L’histoire ne serait-elle qu’une suite d’évènement ?

L’histoire est une discipline bien mystérieuse. Nous pouvons vivre à travers elle des faits que nous avons intériorisés rien qu’en écoutant la narration des évènements. Hasard, coup du destin, les faits sont d’autant plus imprévisibles et irréversibles, et pourtant la conscience collective grave cet  évènement à tout jamais dans les livres d’histoire. Car après un certain recul, l’historien semble déceler une progression générale des faits, comme si elle tendait vers une direction inéluctable. Toutefois, ne provient-elle pas de l’intention d’un esprit qui peut être mue par des sentiments sélectifs ? Si l’on peut douter de l’élaboration de l’historien, il reste encore ceci, que l’histoire est affectée par des acteurs qui ont des intentions à accomplir et qui peuvent les réussir tant bien que mal. En effet, l’histoire possède-t-elle une valeur intrinsèque ou serait-elle un assemblage chronologique dans la conscience ? Pour élucider les questionnements sur la science historique, nous allons adopter le plan suivant : en première partie, nous allons aussi voir qu’on peut dégager une compréhension générale de l’histoire, parce qu’elle est une élaboration provenant de l’esprit universel. Mais en deuxième partie, nous allons montrer les revers factices de son objet, jusqu’à montrer l’inefficacité des objectifs que s’est fixés l’histoire.

I. Histoire et sens

A. L’histoire n’est pas absurde

En effet, certains penseurs refusent d’être nihilistes sur le mouvement de l’histoire. Pour Hegel notamment, les mouvements historiques sont un déroulement rationnel. En d’autres termes les évènements ne sont pas de simples faits, mais des éléments organisés dans la cohérence. Selon la pensée de Hegel évoquée dans La Raison dans l’histoire, « l’histoire universelle est la manifestation du processus divin absolu de l’Esprit : la marche graduelle par laquelle il parvient à sa vérité et prend conscience de soi ». Dans l’histoire, la participation passionnée des grands acteurs, qui semblent être de la pure volonté,  suit en fait un ordre nécessaire. Napoléon, en apparence, avait des intentions claires, toutefois elles sont soumises à sa passion du pouvoir qui elle est « la ruse de la raison ». Par conséquent, ce grand homme est devenu l’intermédiaire  pour faire progresser la société humaine vers l’établissement du code civil, une institution nécessaire pour bien asseoir l’État de droit. Si la vision de Hegel est scientifiquement infondée, car on peut toujours interpréter les choses selon elle, il faut toutefois reconnaitre la qualité interprétative de sa théorie  à dévoiler la nature de l’homme en tant qu’être de sens.

B. L’histoire dévoile l’homme et donne des perspectives

Fondamentalement, l’histoire parle bien de quelque chose, elle dévoile l’homme. Tout d’abord, seul l’homme a une histoire, car il est le concepteur du temps, il est celui qui définit la notion de passé, du présent et du futur. Ainsi, l’homme est conscient du changement, mais aussi du fait qu’il est un acteur volontaire de changement.  Toutefois, il ne change pas les choses n’importe comment, c’est un acteur-concepteur et non pas un acteur-pièce. En d’autres termes, il donne du sens à son existence. C’est pourquoi l’étude de l’histoire est une science humaine. Elle est l’organisation analytique des différents facteurs (psychologique, sociale, métaphysiques, économique, politique) qui déterminent les changements du monde humain.  « Le sentiment profond de bien-être que l’arbre sent monter de ses racines, le plaisir de savoir qu’on n’est pas un être purement arbitraire et fortuit, mais qu’on est issu de tout un passé dont on est l’héritier, la fleur et le fruit ». Voilà comment Nietzsche comprend le sentiment de ceux qui intériorisent et signifient l’histoire. Les évènements humains s’expliquent, on comprend pourquoi et comment tel acteur a changé les choses, ou quelles étaient les attentes d’un peuple insatisfait qui ont révolutionné le fonctionnement de leur État. Ou encore pour quelles raisons et comment les hommes sont entrés dans un tel conflit. Il faut alors souligner ceci : le sens de l’histoire projette une situation où les évènements tendent inéluctablement.

L’historien et le peuple s’accordent sur un point selon lequel l’histoire constitue la mémoire du passé, dont le choix de l’évènement ne s’est pas fait de manière arbitraire. Mais en revenant sur le contenu de l’histoire, et en scrutant les tenants et aboutissants de cette discipline, nous pouvons dénuder les faits et les désigner comme une suite d’évènements.

II. L’histoire dispose-t-elle d’un but précis ?

A. L’histoire ne peut aboutir à une loi scientifique

Dans la présente analyse, nous allons nous focaliser sur l’histoire en tant que discipline scientifique et en tant que patrimoine d’une société, voire même de l’humanité. Dans ces deux cas de figure, l’histoire se donne comme un produit qui a une valeur et une utilité pour ceux qui la considèrent. Que peut-on alors soutirer comme objectif pratique en lisant une histoire ? Serait-elle une source d’inspiration pour la grande moralité dont les personnages ont fait preuve au cours des périples ? Le génie, le courage ou toute autre vertu, l’histoire pourrait bien en fournir des exemples à travers les personnages illustres. Cependant, les parcours des grands hommes ne constituent en aucun cas une loi, parce que l’évènement était singulier et non répétitif, non soumis à un déterminisme scientifique. C’est ainsi que Paul Valéry, dans son ouvrage « De l’histoire », souligne clairement : « Que de livres furent écrits qui se nommaient : « La leçon de ceci, les Enseignements de cela ! … Rien de plus ridicule à lire après les évènements qui ont suivi les évènements que ces livres interprètent dans le sens de l’avenir ». L’histoire humaine est certes une source d’inspiration pour le quotidien ou pour cultiver notre imagination. Mais on ne peut construire une loi ou une théorie à partir de ce qui s’est passé dans une circonstance précise, où des paramètres indéfinis ont permis que ce qui était n’aurait pas pu être autrement. Ainsi, le déterminisme en histoire, s’il n’est pas trop abusé d’user de ce terme pour le cas qui nous concerne, n’est en fait qu’un enchaînement d’évènements indépendants, un enchaînement nécessaire dans les faits uniquement.

B. L’objet de l’histoire est une succession d’évènements

Si on dit que l’histoire n’est qu’une suite d’évènements, le sens de la phrase peut se comprendre comme quoi le passé humain ressemble aux phénomènes de la nature qui sont homogènes et fades. Effectivement, l’histoire est une discipline scientifique, du coup son objet mérite également d’être traité comme tel. Est scientifique ce qui dispose d’une méthode rigoureuse, universelle et objective. Pour l’histoire en particulier, elle s’affilie dans la catégorie des sciences humaines. Il importe cependant de souligner que dans un processus scientifique, le but n’est pas de transformer l’objet, mais tout simplement de le comprendre par des concepts clairs. Ainsi, après avoir collecté les versions diverses et effectué les recoupements, l’historien écrit l’histoire. La suite d’évènements  recueillie de toutes parts sera celle qui figurera dans les livres. Bien évidemment, l’historien y introduit un sens, mais c’est dans chaque conscience que cela se manifeste. De manière concrète, on désigne une histoire en tant que telle parce qu’elle est l’œuvre de l’historien. Comme disait l’historien Fernand Braudel dans Écrits sur l’histoire, « il n’y a pas une histoire, un métier d’historien, mais des métiers, des histoires, une somme de curiosités, de points de vue, de possibilités, somme à laquelle demain d’autres curiosités, d’autres points de vue, d’autres possibilités s’ajouteront encore ». Ainsi, d’une manière innocente et sans équivoque, l’histoire qui est l’objet et le produit des investigations de l’historien, est une suite d’évènements. Cela ne signifie pas pour autant qu’elle n’a pas de sens. Par contre, toute suite d’évènement n’est pas automatiquement une histoire.

L’histoire a-t-elle un sens ? Immédiatement, le commun des mortels dira qu’elle en a, sinon personne ne s’y intéresserait. Mais suite à notre analyse, nous avons pu déceler le véritable sens de l’histoire en se référant aux propos des philosophes. Les exploits des grands hommes figurent dans les recueils historiques, pas tellement à cause de leur parcours ingénieux, mais parce que les évènements ont un sens pour la conscience collective. Les grands hommes s’inscrivent dans les livres d’histoire parce que cela ne peut être autrement, parce qu’ils sont les acteurs majeurs par lesquels les évènements ont pu se réaliser. Mais d’un point de vue scientifique, l’histoire remplit tout à fait les démarches de scientificité, sauf qu’il n’y a pas de loi qui découle des évènements historiques. Ainsi, elle reste une suite d’évènements soumise à des méthodes objectives, au même titre que les phénomènes naturels pour les sciences de la vie. À cet effet, la suite des évènements a bien un sens, mais ce sens ne renvoie qu’à la compréhension est non à la prédiction.  L’histoire offre des perspectives, tandis que le futur n’est jamais prédéfini.

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