Pierre de Beaumarchais

Beaumarchais, Le Mariage de Figaro, Acte III, Scène 16,

Texte étudié

BARTHOLO. Des fautes si connues ! une jeunesse déplorable.

MARCELINE, s’échauffant par degrés. Oui, déplorable, et plus qu’on ne croit ! Je n’entends pas nier mes fautes ; ce jour les a trop bien prouvées ! mais qu’il est dur de les expier après trente ans d’une vie modeste ! J’étais née, moi, pour être sage, et je la suis devenue sitôt qu’on m’a permis d’user de ma raison. Mais dans l’âge des illusions, de l’inexpérience et des besoins, où les séducteurs nous assiègent pendant que la misère nous poignarde, que peut opposer une enfant à tant d’ennemis rassemblés ?
Tel nous juge ici sévèrement, qui, peut-être, en sa vie a perdu dix infortunées !

FIGARO. Les plus coupables sont les moins généreux ; c’est la règle.

MARCELINE, vivement. Hommes plus qu’ingrats, qui flétrissez par le mépris les jouets de vos passions, vos victimes ! C’est vous qu’il faut punir des erreurs de notre jeunesse ; vous et vos magistrats, si vains du droit de nous juger, et qui nous laissent enlever, par leur coupable négligence, tout honnête moyen de subsister. Est-il un seul état pour les malheureuses filles ? Elles avaient un droit naturel à toute la parure des femmes : on y laisse former mille ouvriers de l’autre sexe.

FIGARO, en colère. Ils font broder jusqu’aux soldats !

MARCELINE, exaltée. Dans les rangs même plus élevés, les femmes n’obtiennent de vous qu’une considération dérisoires ; leurrées de respects apparents, dans une servitude réelle ; traitées en mineures pour nos biens, punies en majeures pour nos fautes ! Ah ! sous tous les aspects, votre conduite avec nous fait horreur ou pitié !

FIGARO. Elle a raison !

LE COMTE, à part. Que trop raison !

BRID’OISON. Elle a, mon-on Dieu, raison !

MARCELINE. Mais que nous font, mon fils, les refus d’un homme injuste ? Ne regarde pas d’où tu viens, vois où tu vas : Cela seul importe à chacun. Dans quelques mois ta fiancée ne dépendra plus que d’elle-même ; elle t’acceptera, j’en réponds. vis entre une épouse, une mère tendre qui te chériront à qui mieux mieux. Sois indulgent pour elles, heureux pour toi, mon fils ; gai, libre et bon pour tout le monde ; il ne manquera rien à ta mère.

Introduction

Le XVIIème siècle a consacré la gloire de Molière, et fixé, avec Racine, les règles immuables de la tragédie. Le XVIIIème siècle est marqué par l’activité philosophique et le théâtre suit ce changement de mentalité. Il s’offre comme une peinture sociale. La société est progressivement modifiée par des réalités économiques nouvelles. Ici, la cause des femmes.

I. Une critique de départ qui fait évoluer une situation

A. Une défense qui vire à l’attaque

Marceline se défend en accusant dans un discours compact et vif :

• La responsabilité des hommes (l 7, 13, 21).

• La condition sociale difficile de biens des femmes (l 8, 14, 18, 22).

• La condition juridique des femmes (l 5, 6) : la gestion des biens confiée aux hommes.

• Leur manque d’éducation ( l 22).

• L’hypocrisie des hommes ; ils sont juges de leurs victimes (l 9, 10, 12, 13).

Tout cela discrédite le jugement des hommes.

B. La réaction des hommes

Ils appuient les dires de Marceline avec une forme amplificatrice « ils font broder jusqu’aux soldats ».

Ils s’exclament, se répètent entre eux ? efficacité du discours.

Ils la laissent parler ; elle domine sur le plan de la parole. Les hommes l’écoutent.

C. Un retour au calme

Alors qu’au début, le rythme monte avec l’indignation, le dernier dialogue de Marceline s’adoucit. Exclamations et apostrophes aux hommes font place aux déclaratives et impératives. Le vocabulaire fort est remplacé par un vocabulaire plus doux « tendres », « chérirons », « indulgent », « libre ». Une fois qu’elle a convaincu, Marceline propose une solution pour le bonheur « il ne manquera rien à ta pauvre mère ».

II. Les procédés de l’argumentation

A. Opposition homme/femme

• Vocabulaire péjoratif pour les hommes : « ingrats », « mépris », « vains », « horreur ou pitié »… celui des victimes pour les femmes « jouets », « victimes », « infortunées ».

• Les verbes : ce sont les hommes qui agissent sur les femmes : « m’a permis d’user », « nous assiègent », « nous poignarde », « nous juge », « flétrissez ».

B. Une expression forte

Exclamatives, interrogatives, apostrophes aux hommes (12, 16, 23), hyperboles, etc… « tant d’ennemis », « c’est vous qu’il faut punir », « sous tous les aspects », « Ah ! », « si vains », « est-il un seul », « mille ouvriers ».

C. Des antithèses, parallélismes qui révèlent la condition injuste des femmes

« leurrées de respects apparents dans une servitude réelle », « traitées en mineures pour nos biens, en majeures pour nos fautes », « les rangs les plus élevés / considérations dérisoires ».

III. Une comédie inspirée du drame

Beaumarchais a retenu la leçon du drame par Diderot en 1757, à savoir :

A. Le mélange des genres

Le sérieux dans le comique, défense d’une cause.

B. La prose

Il donne à la parole une fonction performative. Un langage action qui permet la défense et l’attaque.

C. Mise en scène réaliste

Image fidèle de la condition des femmes, victimes des inégalités.

Conclusion

Beaumarchais profite du genre et dénonce cette inégalité à travers un texte véhément, faisant parler une femme. Mais c’est une comédie, tout doit rentrer dans l’ordre à la fin.

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