Seul ce qui peut s’échanger a-t-il de la valeur ?

Étant un terme originaire de la science économique, l’échange désigne les relations humaines découlant du commerce de biens et de services. Sachant que tout échange implique une valeur, celle des marchandises s’estime à travers les prix. Mais aussi, l’on parlera de valeur d’utilité dans l’intérêt des parties qui s’y interagissent. Cependant, les échanges dépassent le seul cadre des relations économiques et commerciales. On peut aussi échanger des objets à valeur sentimentale, des idées à valeur culturelle, des services à valeur morale. Ce qui semble évident est que l’on comprend la valeur de ce que l’on échange, mais aussi de l’acte de l’échange lui-même, que cela soit pour soi ou pour l’autre. Ainsi, la valeur en soi et la possibilité d’échange sont deux notions qui ne sont pas forcément contiguës. En l’occurrence, l’idée de valeur implique une analyse quant à sa subjectivité. La problématique soulevée dans ce sujet sera alors : dans quelle mesure l’homme peut-il effectuer un échange ? Pour résoudre ceci, on va d’abord voir que l’échange dépend essentiellement de la valeur. Toutefois, la valeur des choses relève de la subjectivité, ce qui donne parfois des exceptions à la règle des échanges.

I. La valeur d’échange conditionne le commerce

A. La nécessité des échanges économiques crée la valeur d’échange.

À la première évidence, l’origine de la pratique de l’échange semble d’abord d’ordre économique, c’est-à-dire de la gestion des ressources rares dans une communauté d’individus ayant des besoins illimités. Qui plus est, les moyens de production n’étant pas répartis uniformément dans la société, cela entraîne la spécialisation d’un artisan dans la production d’un bien, un autre artisan dans un autre domaine bien spécifié. Ainsi, il est devenu naturel pour une société que chaque individu n’est pas en mesure de produire tout ce dont il a besoin, d’où la nécessité vitale de l’échange. De là, les membres de la société se sont fixés des valeurs par l’estimation de l’effort communément reconnu dans la production d’un bien. Mais une fois que je dispose de ce bien, pourrais-je l’échanger s’il n’était d’aucune utilité pour autrui ? Ce dernier aurait-il consenti à céder un autre bien en sa possession pour avoir le bien dont je dispose, sans que ce bien nouvellement acquis lui soit utile de quelque façon ? Certainement pas. D’une part, la valeur travail, mesure dans une équation globale de tous les biens produits, faisant état de l’effort de travail inculqué ainsi que de la quantité de matériau utilisé. D’autre part, la valeur d’utilité. Par-là naquit la valeur d’échange, qui se définit comme suit selon Le Capital de Marx : « La valeur d’échange apparaît d’abord comme le rapport quantitatif, comme la proportion dans laquelle les valeurs d‘usage d’espèce différente s’échangent l’une contre l’autre, rapport qui change constamment avec le temps et le lieu ».

B. La rareté détermine également le prix d’un bien

Si d’emblée le commerce se base sur la nécessité vitale, et qu’il est surtout primordial d’établir un équilibre dans la valeur des choses à échanger, l’homme considère surtout le côté subjectif lorsqu’il entretient une relation avec autrui. En effet, même si le prix d’une chose est communément admis pour un certain montant, chacun ne procèdera pas à un calcul détaillé des coûts avant de se décider de se procurer un bien sur le marché. Et pourtant, nous acceptons volontiers qu’une chose vaille nettement plus cher qu’un autre, sans pour autant réfléchir en quoi cela est-il acceptable. Comme l’a constaté David Ricardo dans Des principes de l’économie politique et de l’impôt : « Il y a des choses dont la valeur ne dépend que de leur rareté. Nul travail ne pouvant en augmenter la quantité, leur valeur ne peut baisser par suite d’une grande abondance ». Pour cela, parlons des œuvres d’art qui échappent à toute valeur commerciale, qui auront pourtant des prix fixés que les non-connaisseurs jurent parfois de démesurés. Bien évidemment, un tableau aurait pu être peint en l’espace de deux heures, sans pour autant consommer toute la palette de peinture ou d’innombrables couches de papier. Côté utilité, il ne peut non plus servir à grand-chose dans le quotidien, sauf en guise d’ornement. Et pourtant, de par sa rareté, une telle œuvre sera échangeable par une petite fortune.

D’après ce qu’on a vu précédemment, nous estimons que les marchandises possèdent une valeur d’échange, déposés selon des critères objectifs, mais également en fonction des besoins subjectifs de chacun. Cependant, l’échange réside-t-il dans un cercle univoque où tout se réduit à ce qui est mesurable et vulgarisé ?

II. La valeur n’induit pas nécessairement l’échange

A. La société de consumérisme gouverne l’échange

A présent, force est de constater que l’échange est devenu vital pour l’individu et la société elle-même. En creusant dans les mécanismes du commerce et du substrat psychologique qui alimentent ce procédé, l’individu est désormais incapable de discerner l’origine de la valeur. Car le but de l’économie capitaliste est de vendre, la société est imbriquée dans le rouage consistant à produire uniquement ce qui se vend le mieux. Qu’en est-il de la valeur ? Oscar Wilde remarquera ceci en disant : « De nos jours les gens connaissent le prix de tout, mais la valeur de rien ». Même si en profondeur, la valeur est une affaire de subjectivité et on ne partage pas toujours les mêmes sentiments sur la valeur de la chose, il y a une perception tellement fausse de la valeur dans la société de consumérisme. Par conséquent, nombreuses sont les choses qu’on estime parce qu’elles font l’objet d’une médiatisation, alors qu’elles ne contiennent qu’un travail physique ou intellectuel insignifiant. Ainsi, ces choses qui sont qualifiées de marchandises ne contiennent en aucun cas de valeur d’existence. En définitive, voici le nouveau rapport entretenu par la valeur et l’échange : seul ce qui peut être échangé a de la valeur, or ce qui a véritablement de valeur, personne n’en veut.

B. On ne peut pas tout monétiser

Le prix est une expression numérique de la valeur, afin que nul ne soit lésé dans les échanges. Pourtant, il existe une forme d’échange qui n’implique pas nécessairement un prix, c’est-à-dire que les objets en question sont tellement valeureux qu’en déterminer un prix serait abusif de notre part. Si un échange a lieu pour ces catégories de biens, ce sera en termes de réciprocité et non d’égalité, tel qu’il est couramment pratiqué dans les sociétés traditionnelles. Notons toutefois qu’il ne s’agit nullement de troc, car cela est propre aux sociétés ne disposant pas de monnaie. On désigne par don et contre-don, l’échange entre deux prestations ayant toutes deux des valeurs inestimables. Certes, cette pratique est considérée comme un échange, selon le fait qu’il n’est pas possible de le faire en sens unique. Et comme l’a souligné Marcel Mauss dans Essai sur le don, Forme et raison de l’échange dans les sociétés archaïques, « les sociétés ont progressé dans la mesure où elles-mêmes, leurs sous-groupes et enfin leurs individus, ont su stabiliser leurs rapports, donner, recevoir, et enfin, rendre ». Ainsi, le système de don et contre-don vise plutôt une régulation sociale, et non une performance économique.

Les relations humaines dans le cadre du commerce sont un terrain assez délicat, dans le sens où l’on reste perplexe sur ce que signifie vraiment une valeur monétaire. A travers l’analyse, on remarque que nous nous consentons à jouer à un jeu social dont les fondements semblent arbitraires. En fait, nous avons pu constater d’abord que dans les faits, l’échange est ancré tellement dans nos habitudes quotidiennes que l’on s’est établi que les choses échangées avaient des valeurs objectives. Pourtant, il est indéniable que le sens même de l’échange, mais aussi la valeur intrinsèque de ce qui est échangé dépasse largement le cadre de l’économie pure. Le résultat en est que les formes de l’échange varient en fonction des formes de la valeur, et même en absence de valeur, l’échange peut toujours avoir lieu. Bien que la question de la valeur soit une affaire personnelle, elle requiert implicitement la considération de la société. Et inévitablement l’échange est le lieu dans lequel la valeur se juge, quelle que soit la société en question.

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