Alexandre Dumas

Dumas, Pauline, Chapitre VIII, Horace de Beuzeval, Un héros romantique

Texte étudié

Il nous raconta ses courses dans le golfe du Bengale, ses combats avec les pirates malais ; il se laissa emporter à la peinture brillante de cette vie animée, où chaque heure apporte une émotion à l’esprit ou au cœur ; il fit passer sous nos yeux les phases tout entières de cette existence primitive, où l’homme dans sa liberté et dans sa force, étant, selon qu’il veut l’être, esclave ou roi, n’a de liens que son caprice, de bornes que l’horizon, et lorsqu’il étouffe sur la terre, déploie les voiles de ses vaisseaux, comme les ailes d’un aigle, et va demander à l’océan la solitude et l’immensité ; puis, il retomba d’un seul bond au milieu de notre société usée, où tout est mesquin, crimes et vertus, où tout est factice, visage et âme où, esclaves emprisonnés dans les lois, captifs garrottés dans les convenances, il y a pour chaque heure du jour de petits devoirs à accomplir, pour chaque partie de la matinée des formes d’habits et des couleurs de gants à adopter, et cela sous peine de ridicule, c’est-à-dire, de mort ; car le ridicule en France tache un nom plus cruellement que ne le fait la boue ou le sang.

Je ne vous dirai pas ce qu’il y avait d’éloquence amère, ironique et mordante contre notre société dans cette sortie du comte ; c’était véritablement, aux blasphèmes près, une de ces créations de poètes, Mandred ou Karl Moor ; c’était une de ces organisations orageuses se débattant au milieu des plates et communes exigences de notre société ; c’était le génie aux prises avec le monde, et qui, vainement enveloppé dans ses lois, ses convenances, et ses habitudes, les emporte avec lui, comme un lion ferait de misérables filets tendus pour un renard ou pou un loup..

J’écoutais cette philosophie terrible, comme j’aurais lu une page de Byron ou de Goethe ; c’était la même énergie de pensée, rehaussée de toute la puissance de l’expression. Alors cette figure si impassible avait jeté son masque de glace ; elle s’animait à la flamme du cœur, et ses yeux lançaient des éclairs; alors cette voix si douce prenait successivement des accents éclatants et sombres ; puis tout à coup enthousiasme ou amertume, espérance ou mépris, poésie ou matière, tout cela se fondait dans un sourire comme je n’en avais point vu encore, et qui contenait à lui seul plus de désespoir et de dédain que n’aurait pu le faire le sanglot le plus douloureux.

Introduction

Nous allons étudier un extrait du chapitre VIII de « Pauline » de Dumas et voir en quoi, Horace est un héros romantique. La foule après l’accident avec le sanglier ressent de l’admiration pour cet homme, il s’enfuit ensuite. L’histoire est contée par Paul, celui qui vient d’être sauvé, le fils de Mme de Luciennes. Horace qui revient des Indes ou il a reçu un héritage de son oncle, met au défi ses cousins de tuer une tigresse. Il sera blessé mais gagnera l’estime de ses derniers. Paul raconte ces événements au cours d’un dîner, Horace n’est pas là, c’est en fait un personnage très solitaire, peu bavard mais mondain. Il a une réputation d’homme de sang froid. Paul fait son apologie. Ce chapitre décrit la venue brutale au château d’Horace. Nous avons une deuxième entrevue entre Pauline et Horace, elle désire le fuir car elle sent le danger qu’il représente. Horace évoque ses impressions lors des chasses en Inde. Le changement de narrateur est constant. C’est un discours narrativisé, et nous avons un mélange de style direct et indirect libre. Dans un premier temps, nous étudierons l’exotisme de cette scène, puis en second lieu, la supériorité et le désespoir du héros.

I. L’exotisme de l’extrait

Horace de Beuzeval incarne le héros romantique par excellence. C’est un personnage, qui dans le récit de Dumas, oppose sa vie passée aux Maldives à son morne présent, là-bas, « chaque heure apporte une émotion », l’homme vit « dans sa liberté dans sa force » ici, au contraire, « il y a pour chaque heure du jour de petits devoirs à accomplir », on est « esclaves emprisonnés dans les lois » et « captifs garrottés dans les convenances ». Par conséquent, nous avons une nette opposition entre le passé et le présent, la chasse avec la société d’aujourd’hui contraste avec le vécu aux Indes. Ce passé exotique du héros s’apparente à un ailleurs rêvé et perdu, d’où sa mélancolie romantique. La végétation est évoquée comme étant, « luxuriante », l’océan est regretté pour son « immensité ». Il nous décrit un monde presque merveilleux qui entre en contradiction radicale avec la société dans laquelle il vit à présent. Ses voyages sont ainsi mis en valeur et accentuent les regrets du héros, la vie passée est assimilée à une vie d’aventures. L’aigle connote dans ce texte un sentiment de liberté et s’oppose « aux petits devoirs » de l’homme d’aujourd’hui. Tout ce qui se rapporte au présent est traduit de manière péjorative ; Paris est telle une prison qui prive l’individu de toute sa liberté, au contraire Horace aspire à une existence animale, il est en quête de sensations viriles. L’antithèse « esclave ou roi » exprime bien ses impressions face besoin de liberté et d’espace. Il remet en cause la notion de l’homme à se battre pour sa destinée en faisant ses propres choix. C’est un homme farouche pourtant esclave de ses penchants pour le mal et le vice. Il mène son propre jeu, c’est d’une certaine façon le roi des brigands, sa forme d’aventure personnelle.

Au-delà de l’attrait exotique et de l’aventure du héros romantique, cet extrait reflète certains paradoxes, nous allons à présent en étudier deux aspects au sens d’une marginalité.

II. Un héros paradoxal : supériorité et désespoir

Nous avons l’image d’un héros romantique, certes, mais d’un héros romantique marginal, la supériorité et le désespoir complètent le portrait de ce personnage épris de liberté. La comparaison que fait le narrateur avec Manfred et Karl Moor nous permet d’affirmer qu’Horace appartient à la lignée des marginaux romantiques révoltés contre la société. Nous constatons qu’intellectuellement, cet homme affiche une supériorité manifeste, son esprit est grand, « le génie aux prises avec le monde », « énergie de pensée ». De ce point de vue, il est hors du commun. Mais le désespoir transparait sous ce « masque de glace » comme si notre héros souffrait d’un mal de vivre au sens baudelairien, d’un spleen chronique. Un tel caractère ne pouvait que séduire une jeune fille dans une époque en quête de romanesque. Horace se sent supérieur à Pauline, c’est un auteur, un philosophe, ses pouvoirs sont connotés par les expressions, « éclair », « flamme », « feux », comme s’il s’agissait d’un pouvoir surnaturel. Mais les contradictions le rattrapent, sa douceur dans la voix qui pourrait suggérer un côté efféminé, son sourire, son caractère avenant sont rapidement contrariés par le sentiment de peur qu’il suscite dans le même temps. Sa philosophie est terrible. Toutes ces contradictions inhérentes au héros sont soulignées par les parallélismes de construction et les rythmes binaires, « enthousiasme ou amertume », « espérance ou mépris ». La dualité du bien et du mal propre au personnage domine.

Conclusion

Nous avons donc un personnage ambivalent, capable du meilleur comme du pire. C’est un extrait intéressant du point de vue de la psychologie du héros et de la narration très complexe puisque, le statut de l’auteur est tant externe qu’interne, « je », il se glisse dans la peau du personnage, qu’omniscient, il connait tout.

Ouverture : Ce héros romantique et marginal est un personnage typique du romantisme, il n’a que ses propres lois, c’est un personnage extrême.

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