Jean-Jacques Rousseau

Rousseau, Manuscrit de Neuchâtel, Prologue

Texte étudié

Il faudrait pour ce que j’ai à dire inventer un langage aussi nouveau que mon projet : car quel ton, quel style prendre pour débrouiller ce chaos immense de sentiments si divers, si contradictoires, souvent si vils et quelquefois si sublimes dont je fus sans cesse agité ? Que de riens, que de misères ne faut-il pas que j’expose, dans quels détails révoltants, indécents, puérils et souvent ridicules ne dois-je pas entrer pour suivre le fil de mes dispositions secrètes, pour montrer comment chaque impression qui a fait trace en mon âme y entra pour la première fois ? Tandis que je rougis seulement à penser aux choses qu’il faut que je dise, je sais que des hommes durs traiteront encore d’impudence l’humiliation des plus pénibles aveux ; mais il faut faire ces aveux ou me déguiser ; car si je tais quelque chose on ne me connaîtra sur rien, tant tout se tient, tant tout est un dans mon caractère, et tant ce bizarre et singulier assemblage a besoin de toutes les circonstances de ma vie pour être bien dévoilé.

Si je veux faire un ouvrage écrit avec soin comme les autres, je ne me peindrai pas, je me farderai. C’est ici de mon portrait qu’il s’agit et non pas d’un livre. Je vais travailler pour ainsi dire dans la chambre obscure ; il n’y faut point d’autre art que de suivre exactement les traits que je vois marqués. Je prends donc mon parti sur le style comme sur les choses. Je ne m’attacherai point à le rendre uniforme ; j’aurai toujours celui qui me viendra, j’en changerai selon mon humeur sans scrupule, je dirai chaque chose comme je la sens, comme je la vois, sans recherche, sans gêne, sans m’embarrasser de la bigarrure. En me livrant à la fois au souvenir de l’impression reçue et au sentiment présent je peindrai doublement l’état de mon âme, savoir au moment où l’événement m’est arrivé et au moment où je l’ai décrit ; mon style inégal et naturel, tantôt rapide et tantôt diffus, tantôt sage et tantôt fou, tantôt grave et tantôt gai fera lui-même partie de mon histoire. Enfin quoi qu’il en soit de la manière dont cet ouvrage peut être écrit, ce sera toujours par son objet un livre précieux pour les philosophes : c’est je le répète, une pièce de comparaison pour l’étude du cœur humain, et c’est la seule qui existe.

Rousseau, Manuscrit de Neuchâtel

Introduction

Le Manuscrit de Neuchâtel est un texte publié en 1764 qui situe Les Confessions par rapport à Montaigne et ses Essais. Montaigne s’est peint comme il veut qu’on le voit et non comme il est dans la réalité. La volonté de Rousseau est de se montrer tel qu’il est. A projet nouveau, écriture nouvelle. Comment faire pour que le style soit l’instrument d’une transparence morale et psychologique ?

Cette question d’un langage adapté permet à l’écrivain de préciser ce qu’il attend de ses Confessions :

– élucider des sentiments confus.
– se peindre d’après nature.
– constituer un élément de référence dans l’étude du cœur humain.

Dans ce manuscrit, nous nous intéresserons à la nouveauté du projet puis nous verrons la nécessité d’une écriture originale, et enfin nous étudierons le langage et l’œuvre comme instrument de connaissance.

I. Nouveauté du projet

1. Un projet novateur

Le projet autobiographique de Rousseau est un projet nouveau. On remarque le champ lexical de la nouveauté : « nouveau » (l.2), « première fois » (l.14) qui confirme cette nouveauté recherché par Rousseau. « Tout se tient » affirme que chaque élément est nécessaire à la compréhension de sa vie. Recherche de l’exhaustivité, c’est le refus d’une écriture soignée. On remarque de plus, l’antithèse « peindre » et « farder ». Il se refuse d’embellir la réalité.

2. Un projet difficile

Rousseau nous annonce un projet nouveau : qui dit nouveau dit difficile.

La métaphore « débrouiller un chaos immense », métaphore du nœud à défaire, nous rend bien compte de l’ampleur et de la difficulté de la tâche qu’attend Rousseau. Par le biais de l’antithèse (l.28) « souvenir » et « sentiment présent », Rousseau fait référence au décalage temporel qui font que le narrateur présente dans l’énonciation des évènements passés qu’il fait revivre. Il met aussi en relief une des difficultés de l’écriture autobiographique.

II. Nécessité d’une écriture originale

1. L’autobiographie apparaît ici comme un devoir

La démarche autobiographique est présentée par Rousseau comme une obligation. La forme interronégative associée au sentiment du devoir : « ne faut-il pas » (l.8) place cette démarche comme une nécessité. Anaphore de « il faut » qui insiste encore sur ce sentiment de devoir.

2. A écriture nouvelle, langage nouveau

On remarque le problème de l’expression qui est présent, exprimé sous la forme d’une nécessité : « il faudrait » (l.1). Il réapparaît à la ligne 3 dans des termes de domaine linguistique : « ton », « style ». D’emblée Rousseau expose son problème de style à adopter dans son nouveau projet. Rousseau ne cherche pas l’artifice, son style sera en fonction de ce qu’il racontera. Série d’antithèses articulées par « tantôt » qui marque la diversité des possibilités, l’absence de choix quant au style à adopter.

III. Autobiographie comme instrument de connaissance

Précepte socratique : « connais-toi toi même » qui représente tout à fait la démarche autobiographique. Cette connaissance du cœur humain est la question fondamentale du philosophe : « qu’est ce que l’homme ? ».

Conclusion

Rousseau s’interroge sur la nature de ses objectifs et sur la manière d’y adapter un langage nouveau qui laisserait transparaître Rousseau comme il est pour de vrai. Il nous montre un projet singulier qi ne se peindra pas « comme les autres » qui l’ont précédé dans cet exercice : dans la préface des Confessions, il qualifie son projet autobiographique de : « entreprise qui n’eut jamais d’exemple ».

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