Genres, Registres et Tonalités

Registres et tonalités

Les registres

En musique, on désigne par là chacune des sections (grave, médiane, aiguë) de l’échelle vocale. En littérature, le mot a trois significations : on parle de « registre de langue » pour caractériser le niveau (familier, élevé ou soutenu, par exemple) d’un vocabulaire : au sens rhétorique, on parle de registre au sens d’un outil de classification des genres du discours (dans ce cas, la tragédie ou la comédie peuvent être considérées comme des registres) ; enfin, et c’est le sens qui nous retiendra ici, le registre est de manière plus spécifique un instrument de caractérisation de style et de ses effets (lyriques, comiques etc…).

Les tons et les tonalités

Ces mots, qui désignent au sens premier les gammes musicales et leurs échelles tonales, peuvent être considérés comme des quasi synonymes des « registres » au dernier sens précisé ci-dessus. Comme la tonalité d’une voix ou d’une mélodie (langoureuse, emportée, etc), le ton ou la tonalité d’un texte caractérise l’état affectif, émotionnel, qu’un énoncé vise à créer par ses effets chez son destinataire. L’énoncé peut être un texte, écrit ou oral ; il peut aussi être une image ou une succession d’images dans le cas de la photographie, du cinéma, de la publicité ou de la bande dessinée par exemple.

De l’émetteur au destinataire

La tonalité d’un énoncé suppose donc à la fois un effet, voulu ou provoqué par l’émetteur, et une émotion éprouvée par le destinataire. De même que nous disons de manière courante de quelqu’un qu’il a « une drôle de voix » ou qu’il s’exprime « sur un ton convaincant ou passionné », nous pouvons dire d’un texte ou d’une image qu’ils expriment et suscitent des émotions, des états affectifs distincts : enthousiasme, admiration, pitié, sympathie, amusement, etc.

Genres et tonalités

Des tonalités en liberté

Même si le tragique s’exprime en priorité dans la tragédie (Corneille, Racine) et le comique dans la comédie (Molière), il n’existe pas davantage de tonalité spécifique du genre narratif qu’il n’en existe du genre théâtral ou du poème. De même qu’une pièce de théâtre peut être tragique et/ou comique, qu’un poème peut être lyrique et/ou satirique, un roman peut être bouleversant, un scénario de film comique et une histoire « drôle ».

L’appréciation de la tonalité traverse donc les frontières établies entre les grands genres, comme elle traverse celle des sous-genres narratifs : un conte allie volontiers le merveilleux et l’inquiétant , un roman de moeurs le pathétique et le souriant, et même un article de presse peut combiner le sérieux et le ton épique, comme souvent dans les comptes rendus d’exploits sportifs.

Variété et décalage

Pourtant, lorsque l’on dit d’un film qu’il est « pathétique », ou d’un récit qu’il est « amusant », on désigne par ces adjectifs l’impression majeure éprouvée à leur spectacle ou lecture. On peut en effet distinguer dans un énoncé une tonalité dominante et une ou plusieurs tonalités mineures que le scénariste ou l’écrivain utilisent en cohérence mais aussi en décalage avec la dominante pour varier les effets. Voltaire aimait mêler dans ses contes le grave et le plaisant, alors que certains romanciers, comme Hugo dans Les Misérables ou Proust dans A la recherche du temps perdu, aiment à varier les tonalités lyrique, satirique, voire pathétique. Ces écarts, décalages ou dissonances de tonalités sont en tout cas l’une des marques majeures de l’ironie à l’œuvre dans l’écriture littéraire.

Le cas du fantastique

Le fantastique, qui se définit, selon certains critiques, « par l’intrusion de l’irrationnel, de l’inexplicable dans la vie réelle », est un bel exemple de cette permutabilité de la notion de genre et de tonalité. Présent dans plusieurs formes de récits (on le rencontre dans les nouvelles de Mérimée, de Maupassant comme dans les contes d’Hoffmann ou de Poe), le registre du fantastique déborde la notion de genre dans la mesure où l’on peut le croiser dans un roman réaliste ou historique dès lors que certains faits y sont présentés comme inexplicables ou certaines situation comme surnaturelles.

Les indices de la tonalité

Reconnaître une tonalité

Apprécier la tonalité d’un énoncé n’est pas seulement une affaire d’intuition. Il faut s’appuyer sur des critères précis :

– la prise en compte du contexte de l’énoncé et de l’intention de l’écrivain (louer, blâmer, émouvoir, faire rire, etc.) ;

– les champs lexicaux et leurs connotations ;

– le genre littéraire auquel appartient cet énoncé ;

– les indices énonciatifs ;

– les types de phrase et le système verbal ;

– les principales figures d’image ou de style en général.

Attention toutefois ! La plupart des indices ne sont pas exclusifs et peuvent se retrouver dans des tonalités très différentes : l’usage de la première personne peut ainsi caractériser la tonalité lyrique comme le ton satirique ; l’hyperbole peut être associée à la tonalité épique comme au pathétique. Il est toutefois possible de caractériser les tonalités majeures, du sérieux comme du plaisant, par certains indices plus explicites.

Les indices des registres du sérieux

Le pathétique (du grec pathein qui signifiait « souffrir ») naît de l’évocation de la souffrance morale ou physique. Très présent dans la tragédie et dans certains romans , il se caractérise par :

– les champs lexicaux de la douleur et des larmes ;

– l’amplification de certains faits et sentiments par des figures de gradation ou des hyperboles ;

– une syntaxe fortement rythmée qui suscite et maintient l’émotion (interrogatives, exclamatives, phrases inachevées, ponctuation expressive, interjections).

L’épique (inspiré des grandes époques grecques et latines de l’Antiquité) grandit et exalte les actions héroïques des hommes. Ses principaux indices sont :

– l’usage des pluriels ; champs lexicaux du nombre et du collectif ; un niveau de langue souvent « élevé » ;

– les tournures intensives ; les termes amélioratifs ou superlatifs ; les figures de répétition et d’amplification (anaphores, hyperboles) ;

– les vastes comparaisons et les métaphores filées ;

– une certaine schématisation des « types » et des caractères des personnages du récit.

La tonalité lyrique, qui peut se combiner avec la précédente, est surtout associée, elle, à l’expression du sentiment, de l’émotion personnelle. Si cette tonalité exprime principalement l’amour, l’admiration ou l’enthousiasme, elle peut aussi accompagner la mélancolie ou la tristesse et l’on parlera alors de tonalité élégiaque. Ses indices majeures sont :

– l’usage de la première personne du singulier ;

– les champs lexicaux de l’émotion et du sentiment ;

– les réseaux thématiques liés à la passion, à la conscience du temps, à la spiritualité, etc. ;

– une ponctuation forte scandant les accents de la sensibilité ;

– les tournures de phrases exclamatives ;

– les apostrophes à un interlocuteur présent ou non, humain ou naturel.

Les indices des registres du plaisant :

Au sein du vaste champ de ce registre, on retiendra trois tonalités dominantes : comique, humoristique, satirique.

Les nuances du comique sont nombreuses : fantaisie, farce, absurde, burlesque. Avec un but, faire rire. Jeux avec les mots, mélange de niveaux de langue ordinairement séparés, calembours, exagérations, énumérations, crudité du langage, comparaisons et grossissements sont parmi les procédés courants du comique.

L’humour est plus allusif ; le comique fait rire, l’humour sourire. L’humour se moque sans méchanceté : le paradoxe, l’allusion, le décalage dans les niveaux de langue, ou entre les mots et la situation sont quelques uns des signes. On parle d’humour noir quand ces mêmes procédés fonctionnent dans des situations qui touchent au macabre ou au sordide.

Le ton satirique utilise lui, des procédés identiques mais au service d’une critique morale, sociale, ou politique. Le rire devient ici une arme et peut se faire blessant selon les nuances du satirique : nomination de l’adversaire, exclamation, comparaisons et termes dépréciatifs, lexique morale caractérisent cette tonalité.

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