Faut-il démontrer pour savoir ?

Depuis d’antan, l’homme, l’être doté de raison a toujours voulu connaître, voire tout connaitre. Le désir de connaissance reflète ainsi la condition humaine soumise à un environnement de nature qu’il essaye tant bien que mal de contrôler. Le « logos » signifiant à la fois raison mais aussi langage, participe ainsi dans la matrice figurative et complexe de la compréhension de l’homme de son milieu ainsi que de son univers, et ce par la démonstration. Chez les Philosophes de renom tels que chez les Grecs, la démonstration était ainsi basée sur la rhétorique, l’art du discours, l’art de peser les arguments, et la connaissance imperméable que l’on pouvait avoir, était l’art de la dialectique consistant en des schèmes de démonstration. Mais si l’homme a depuis longtemps voulu aspirer à connaître, est-il nécessaire de savoir pour démontrer ou bien faut-il démontrer pour savoir ? En vue de répondre à cette question, nous aborderons dans une première partie, la nécessité de la rigueur démonstrative afin de savoir et donc de parvenir à la connaissance. Cependant, nous nuancerons cela dans une deuxième partie avec le fait que tout savoir n’est pas nécessairement démontrable en vue de valider une connaissance.

I. Il faut démontrer pour savoir

En effet, la démonstration est l’essence même de toute connaissance car toute connaissance indémontrable ne serait alors qu’une chimère de propositions non valides. Il faut donc démontrer pour savoir car savoir implique d’avoir été testé, éprouvé, et éprouvé implique donc un enchainement de propositions ou postulats démontrés par un raisonnement quelconque. La démonstration est donc un raisonnement qui établit la vérité d’une proposition via un enchainement d’axiomes et de propositions selon des règles rigoureuses. Friction entre le réel et la raison, l’exercice de démontrer est donc l’outil privilégié pour atteindre la connaissance d’un sujet ou même d’un objet. Nos sociétés contemporaines et même d’antan confirment ce constat selon lequel l’homme doté de raison est un sujet pensant qui cherche à comprendre son environnement que nous appelons la nature. Dans le Ménon de Platon, celui-ci nous explique qu’un savoir uniquement fondé sur une seule expérience est pauvre et donc qu’elle ne serait pas totalement fiable. Cela nous renvoie donc à la méthode même de la démonstration car la démonstration est l’essence du vrai de ce qui est prouvé et donc de ce qui est démontrable. Ainsi, la multiplicité des expériences accompagnées de la rigueur du raisonnement que nous nommons démonstration réussissent à constituer à elles seules les fondements de la connaissance. En effet, comme le dit Platon, dans le Ménon, ce qui est fiable ne serait-il pas ce qui est démontrable ? Car ce qui est démontrable est tout ce qui se rattache à la multiplicité des expériences, c’est-à-dire qu’une proposition reste vraie si elle est éprouvée de plusieurs manières, effet d’expérience. Descartes, dans la quête du vrai indique d’ailleurs « il faut user de la méthode mathématique, celle-ci est la science de l’ordre et de la mesure. » Il faut donc démontrer pour savoir, la démonstration relève d’un raisonnement de type déductif, c’est-à-dire un enchaînement logique de propositions par lesquelles on infère les présentes conclusions. Les modèles mathématiques fondent inéluctablement les bases de la connaissance de ce qui est vrai, ils sont fondés sur ce qui peut être démontré par des axiomes, postulats et des prédicats.

II. Il ne faut pas forcément démontrer pour savoir la démonstration n’est pas le seul moyen de connaissance

Dans cette deuxième partie, nous verrons que la démonstration n’est pas nécessaire pour connaître et donc que d’une certaine manière, elle n’est pas le seul mode opératoire de connaissance que dispose l’homme. La démonstration est donc la base de toute connaissance se voulant être valide, la nécessité de la rigueur démonstrative n’est-elle pas le reflet de l’exigence de l’usage de la raison ? En grande partie, oui, mais elle cache bien plus, une volonté d’élévation de l’âme cherchant à comprendre son devenir et donc son présent et la nature qui l’entourent. D’ailleurs, la démonstration a des limites bel et bien visibles et connues à travers son histoire. La démonstration par exemple, se veut donner des règles bien précises et une méthode opératoire afin de valider la véracité d’une proposition, mais pourtant, le réel est tellement complexe et l’homme est soumis à la limite de ses capacités de perception et cognitives qu’il est plus sage d’avouer notre incompétence face à de nombreux sujets comme le suppute le philosophe Socrate « Tout ce que je sais c’est que je ne sais rien. ». La Métaphysique science par excellence vient alors complexifier l’équation ainsi que le langage de l’univers qui échappe à la science formelle physique. D’ailleurs, le terme même méta signifie au-dessus et donc au-dessus de la limite physique saisissable par notre perception. Dans l’allégorie de la caverne de Platon, celui-ci retrace bel et bien les faits, car il y a un monde qui nous dépasse à l’extérieur, un monde que l’on ne peut uniquement toucher par notre perception, et c’est là qu’est atteint la limite même de notre raison, la limite même de la démonstration, la démonstration est le produit même de la raison humaine ce qui en fait sa beauté. Platon déjà avait montré dans la République, en utilisant la métaphore de la ligne, que l’ascension vers le savoir nous oblige à dépasser le savoir mathématique pour atteindre l’anhypothétique, c’est-à-dire un savoir qui échappe à la démonstration et qui est pourtant un véritable savoir, une sorte de don accordé à l’esprit en quête de vérité et qui relève d’un « voir » particulier, presque insoutenable comme l’est la vue du soleil dans le mythe de la caverne. Nous comprenons vite que la démonstration a des limites, et les modèles mathématiques également.

L’impératif de connaissance étant inscrit en l’homme comme son ADN, il appert que l’homme est par essence un être doté de raison, et c’est ce qui le distingue de l’animal, car afin de confirmer ses pensées sur un objet et sa compréhension du réel, il doit user de sa raison et doit donc apprendre et chercher à démontrer. Cependant, la démonstration a des limites bien évidentes bien que science de raison, la raison a aussi des limites que l’homme ignore. Les sciences fondées sur les modèles mathématiques sensées être garantes de la vérité formelle nous ont prouvé le contraire, une vérité scientifique aujourd’hui était remise en question hier, et une connaissance que l’on a aujourd’hui sera sûrement révolue demain. Mais si le désir de connaissance est un impératif, la connaissance de la vérité est progressive. Doit-on alors renoncer à fonder le savoir sur la démonstration ? Bien évidemment que non, car l’homme ne doit pas opter pour l’obscurantisme et l’ignorance. Le tout réside donc dans le fait de comprendre que l’exigence de démonstration est réelle, mais elle ne devrait jamais être un critère exclusif.

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