II. Un hymne au renouveau de la nature et de l’amour
Malgré la douleur de la séparation, ce poème est aussi un hymne au renouveau.
1. La présence du père
« Et dans la chambre je t’attends » : le poète conjure la mort et manifeste son attachement à son père par-delà la mort. L’écriture permet d’immortaliser le souvenir du père.
« Pour remailler les filets bleus de la lumière » (V.7) : du père lui-même, il reçoit vite un message d’espoir lui conseillant de vivre. C’est lui qui l’aidera de son souvenir, car la douleur stérile est à bannir.
Le père même a laissé, par sa mémoire, une « goutte » de vie, c’est ce que représente l’image « Une goutte de sang reste encore sur la clé » (v.2). Sa présence est ainsi matérialisée.
Car même si la « porte » (v.1) des contacts entre morts/vivants est « bien fermée » (v.1), la clé porte les stigmates du disparu. Cette clé symbolique ouvre- au moins les souvenirs.
Affligé par le décès du père, le poète a songé mourir « déjà prêt à partir sans toi » (v.12), mais s’abandonner au désespoir, ce n’est pas là la leçon du père. Mourir ce serait bien « partir sans toi » car dans la mort on part toujours solitaire, donc inanité d’une telle solution.
2. Les symboles de vie
Aussi presque toutes les strophes commencées dans la reconnaissance douloureuse de l’absence s’élèvent-elles peu à peu vers des symboles de vie.
le « sang » est le symbole par excellence de la vie et la « clé » est signe d’ouverture.
L’emploi du verbe « remailler » (v.7) est symbole d’action, de réparation, de ravaudage de ce qui est abîmé, troué.
Les « filets bleus de la lumière » (v.7) renvoient à la beauté impalpable, aérienne, retrouvée. En effet, le « bleu » a toujours été pour R.-G. Cadou couleur de la beauté et du bonheur (cf. « le monde bleu » que lui apporte l’amour de sa femme et « la langue bleue » désignant la Poésie).
3. Les sources réelles de la vie
Plus caractéristique encore la quatrième strophe où le poète voit renaître les sources réelles de la vie. Or elles jaillissent du souvenir même du père, présent partout dans la nature refleurissante, image précise du Renouveau.
D’abord la saison en elle-même regaillardit « Puis ce fut le printemps » (v.13).
La fête religieuse de la Pâque (v.13) lave les impuretés, ici le malheur et permet de repartir en toute ardeur vigoureuse.
La mémoire fait revivre, jaillit, car le père est là « au fond de chaque sillon » (v.14-15) : on peut remarquer le rejet du mot « sillon » ainsi mis en relief en tête de vers. Le « sillon » d’où viendra le pain, essentiel aux gens humbles, « sillon » aussi que féconda le paterfamilias, symbole donc de la lignée.
On peut aussi noter la place surprenante de « chaque », adjectif indéfini rarement situé à la rime, coupé du nom qu’il accompagne.
Ce même « chaque » répété dans la métaphore filée, image nourricière, féconde le « grain de blé ». « Si le grain ne meurt », dit l’Evangile…car c’est de la mort que reviennent la vie, la beauté, l’écriture…
La « fleur » (v.16) est d’un symbolisme très riche (joie, gaieté …) : elle est ici le réceptacle de la vie, car « ouverte aux flaques impitoyables de l’été », flaques de lumière sans doute qui les chauffent, les flétrissent…
Dans la dernière strophe l’espoir renaît toujours : après la négation de tout ce qui représentait le bonheur familial avec le père et qui lui ne peut sans aucun doute revenir, c’est tout « autre » lumière, toute « autre » (V.21-22) richesse vitale qui prendront la succession. Ce sont elles qui tisseront le lien indissoluble, ce « filet bleu de lumière » qu’il fallait « remailler ».
Le ravaudage est accompli :
« L’amour sera fait d’autres mains
D’autres lampes
O mon père
Afin que nous puissions nous voir » (v.21-24)
Miracle de « l’amour » car il fait renaître création donc vie. Amour que René-Guy Cadou connaît dès 1943 avec Hélène qu’il épousera en 1946, retrouvant les biens élémentaires et indispensables.