Bertolt Brecht

Brecht, La Vie de Galilée, Acte I, Scène 1

Texte étudié

ANDREA
« Qu’est-ce que c’est ? »
GALILEE
« Un astrolabe ; l’objet montre comment,
d’après les anciens, les astres se déplacent autour de
la terre. »
ANDREA
« Et comment ? »
GALILEE
« Étudions-le. Premièrement, premier point : description. »
ANDREA
« Au milieu, il y a une petite pierre. »
GALILEE
« C’est la terre. »
ANDREA
« Tout autour, toujours l’un par-dessus l’autre, des anneaux. »
GALILEE
« Combien ?' »
ANDREA
« Huit. »
GALILEE
« Ce sont les sphères de cristal. »
ANDREA
« Sur les anneaux sont fixés des boules… »
GALILEE
« Les astres. »
ANDREA
« Il y a aussi des rubans et dessus des mots peints. »
GALILEE
« Quels mots ? »
ANDREA
« Des noms d’étoiles. »
GALILEE
« Comme par exemple ? »
ANDREA
« La boule tout en bas, c’est la lune, c’est écrit. Et au-dessus il y a le soleil. »
GALILEE
« Et maintenant, fais tourner le soleil. »
ANDREA, met en mouvement les sphères.
« C’est beau. Mais nous sommes si à l’étroit.
GALILEE, en s’essuyant.
« Oui, j’ai ressenti ça aussi quand j’ai vu l’objet pour la première fois. D’autres le ressentent. Il lance la serviette à Andrea pour qu’il lui frotte le dos. Des murs, des sphères et l’immobilité ! Durant deux mille ans, l’humanité a cru que le soleil et tous les corps célestes tournaient autour d’elle. Le pape, les cardinaux, les princes, les savants, les capitaines, les marchands, les poissonnières et les écoliers, tous croyaient être immobiles dans cette sphère de cristal. Or maintenant, nous gagnons le large, Andrea, le grand large. Car l’ancien temps est passé, et voici un temps nouveau. Cela fait cent ans que l’humanité semble attendre quelque chose.
Les villes sont étroites et les têtes le sont aussi. Peste et superstition. Or voici qu’on dit désormais : puisqu’il en est ainsi, qu’il n’en soit plus ainsi. Car tout bouge, mon ami. Il me plaît de penser que tout a commencé avec les bateaux. De mémoire d’homme, ils n’avaient fait que ramper le long des côtes et soudain ils les ont délaissés pour s’en aller par toutes les mers.
Sur notre vieux continent, une rumeur est née : il y aurait d’autres continents. Et depuis que nos bateaux s’y rendent, le bruit court par les continents hilares que le grand océan redouté est une flaque d’eau. Et voici qu’un grand désir est advenu d’explorer les causes de toutes choses : pourquoi tombe la pierre qu’on laisse échapper, et comment s’élève-t-elle quand on la jette en l’air ? Chaque jour connaît sa découverte. Même les vieillards centenaires se font crier par les jeunes à l’oreille ce qu’on a découvert de neuf.
Il a été trouvé beaucoup déjà, mais davantage encore peut l’être. Et ainsi toujours il y a de quoi faire pour les générations nouvelles.
A Sienne, étant jeune, j’ai vu des gens du bâtiment changer, après une discussion de cinq minutes, une coutume millénaire de déplacer les blocs de granit grâce à un agencement nouveau et plus efficace des cordages. Là, en cet instant-là, je l’ai su : l’ancien temps est passé, voici un temps nouveau. Bientôt l’humanité saura ce qu’il en est de sa demeure, ce corps céleste où elle réside. Ce qui est écrit dans les livres anciens ne lui suffit plus.
Car là où la croyance était installée depuis mille ans, là maintenant le doute s’installe… »

Brecht, La vie de Galilée, Acte I, scène 1

Introduction

B. Brecht (poète, et auteur dramatique allemand du XXème siècle) a exercé une grande influence sur le théâtre contemporain par un théâtre critique et réflexif. Dans toutes ses pièces de théâtre, ses personnages sont déchirés de contradictions. Cet extrait est le début de la pièce de théâtre, c’est le tableau d’exposition, à but informatif. On nous donne des informations sur l’action (les connaissances scientifiques en 1669), mais également sur les personnages ; et surtout sur le personnage principal Galilée (grand physicien et théoricien).

Enjeu du texte

Ce tableau présente le rapport maître/élève (art de ma mayotique), et amène à la réflexion.

I. Un homme de science et de raison, un pédagogue

A. Un fin pédagogue.

Il n’est pas autoritaire, il ne dit pas que l’ancien est faux.

Galilée fait en sorte que Andréa trouve par lui-même, il n’impose pas son savoir.

Il est fin pédagogue dans sa manière de procéder :

– Il part de l’astrolabe, et explique à Andréa son fonctionnement ;
– Il se contente de donner des brèves informations seulement à Andréa ;

Il lui pose des questions ;

– Le premier échange est extrêmement bref ;
– Une fois la description finie, Galilée relance alors son élève ;

Andréa semble satisfait, il exécute, a deux réactions : esthétique pas relevé, pas scientifique.

B. Démarche rigoureuse d’un homme de science.

En homme de science, il est extrêmement rigoureux (« description »).

Il veut pousser le raisonnement jusqu’au bout même s’il sait que le système d’Optolémé est faux.

Il est très directif, et sait parfaitement où il veut en venir.

Transition : Galilée à partir de cette remarque se lance dans une récusation lyrique de ce système, et en même temps annonce un temps nouveau. Il reconnaît ainsi avoir eu lui-même cette sensation, et fait une démarche scientifique à partir de celle-ci. Il fait allusion à Copernic, « d’autre le ressente », et annonce le démarrage d’une découverte fondamentale.

II. Un prophète qui annonce les temps nouveaux

A. Annonce des temps nouveaux.

• Leitmotiv : temps nouveau :

– « ancien temps passé, voici un temps nouveau » est répété deux fois ;
– Abondance d’adjectifs de temps et de locutions (« chaque jour ») ;
– Champ lexical du nouveau : « commencé », « une rumeur est née »,
« découverte », « neuf », « trouvé », « nouveaux ».

• Opposition constante :

– étroite/large ;
– immobilité/mouvement ;
– croyance des temps anciens/doute.

Grand désir de changement et de prendre une nouvelle direction : « puisqu’il en était ainsi, qu’il n’en soit plus ainsi ».

Changement dans le plaisir, le désir, la joie, le rire.

Le temps nouveau correspond à un nouveau système de pensées qui dépasse largement la science, « ce qu’il en est de sa demeure ». Par la découverte scientifique, tout le système d’un millénaire va changer. L’homme ne veut pas s’arrêter à la simple idée du démarrage d’un temps nouveau.

L’autorité de l’écrit est remise en cause, c’est une véritable révolution (« courant d’air »). Ainsi, ceux qui détenaient l’argent et le pouvoir, la révolution les ballait (essentiellement l’Église).

L’Église a usurpé une identité, et la seule réaction sont les rires.

B. Galilée métamorphosé, en proie à une logorrhée prophétique.

Galilée est métamorphosé par sa découverte.

Lyrisme et grandiloquence : « l’Humanité a cru », « l’Humanité semble attendre », « l’Humanité saura », « depuis mille ans ». Il parle au nom de sa génération et des générations futures. Il énumère en faisant une gradation, du plus grand au plus petit.

Andréa n’est pas absent : Il va servir de faire-valoir à sa découverte. Galilée tente de lui communiquer son enthousiasme : il l’inclut dans son envolée lyrique, « nous ».

Une soif de connaître et d’apprendre doit découler de cette prophétie joyeuse et jubilatoire d’une ère nouvelle qui vient de commencer. Galilée en appelle à l’imagination, et non pas à la raison.

Conclusion

Cette scène d’exposition représente un vaste tableau d’une vision nouvelle du monde. Galilée part d’une logique froide, puis est emporté par le lyrisme. On connait mieux le personnage de Galilée, qui a deux facettes : c’est un homme de raison et de logique, mais aussi un homme de persuasion, d’imagination.

Du même auteur Brecht, La Vie de Galilée, Résumé

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