Doit-on tout faire pour être heureux ?

Qui en ce bas monde ne désire pas être heureux ? L’Homme est sans cesse à la recherche du bonheur. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’il redouble d’efforts pour combler ses désirs et obtenir une satisfaction, même éphémère. Le bonheur se présente au moment où l’Homme n’a plus de désirs non satisfaits. Il s’oppose directement au manque occasionné par l’insatisfaction de ses besoins. De même, la philosophie prédestine l’Homme dans cette même marche vers le bonheur. Cependant, une problématique émerge de cet impératif : Doit-on tout faire pour être heureux ? Il s’agit ici d’une question de principes et de valeurs qui pourraient faire entrave à notre quête. Parallèlement, les moyens matériels font également partie de ces paramètres. En d’autres termes, notre pouvoir nous permet-il de s’ériger le droit de rechercher coûte que coûte le bonheur ? Afin de répondre à ce questionnement, il est primordial de considérer trois points essentiels : la notion de « bonheur » comme relevant de l’agir humain, les exigences morales qui supportent cette quête du bonheur, et enfin les valeurs attachées au bonheur.

I. Le bonheur présuppose une action de l’homme

Si l’on se réfère au sens étymologique, bonheur vient du latin « augurium », qui signifie « augure » ou « prédiction ». Il devient alors possible d’inférer que le bonheur est une question de chance, et qu’il dépend essentiellement du hasard. Cependant, cette affirmation ne peut être prise au pied de la lettre. En effet, si l’Homme ne possédait aucun pouvoir sur les circonstances de sa naissance, le monde lui-même n’aurait pas évolué vers une situation propice à l’existence humaine. C’est ainsi que Marc-Aurèle disait dans ses Pensées : « L’art de vivre ressemble plutôt à la lutte qu’à la danse, en ce qu’il faut toujours se tenir en garde et d’aplomb contre les coups qui fondent sur vous et à l’improviste ». La volonté permet à l’homme d’améliorer son environnement et sa situation, et dans la même foulée son bien-être. La raison est l’outil par excellence dont dispose l’homme, que ce soit dans le travail, source d’épanouissement, ou dans les loisirs qui sont les terrains favorables pour développer son imagination.

Épicure argumente d’ailleurs en faveur de l’élaboration d’un art de vivre, d’une philosophie de vie. Il enjoint l’Homme à vivre dans le présent, sans craindre le futur ni regretter le passé. En effet, remords et angoisses représentent selon lui les antithèses du bonheur. Ainsi, en accord avec la ligne de pensée du stoïcisme, l’épicurisme attache l’action avec le bonheur. Si l’Homme souhaite parvenir à un état de plénitude, il a le devoir d’agir en ce sens. En d’autres termes, il doit procéder à une introspection en vue de parvenir à une connaissance de soi. Puis, méditer et délibérer en vue d’identifier ce qui pourrait le rendre heureux. « La philosophie n’est pas une science pure et théorique, c’est une règle pratique d’action ; bien plus, elle est elle-même une action, une énergie qui procure, par des discours et des raisonnements, la vie bienheureuse ». Ensuite, l’homme doit établir une éthique personnelle, c’est-à-dire les normes à suivre en vue d’atteindre ses objectifs. Enfin, il est attendu de lui qu’il mette ses résolutions en pratique afin d’obtenir son bonheur de ses propres mains.

Selon l’épicurisme, le bonheur est à construire, c’est-à-dire à réaliser de ses mains. Cependant, il est important d’agir en accord avec la morale.

II. Le bonheur suppose le respect de la morale

L’Homme est un être social. Vivant en société et sans cesse en contact avec autrui, donc il lui est impossible d’être heureux seul. En effet, le dialogue répété avec autrui fait émerger en l’homme un sentiment d’empathie et de sympathie que Rousseau explique dans le principe de pitié. Selon ses propres termes dans Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, « la pitié est un sentiment naturel, qui, modérant dans chaque individu l’activité de l’amour de soi-même, concourt à la conservation mutuelle de toute l’espèce. C’est elle qui nous porte sans réflexion au secours de ceux que nous voyons souffrir ». En restant en interaction avec l’autre, nous sommes amenés à comprendre ce que l’autre vit et ressent, en nous mettant à sa place (empathie). Ainsi, nous souffrons avec lui (sympathie). Si l’action de l’homme dans la quête du bonheur blesse autrui, il se blesserait potentiellement lui-même.

De plus, un des impératifs de Kant suppose que pour qu’une action soit morale, elle doit être désintéressée. Ainsi, par définition, « tout faire pour être heureux » deviendrait impossible puisque la finalité « recherche du bonheur » est d’ores et déjà nulle et non avenue. Le devoir moral prime sur le bonheur en lui-même. L’Homme est tenu d’accomplir ses devoirs et de respecter la loi, autrement dit, « le devoir est la nécessité d’accomplir une action par respect pour la loi ». Toutefois, en agissant conformément à la morale (en respectant les règles et normes établies par la société comme payer les impôts, respecter les aînés, …), il favorise le bonheur d’autrui, et par extension, le sien, dans une certaine mesure.

Il est indéniable que se détourner des principes de la morale en vue d’une quête de bonheur solitaire représente un fait inachevable pour l’homme. Comment peut-on alors concilier les préceptes individuels avec les impératifs de la morale ?

III. Le choix des valeurs renvoie au bonheur

Selon Nietzsche, l’Homme est un créateur de valeurs. Il a un devoir moral de choisir entre le bien, c’est-à-dire le bonheur de l’humanité dans son ensemble ; et le mal, autrement dit le bonheur personnel, même si cela implique la destruction du bonheur d’autrui. En effet, il n’y a pas de valeur en soi, car en scrutant les véritables mobiles de l’homme, il érige quelque chose comme étant valeureux lorsque cela contribue à la conservation de la vie. Il en est de même pour le bonheur : l’homme poursuit le bonheur lorsque cela est vital. La considération sociale, les courants de pensée dominants ou encore la sagesse sont vitaux. Nietzsche disait dans La volonté de puissance : « la vie est essentiellement l’effort vers plus de puissance ; sa réalité la plus profonde, la plus intime, c’est ce vouloir ».
Grâce à son libre arbitre, l’Homme choisit d’agir, en accord avec sa conscience et ses valeurs. Ainsi, pour parvenir au bonheur l’homme est amené à prendre en compte sa morale et son éthique, ou bien de les nier, dans chaque action qu’il entreprend. Par exemple, seuls ses valeurs et ses jugements lui permettent de mentir, ou non, dans une situation donnée. En tout cas, l’homme fera tout pour être heureux, et même s’il décide de ne rien faire, ou encore s’il est au bord du suicide, il fait déjà quelque chose au nom d’un plus grand bonheur.

Conclusion

Le bonheur ne peut être achevé que lorsque l’Homme agit activement pour l’obtenir. Or ce n’est pas à travers un acte désintéressé ou arbitraire, mais selon l’éclairage de la raison et de la volonté. Cependant, les actes non conformes à la morale, susceptibles de blesser autrui, sont des paramètres à tenir en compte dans notre quête du bonheur. Ainsi, le véritable bonheur est toujours en concordance avec l’harmonie du monde extérieur, notamment autrui. Il est alors primordial d’établir une ligne de conduite, et d’attacher éthique et valeurs dans ses actions en vue d’atteindre un bonheur qui concerne l’ensemble de la société dans laquelle l’Homme évolue. Concernant le bonheur proprement dit, l’homme est toujours en quête du bonheur tant qu’il est vivant, et ce, quelles que soient les valeurs auxquelles il adhère.

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