L’État est-il au service de la société ?

L’État et la société sont deux réalités qui sont intimement imbriquées. Il existe une différence de degré entre ces deux entités, à savoir dans les formalités pour régir ses membres. Bien évidemment, ils peuvent très bien se concentrer dans un même corps social. En l’occurrence, l’État désigne le gouvernement, et la société, le peuple. En se demandant si l’État est au service de la société, une réponse affirmative paraît évidente, bien que la relation entre gouvernant et gouverné suppose toujours un rapport de force. D’une part, la société a existé avant l’État, ce dernier étant donc une création humaine et artificielle. D’autre part, l’État est au-dessus de la société, dans le sens où il a le monopole du pouvoir, de la législation et de l’organisation. Étant conscient de l’importance de son pouvoir, l’État peut-il exercer avec bienveillance ses responsabilités envers la société ? Découvrons dans une première partie les services auxquels l’État a prêté serment pour la société. Et dans une seconde partie, analysons les cas de figure qui montrent les défaillances de l’État.

I. L’État a été créé pour servir la société

A. L’État est souverain vis-à-vis du peuple

Créé par la société pour lui servir de représentant, de régulateur économique, de protecteur des biens et de la personne des citoyens, l’État est une institution politique souveraine. Il est doté de pouvoir d’organisation mais aussi de création de droit et de sanctions. Parallèlement, la société est un groupe organisé d’individus vivant au travers de règles naturelles. Rassemblés par des conditions physiques comme le partage d’un territoire, comme l’affiliation à une lignée, plusieurs individus forment ainsi la société dans un esprit volontaire de vivre ensemble. Par conséquent, l’État est le résultat d’une aspiration sociale en vue d’améliorer les conditions de vie en groupe, prônant des valeurs communes comme la sécurité ou la moralité. Et puisque les hommes seuls sont incapables de faire taire leurs violences et leurs mensonges, les forces répressives de l’État sont d’une grande nécessité. Dans son ouvrage du Contrat Social, Rousseau introduit la notion de « légitimité d’un pouvoir politique » pour garantir la souveraineté du peuple par la fondation de l’État. Il disait : « La volonté générale peut seule diriger les forces de l’État selon la fin de son institution, qui est le bien commun ».

B. L’existence des lois permet à l’État d’accomplir ses services

Si nous disons que l’État est au service de la société, nous avons tendance à imaginer que la société serait alors le maître et l’État son serviteur. Bien que l’État accomplit effectivement des missions qui contribuent au bien-être de la société, c’est plutôt l’État qui élabore les lois. En effet, on ne peut pas laisser les hommes s’autogouverner. Les lois qui supposent l’utilisation de la force de répression pour rétablir la justice sont indispensables pour l’État aussi bien que pour la société. Kant, dans Idée d’une histoire universelle au point de vue cosmopolitique, mentionne « l’insociable sociabilité » pour faire valoir la nécessité d’organiser le pouvoir sous l’autorité des lois : « L’homme a un penchant à s’associer, car dans un tel état, il se sent plus qu’homme par le développement des ses dispositions naturelles. Mais il manifeste aussi une grande propension à se détacher (s’isoler), car il trouve en même temps en lui le caractère d’insociabilité qui le pousse à vouloir tout diriger en un sens ». Soulignons toutefois que les lois, bien qu’elles servent de balise pour les insubordinations des citoyens, n’entravent point à l’épanouissement de la société dans son ensemble. L’instauration des services publics ainsi que des différentes institutions rattachées aux grands axes de l’activité de l’État contribuent pleinement à cet épanouissement.

Tous les services que l’État effectue auprès de la société ont pour finalité de rétablir l’ordre, d’où la nécessité de mettre en place des lois. Mais en dépit de l’existence de ces derniers, il n’est pas toujours garanti que l’État, dans la pratique, ait achevé ses services comme il se doit.

II. L’État est en mesure de feindre ses véritables intentions

A. L’État peut basculer dans le totalitarisme

D’un point de vue juridique, le pouvoir de l’État est légitime lorsque c’est le peuple qui décide de lui confier une partie de ses droits, notamment ceux de se défendre et de conserver ses biens. C’est la société qui tire donc avantage des services de l’État, bien que ce dernier dispose du monopole de la contrainte physique. Cependant, la confiance accordée à l’État peut cacher des revers insoupçonnés, surtout si les citoyens ne sont pas capables de discerner les intentions des personnes à la tête du gouvernement. Nietzsche déclarait notamment dans Ainsi parlait Zarathoustra : « L’État, c’est le plus froid des monstres froids : il ment froidement : Moi l’État, je suis le peuple ». Il faut rappeler que l’État est une entité abstraite, seuls les individus au pouvoir peuvent lui donner une forme et un contenu. Sachant que la personne du monarque se confond avec l’État, et que l’État se prévaut comme étant le représentant du peuple, ou en tant que peuple même, c’est ici que naît la difficulté. Les dirigeants disposent de tous les moyens pour transformer en droit les décisions non conformes à l’intérêt de la société. Il leur suffit de dire que c’est au nom de l’État qu’une action a été établie, pour que le peuple se soumette à cette volonté.

B. L’État n’appartient plus à la société

L’État a été créé pour servir la société dans un esprit de mission et non d’obéissance. C’est d’ailleurs pour éviter que les hommes se mettent dans une situation de conflit, à cause des positions inégalitaires, que l’institution a été imaginée dans un esprit de justice. Les personnes placées à la tête de l’État deviennent ainsi des représentants, et dans une large mesure des dépositaires du pouvoir que des propriétaires. Mais en usurpant de ce pouvoir, les dépositaires tendent à détourner les principes de base de l’intérêt général et confisquent les activités et les revenus de la société pour en faire usage personnel. Dans son ouvrage Le système totalitaire, Hannah Arendt trouve ainsi une forme de manifestation de cet effacement de l’État, qui est le totalitarisme : « Le régime totalitaire transforme toujours les classes en masse, substitue au système de partis, non pas des dictatures à parti uniques, mais un mouvement de masse, déplace le centre du pouvoir de l’armée à la police, et met en œuvre une politique étrangère visant ouvertement à la domination du monde ».

Le besoin d’exercer un pouvoir politique et organisationnel est naturel à tout homme qui vit en société. C’est la finalité même de la création de l’État, qui est l’aboutissement de la volonté de la société à vivre en paix et en sécurité. Dans cette perspective, l’assujettissement de la société aux lois et la visée de l’intérêt général par l’État en demeure le principe. Il en découle que toutes les activités et missions de cette institution suprême seront aux services de la société, de sorte que l’Etat ne répond pas à un désir, mais à un besoin vital commun. Ceci étant, d’éventuelles détériorations de ces principes peuvent mettre de l’ombre à l’accomplissement de cette finalité, lorsqu’une prise de position se penche sur les intérêts des dirigeants. Par ailleurs, le cas de figure d’un système totalitaire écarte ainsi toute vision d’un État au service de la société. De droit, la mission de l’État consiste à servir la société, mais dans les faits, la vie étatique peut renfermer des visions qui ne concordent pas avec la liberté et le bien-être social. Le pouvoir de l’Etat est-il illimité ?

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