, transformés en statues par la présence de mon père, nous recouvrions les fonctions de la vie. Le premier effet de notre désenchantement se manifestait par un débordement de paroles ; si le silence nous avait opprimés, il nous le payait cher.

Introduction

Nous allons étudier un texte de Chateaubriand tiré des « Mémoires d’outre-tombe » intitulé « Les soirées de Combourg ». Le vicomte de Chateaubriand, François-René de son vrai nom, est un écrivain français né à St Malo en 1768 et mort en 1848. Il assiste aux débuts de la révolution dont il écrira un essai, « Essai sur les révolution 1797 ». Les « Mémoires d’outre-tombe » sont le monument funéraire que Chateaubriand construisit à sa propre gloire. Le point de vue de l’auteur n’est pas celui d’un homme immergé dans la vie, mais celui de l’éternité. Combourg est le lieu où se trouve le tombeau de son père. « Les soirées de Combourg » se situent au début des Mémoires. L’écrivain n’est pas né à Combourg donc il n’est pas attaché à ce lieu qui n’est pas celui de sa naissance et qui n’est pas non plus un lieu d’écriture. Combourg occupe cependant une place déterminante dans la vie de Chateaubriand. Combourg crée un espace mental mélancolique de rêverie pour l’auteur qui deviendra un des écrivains romantiques mettant en évidence le culte du moi, c’est la génération mélancolique. L’auteur développe l’imaginaire. Ce souvenir est une élaboration rétrospective d’un souvenir, il fait un micro-roman de sa vie. Il y a un aspect autobiographique et romanesque.

I. La puissance du temps

1. Un temps mélancolique

L’imparfait domine dans tout le texte, « chaque soirée » a une valeur d’habitude de l’imparfait, c’est une soirée inlassablement répétée, immuable dans son déroulement, nous avons l’image d’un théâtre familial dont la mise en scène est réglée. Les scènes sont scandées sur le rythme de la monotonie et de l’ennui, l’accent étant mis sur la durée. Le temps est aussi cyclique du fait du rituel, de l’aspect cérémonie que prennent les soirées. Le temps semble fermé sur lui-même, « tous les soirs ». Il en va ainsi et de même pour la cérémonie de la promenade, il y a une véritable mise en place du rituel, il envisage d’ailleurs la cérémonie en elle-même.

2. Les soirées en automne et en hiver

Les saisons comme l’automne et l’hiver sont ici privilégiée, ce sont les saisons des romantiques. La connotation mélancolique suggère le repli, l’intériorisation, « le vague des passions » ; La soirée a une tendance funèbre, c’est un moment propice à la transformation des choses, le monde nocturne se dévoile tel un univers irrationnel.

3. Une temporalité irrationnelle

Nous avons un temps banal relativement à la soirée ordinaire chez des aristocrates dans la Bretagne du XVIIème siècle illustrée par un retour à la vie, des conversations, « un torrent de paroles ». Puis, dans un second temps, le temps peut sembler surnaturel, nous devinons l’étrange rituel du père culminant avec l’identification de l’horloge et du père, avec la métonymie paternelle, « le bruit mesuré de ses pas », puis, la référence à la mythologie avec le Dieu Cronos, père de Zeus, Dieu suprême dans le panthéon, Dieu du ciel, Dieu des Dieux. Les superstitions et les traditions sont liées à l’espace du château et elles apparaissent sans aucune forme mystérieuse. Le personnage du père est exclusivement lié au château.

Nous avons vu que la puissance du temps tenait au passage d’un temps mélancolique à un temps surnaturel, nous allons étudier les caractéristiques relatives à l’espace.

II. L’espace

1. Les éléments descriptifs

Concernant les sonorités, le texte traduit l’ennui et le désespoir, ces notions sont mises en avant par l’horloge et les soupirs, « le bruit mesuré de ses pas, les soupirs de ma mère et du murmure du vent ». La luminosité est faible, « vaste salle si peu éclairée », seuls dominent le feu de cheminée et la bougie sur le guéridon. L’espace est mal défini et mouvant du fait des déplacements du père, il s’agit d’ailleurs du premier élément inquiétant de l’extrait. Les éléments architecturaux se trouvent en petit nombre, la tour pour évoquer et rappeler le tombeau, il n’y a que des lieux de passage qui connotent l’errance des âmes, « portes », « l’escalier », « passages », « corridors », les lieux construits ont tous des formes circulaires qui évoquent le thème de l’errance.

2. La distributions des personnages

Le personnage du père appartient au monde des ténèbres, à la mort, sa robe blanche ne fait qu’accentuer son aspect cadavérique. Lucile et Chateaubriand sont prêts de la cheminée, proches de la lumière ce qui suggère l’innocence et la pureté que leur amour suscite. La mère a une position intermédiaire, elle appartient à la fois au monde des ténèbres, placé du côté du père, dans l’ombre, et au monde de la lumière représenté par les enfants. Nous avons donc une séparation de la famille.

3. La séparation symbolique de la séparation ombre – lumière

Le père et le Comte de Combourg sont attachés au château, nous savons que le père est assimilé à un fantôme, à un spectre ; sa figure est longue et pâle, ses joues creuses lui donnent un air sec, sa robe blanche l’apparente à un fantôme, tout semble faire de lui le spectre hyperbolique par excellence. Le père appartient au monde de la mort par son apparence et son langage, monde de la superstition et des légendes. De ce fait, en identifiant son père à un spectre, il est confondu avec le comte de Combourg. Le monde des vivants est incarné par Lucile, Chateaubriand et la mère, les caractérisations essentielles sont la parole, la lumière, la chaleur.

Conclusion

Cet extrait nous offre un souvenir sans qu’il y ait pour autant de système d’interprétation, d’élaboration seconde. Ce texte contribue à servir les préoccupations de Chateaubriand adulte au niveau autobiographique. Les éléments dans le texte informent du contenu des Mémoires, nous en avons un arrière plan avec le monde des traditions et des légendes.

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