Travailler moins, est-ce vivre mieux ?

Le travail est cette activité de production physique ou mentale transformant la nature afin de satisfaire un besoin. Dans son sens moderne, elle prend une autre forme selon l’appellation de métier ou de profession, une activité qui produit une valeur d’échange économique. Dès lors, on parle du travail comme le moyen de gagner sa vie. Toutefois, la vie est un phénomène irréductible à la simple survie, étant donné qu’elle est passagère, donc précieuse. Pour certains, vivre, c’est accomplir une destinée, pour d’autres c’est profiter pleinement de tout ce que la vie à d’agréable à offrir. Or, le travail est une condition humaine qui engage à plein temps notre être. Le fameux proverbe latin nous dit : « vivre d’abord, philosopher ensuite », à quoi la classe ouvrière voudrait-elle en venir en affirmant : « travailler d’abord, vivre ensuite ». À cet égard n’est-il pas plus sage de considérer de réduire le temps qu’on passe au travail pour une existence plus vivante ? Cette option est envisageable pour ceux qui ne considèrent point le travail comme un fardeau, mais en font même une passion. Mais aussi, d’autres considèrent le travail comme un devoir qui les honore, et y voient un accomplissement gratifiant. La question qui se pose est : comment le travail est-il dialectiquement épanouissant et répressif ? Pour résoudre ce problème, il nous faut premièrement éclairer en quoi des charges de travail minimes égaye notre vie quotidienne. Et deuxièmement, nous examinerons aussi en détail en quoi le fait de travailler comble le vide de notre existence, et ce, sur tous les plans.

I. Travailler moins, c’est profiter de la vie

A. Le travail est un fardeau qu’il faut atténuer

À la première évidence, le phénomène du travail porte bien l’origine de son nom qui viendrait du latin « tripallium » et qui désigne un instrument de torture. En effet, l’idée de travail fait penser à l’effort pénible, que cela soit physique ou mental. Il rend notre corps tendu, le stress, voire l’agresse, face à la résistance de la matière première à transformer. Or, le travail est l’une des principales conditions humaines : l’homme n’est pas seulement mu par des tendances spontanées comme chez les êtres vivants inconscients qui réagissent comme des automates. Pour accomplir sa condition d’homme, il est condamné à user de sa volonté et de son intelligence. D’ailleurs, Jean-Paul Sartre comprend la condition de l’homme dans L’existentialisme est un humanisme comme suit : « Ce n’est pas par hasard que les penseurs d’aujourd’hui parlent plus volontiers de la condition de l’homme que sa nature. Par condition, ils entendent avec plus ou moins de clarté l’ensemble des limites a priori qui esquissent sa situation fondamentale dans l’univers ». A cet égard, puisque notre intelligence nous permet, par la création technique, de réduire l’effort du travail, n’est-il pas légitime de vivre mieux en tant qu’homme et de tendre vers l’abolition définitive du travail ? En effet, il est tout simplement absurde et contraire à la logique de ne pas profiter de l’intelligence humaine dans l’objectif de vivre mieux et sans contrainte. Tout compte fait, la supplémentation de la technique crée une meilleure productivité dans la sphère économique, offre de meilleures recettes, ce qui pousse l’homme à vouloir produire plus pour gagner plus, donc davantage de richesse et de confort.

B. Travailler nous aliène à l’idée de gagner sa vie

Soulignons que la vie de l’homme c’est aussi les loisirs, les méditations, la recherche et la création du beau, la culture. Ce sont des luxes que seuls les propriétaires bourgeois ou les gens de la haute société peuvent acquérir, nous dit la classe ouvrière. Cela parait tout à fait légitime, bien que les deux parties s’enlisent dans un cercle vicieux : la classe ouvrière vend sa force de production en échange de moyens financiers qui permettent, outre d’acheter les besoins vitaux, d’avoir un accès à ces luxes. Paul Lafarge utilise des termes crus pour décrire ce cercle vicieux dans Le droit à la paresse : « Parce que la classe ouvrière, avec sa bonne foi simpliste, s’est laissé endoctriner, parce que, avec son impétuosité naïve, elle s’est précipitée en aveugle dans le travail et l’abstinence, la classe capitaliste s’est trouvée condamnée à la paresse et la jouissance forcée, à l’improductivité et à la surconsommation ». On dit ici il ici qu’il faut gagner sa vie, comme si cette dernière avait une valeur monétaire et qu’elle ne nous est pas accessible immédiatement ou entièrement. Le problème est qu’en épousant ce système, le travailleur alimente la machine à rêve du capitalisme, qui voudrait rentabiliser tout ce qui intéresse l’homme en tant que produit de consommation. L’esprit capitaliste nous pousse à travailler de plus et plus péniblement pour avoir accès au succès individuel, tout en aliénant l’idée de liberté au pouvoir du capitalisme financier.

La première approche concernant le travail se fait selon une logique très claire, selon laquelle le labeur de l’ouvrier ne le fait pas sortir de sa condition d’ouvrier, donc il faut s’en défaire. Toutefois, ce problème est seulement en surface, car le travail peut être considéré autrement.

II. Travailler, c’est vivre une existence épanouie

A. Le travail donne un sens à la vie

Le problème n’est pas le travail en lui-même, mais sa considération comme un simple effort mécanique. Un poste de manœuvre qui n’a de fonction que le déclenchement d’un simple levier dans un processus à la chaine n’est pas un travail. L’ouvrier n’est plus ici un ouvrier, mais le prolongement mécanique d’un système impersonnel. C’est ce genre de considération objectiviste du travail qui tue l’esprit du travailleur, et qu’il faut entièrement remplacer par des machines. Le vrai travail est un espace existentiel, c’est-à-dire une activité où l’on se sent libre et responsable, qui peut inspirer l’idée de vocation. En fait, il y a généralement trois types de travailleurs qui considèrent le travail autrement qu’un calvaire et qui offriraient volontiers plus de temps de leur vie au travail. Tout d’abord il y a le passionné, celui qui considère son travail comme un loisir. Le travail pour lui est un espace de relâchement et une source de plaisir. Puis, il y a le responsable pour qui le travail est un devoir pour sa communauté, voir pour l’humanité, donc un impératif moral qui dépasse sa seule personne. Enfin il y a l’ambitieux, celui qui considère un travail comme un défi à relever pour affirmer sa volonté, c’est un perfectionniste qui exige la meilleure qualité possible. Par conséquent, chacun peut être à la fois un mélange de ces types de travailleur ou tenir compte de l’un deux, mais une chose est sure : le travail est l’œuvre d’un sujet acteur, voire d’un artiste concepteur. « Un travail réglé et des victoires après des victoires, voilà sans doute la formule du bonheur », disait Alain.

B. Travailler plus, c’est améliorer son autonomie

Enfin, en lui-même, le travail ne peut être que libérateur. Effectivement, l’homme qui œuvre pour ses besoins est l’esclave de la nature. On ne travaille pas pour un désir extérieur à la nature, mais on travaille pour elle. La survie s’impose au mépris de la liberté. Toutefois, en même temps qu’il se frotte à la résistance de la matière, le travailleur se forme. Il use de son intelligence et de sa volonté pour dépasser l’obstacle naturel. Ensuite, étant habitué à la patience de la transformation du monde, il gagne du pouvoir sur le monde et sur soi : il se détache peu à peu de sa dépendance à l’envie de jouir hâtivement de l’objet de son travail et se rapproche de sa volonté en prenant de plus en plus conscience de son autonomie. Ainsi Hegel, dans son Phénoménologie de l’esprit, nous dit que « c’est par la médiation du travail que la conscience vient à soi-même ». Fondamentalement travailler c’est faire, c’est agir, et quand nous reléguons progressivement nos taches aux machines, nous perdons en même temps notre pouvoir d’action. Ce fut ainsi la tragédie des Romains qui, laissant toutes les taches inconfortables au soin des esclaves et se plaisant dans les débauches hédonistes, qui de surcroît ramollirent leur volonté, furent d’abord vaincus de l’intérieur par la corruption, puis de l’extérieure par des peuples qui ont su garder leur vigueur.

Pour conclure, rappelons le problème qui aura finalement stimulé notre réflexion : comment le travail peut-il à la fois être capable de réduire le potentiel de la vie et de l’élever ? Tout d’abord, il nous paraissait évident que le travail est une épreuve pénible qui accompagne nécessairement l’homme tout au long de son existence, donc il est tout à fait naturel de ne pas considérer de l’atténuer pour vivre mieux. La technique, fruit de notre intelligence créatrice, semble d’ailleurs être naturellement faite pour ça. Mais encore, quand il nous aliène à l’esprit capitaliste qui veut tout transformer en rentabilité, il fait de la vie un espace lucratif. Néanmoins, c’est accuser injustement le travail d’être une entrave à la vie. Car le travail peut porter différents sens qui fait qu’il soit capital pour la réalisation de notre existence. Sans le travail où nous pouvons exprimer notre intelligence et notre volonté, nous n’arrivons pas à la pleine conscience de notre liberté. Fondamentalement, le travail maintient et améliore notre pouvoir d’action sur le monde et sur soi. Il est donc tout à fait possible de vivre mieux en faisant de notre travail notre principal centre d’intérêt.

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