William Shakespeare

Shakespeare, Roméo et Juliette, Acte I, Scène 5

Texte étudié

Extrait N° 2 : Le coup de foudre

Roméo, prenant la main de Juliette. – Si j’ai profané avec mon indigne main cette châsse sacrée, je suis prêt à une douce pénitence : permettez à mes lèvres, comme à deux pèlerins rougissants, d’effacer ce grossier attouchement par un tendre baiser.

Juliette. – Bon pèlerin, vous êtes trop sévère pour votre main qui n’a fait preuve en ceci que d’une respectueuse dévotion. Les saintes mêmes ont des mains que peuvent toucher les mains des pèlerins ; et cette étreinte est un pieux baiser

Roméo. – Les saintes n’ont-elles pas des lèvres, et les pèlerins aussi ?

Juliette. – Oui, pèlerin, des lèvres vouées à la prière.

Roméo. – Oh ! alors, chère sainte, que les lèvres fassent ce que font les mains. Elles te prient ; exauce-les, de peur que leur foi ne se change en désespoir.

Juliette. – Les saintes restent immobiles, tout en exauçant les prières.

Roméo. – Restez donc immobile, tandis que je recueillerai l’effet de ma prière. (Il l’embrasse sur la bouche.) Vos lèvres ont effacé le péché des miennes.

Juliette. – Mes lèvres ont gardé pour elles le péché qu’elles ont pris des vôtres.

Roméo. – Vous avez pris le péché de mes lèvres ? ô reproche charmant ! Alors rendez-moi mon péché. (Il l’embrasse encore.)

Juliette. – Vous avez l’art des baisers.

La Nourrice, à Juliette. – Madame, votre mère voudrait vous dire un mot. (Juliette se dirige vers lady Capulet.)

Roméo, à la nourrice. – Qui donc est sa mère ?

La Nourrice. – Eh bien, bachelier sa mère est la maîtresse de la maison, une bonne dame, et sage et vertueuse ; j’ai nourri sa fille, celle avec qui vous causiez ; je vais vous dire : celui qui parviendra à mettre la main sur elle pourra faire sonner les écus.

Roméo. – C’est une Capulet ! ô trop chère créance ! Ma vie est due à mon ennemie !

Benvolio, à Roméo. – Allons, partons ; la fête est à sa fin.

Roméo, à part. – Hélas ! oui, et mon trouble est à son comble.

Premier Capulet, aux invités qui se retirent. – Ça, messieurs, n’allez pas nous quitter encore : nous avons un méchant petit souper qui se prépare… Vous êtes donc décidés ?… Eh bien, alors je vous remercie tous… Je vous remercie, honnêtes gentilshommes. Bonne nuit. Des torches par ici !… Allons, mettons-nous au lit ! (À son cousin Capulet.) Ah ! ma foi, mon cher, il se fait tard : je vais me reposer (Tous sortent, excepté Juliette et la nourrice.)

Juliette. – Viens ici, nourrice ! quel est ce gentilhomme, là-bas ?

La Nourrice. – C’est le fils et l’héritier du vieux Tibério.

Juliette. – Quel est celui qui sort à présent ?

La Nourrice. – Ma foi, je crois que c’est le jeune Pétruchio.

Juliette, montrant Roméo. – Quel est cet autre qui suit et qui n’a pas voulu danser ?

La Nourrice. – Je ne sais pas.

Juliette. – Va demander son nom. (La nourrice s’éloigne un moment.) S’il est marié, mon cercueil pourrait bien être mon lit nuptial.

La Nourrice, revenant. – Son nom est Roméo ; c’est un Montague, le fils unique de votre grand ennemi.

Juliette. – Mon unique amour émane de mon unique haine ! Je l’ai vu trop tôt sans le connaître et je l’ai connu trop tard. Il m’est né un prodigieux amour, puisque je dois aimer un ennemi exécré !

La Nourrice. – Que dites-vous ? que dites-vous ?

Juliette. – Une strophe que vient de m’apprendre un de mes danseurs. (Voix au-dehors appelant Juliette.)

La Nourrice. – Tout à l’heure ! tout à l’heure !… Allons nous-en ; tous les étrangers sont partis.

Introduction

William Shakespeare, dont on sait fort peu de choses sur son existence, est né en 1564. S’il s’est aussi intéressé à la poésie (un recueil de sonnets, deux longs poèmes), il doit sa célébrité aux trente-sept pièces de théâtre qu’on lui attribue de ma manière quasi-certaine. Sa pièce la plus célèbre Roméo et Juliette, appartient à la première période de sa carrière et témoigne de l’enthousiasme et de la jeunesse du dramaturge.

Le passage que nous allons étudier se situe à la fin du l’Acte I : cette première rencontre amoureuse reprend la scène archétypale du coup de foudre.

Roméo, fils et héritier de la famille Montaigu est amoureux de la belle Rosaline. Capulet, le chef de la famille rivale s’apprête, lui, à donner une grande fête pour permettre à sa fille, Juliette, de rencontrer le Comte Paris. Ce dernier, en effet, l’a demandé en mariage et les parents de Juliette sont favorables à cette union. Roméo croyant y trouver Rosaline s’invite avec ses amis Benvolio et Mercutio à ce grand bal masqué. Il aperçoit Juliette et reste médusé devant sa beauté. Il tombe follement amoureux d’elle; le coup de foudre est réciproque. Il s’approche d’elle et l’embrasse à deux reprises puis se retire. Roméo et Juliette parviennent à découvrir leur identité réciproque. Ils sont accablés de se rendre compte qu’ils sont chacun, tombés amoureux, de leur pire ennemi.

I. Fonction dramatique de ce scène

1. Une scène cruciale

Cette scène joue un rôle capital dans la pièce. En effet, les deux héros de la pièce, Roméo et Juliette, vus séparément jusqu’alors, se rencontrent et tombent follement amoureux l’un de l’autre.

Cette scène sert de couronnement à l’acte I qui constitue l’acte d’exposition de la pièce.

2. Progression dramatique

Elle permet à Shakespeare d’obtenir un effet maximal.

Avant le passage étudié, Shakespeare évoquait la réception du côté des cuisines à travers les yeux des domestiques affairés.

Puis le spectateur parvient au niveau de l’aristocratie de Vérone : le monde réel au sein duquel perdure la haine ancestrale entre les deux familles, les Capulet et les Montague.

3. Le miracle du « coup de foudre »

Ce n’est qu’ensuite (passage ici étudié) que l’on pénètre pour quelques répliques dans l’univers enchanté des deux amants qui va se briser contre la réalité.

Entre ce qui précède et cet échange presque onirique, Shakespeare suggère d’emblée qu’il existe un fossé, presque impossible à franchir.

De la sorte, le dramaturge met aussi en valeur le miracle du « coup de foudre » entre Roméo et Juliette.

II. Un passion partagée

1. Un renversement de situation

Depuis le début de la pièce, Roméo jouait à celui qui s’était épris de Rosaline.

Juliette ignorait même ce qu’était l’amour et se méfiait de lui.
A travers cette scène cruciale, Shakespeare fait nettement sentir le renversement qui se produit.

On remarque une rupture absolue entre la situation initiale.
Celle-ci était somme toute confortable pour les deux protagonistes

Leur « coup de foudre » réciproque crée une situation nouvelle

2. Le miracle de la rencontre

Pour Roméo, Juliette est une véritable apparition. Il oublie ses sentiments antérieurs pour Rosaline car cette vision lui semble parfaite : « car jamais avant cette nuit je n’avais vu la vraie beauté ».

Shakespeare réussit ainsi à faire oublier Rosaline sans que le personnage de Roméo apparaisse comme inconstant.

3. La symétrie du coup de foudre

Cette première rencontre est quasi-miraculeuse car le coup de foudre est réciproque.

Juliette est une véritable sainte aux yeux de Roméo qui la qualifie de « châsse sacrée ».

Filant la métaphore religieuse, Juliette qualifie Roméo de « bon pèlerin ».

Roméo fait preuve d’une certaine audace comme le révèlent les didascalies : les mains qui se touchent et le premier baiser sont des initiatives de Roméo.

Mais le second baiser est en quelque sorte provoqué par Juliette, qui en tout cas ne se défend guère.

Mais Juliette ne reconnaît son amour qu’après le départ de Roméo. Elle se plie ainsi aux lois de la société. L’amour ne saurait exister que dans le modèle sacro-saint du mariage qu’on lui a présenté quelques heures plus tôt en la promettant sa main à Paris.

III. La symétrie du désastre

1. Une Capulet et une Montaigue

Le coup de foudre qui les unit est encore renforcé et redoublé par la symétrie du désastre.

Tous deux, anxieux de savoir qui ils aiment, doivent affronter une vérité intolérable.

La découverte que Juliette est une Capulet plonge Roméo dans le désespoir : « C’est une Capulet ! ô trop chère créance ! Ma vie est due à mon ennemie ! »

2. La sobriété de Roméo

Roméo, que le spectateur est habitué à entendre se lamenter, réagit dans ce passage avec une grande sobriété.

Il n’exprime qu’en un vers et demi : Roméo. – C’est une Capulet ! ô trop chère créance ! Ma vie est due à mon ennemie ! (…) Roméo, à part. – Hélas ! oui, et mon trouble est à son comble.

Il contient son émotion et quitte avec ses compagnons hors de la maison où il n’aurait jamais dû entrer.

3. La douleur de Juliette

Contrairement à Roméo, Juliette s’abandonne à la douleur.
La réplique de Juliette « Ö mon unique amour né de ma seule haine ! » traduit sa douleur.

Juliette introduit ainsi le thème majeur de la pièce : celui des familles ennemies et de l’amour paradoxal.

Conclusion

Situé à la scène 5 de l’Acte I, il marque le couronnement de l’Acte d’exposition.
Ce passage est déterminant puisqu’il évoque la scène de la première rencontre entre Roméo et Juliette. Ce véritable coup de foudre provoque Roméo et Juliette une passion réciproque. Se comparant à un indigne pèlerin qui vient adorer un saint, Juliette répond avec bienveillance en filant la même métaphore. Mais apprenant que Juliette est la fille d’un Capulet, Roméo est foudroyé par cette terrible révélation.
Cet extrait introduit surtout le thème majeur de la pièce : celui de la haine ancestrale entre deux familles et de l’amour impossible.

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