Pierre Assouline

Assouline, La Cliente, Résumé

Pierre Assouline est un auteur de langue française né en 1953 à Casablanca. Membre émérite de l’Académie Goncourt, il est particulièrement prolixe dans un grand nombre de domaines artistiques dans lesquels il s’illustre avec talent. Il est entre autres responsable de rédaction d’une revue littéraire célèbre, mais également auteur du blog renommé « La République des livres ». Pierre Assouline est également à l’origine de plusieurs milliers de chroniques et d’articles pour la radio, et exerce simultanément les professions de journaliste, de romancier et d’auteur des biographies de Marcel Dassault, Georges Simenon ou encore Hergé. Il signe son premier roman avec La cliente, ouvrage publié en 1998. L’action de cet ouvrage autobiographique et historique se déroule dans les années 90 et son sujet principal est la période de l’Occupation.

Le narrateur de ce roman autobiographique est incarné par un historien qui décide de mener des recherches documentaires sur Désiré Simon, un auteur contemporain illustre, afin de réaliser sa biographie. L’histoire commence au moment où le narrateur historien découvre une phrase extraite des mémoires de Désiré Simon : « On lui demandait de prouver non ce qu’il était mais ce qu’il n’était pas ». En effet, cet auteur est accusé sous l’Occupation de descendre d’ancêtres juifs et d’être Juif lui aussi. Il est alors sommé de prouver qu’il ne l’est pas. Le biographe, décidé à découvrir qui a dénoncé Désiré et pour quelles raisons, débute une longue quête historique pour élucider le sens de cette mystérieuse citation. Grâce à l’autorisation exceptionnelle de consulter les archives très confidentielles de l’Occupation, il peut alors éplucher les nombreux rapports de police et lettres de dénonciation que ce lieu ultra secret renferme. C’est au cours de ses recherches méticuleuses que le lecteur poursuit en même temps que lui,au fil des rapports de police et des lettres de dénonciation, que l’une de ces sombres missives anonymes interpelle son attention. En effet, celle-ci dénonce en 1941 l’activité commerciale clandestine et illégale d’une famille juive de fourreurs parisiens depuis plusieurs générations malgré l’interdiction concernant ce peuple privé de la possibilité d’exercer sa profession. La famille Flechner contre laquelle la dénonciation est dirigée n’est autre que celle de son ami François Fechner, qui est également le cousin de son épouse, et par conséquence un membre de sa belle famille. Toute la famille de son ami excepté Henri, père de François, alors âgé de vingt-cinq ans, a été arrêtée, déportée et exterminée à l’issue de ce billet délateur.

Cette dénonciation qui affecte François devient alors l’obsession du narrateur biographe qui finit par découvrir l’identité de la délatrice en remontant méthodiquement le fil de cette dénonciation. Il s’agit de l’ancienne cliente des Fechner, tenancière d’une boutique de fleurs dans la même rue que le magasin des fourriers. A l’aide d’un arsenal de lettres anonymes, d’appels téléphoniques intempestifs en pleine nuit et d’interpellations publiques, le narrateur initie alors un processus de harcèlement destiné à obtenir de la cliente l’explication de son geste qui a envoyé une famille dans les camps de la mort. Le biographe utilise également ses rencontres, notamment avec le policier destinataire de la dénonciation, afin de comprendre et d’expliquer les motivations de la dénonciatrice pour laquelle il est animé d’une haine immense au départ de sa recherche. Il se lance dès lors dans cette quête devenue à ses yeux d’une urgence absolue même si fouiller dans le passé n’est pas sans comprendre de risques, notamment celui de provoquer un véritable ouragan dans un quartier parisien dont les habitants mènent une vie calme et tranquille. Au cours de l’avancée dans l’investigation et de cette intrigue aux allures d’enquête policière, le narrateur évoluera tout de même dans son appréciation même s’il ne comprendra que trop tard pourquoi « la cliente » n’a pas été punie pour le crime qu’elle a commis.
Ce roman très documenté, foisonnant d’informations historiques, dépeint avec réalisme l’atmosphère de la vie quotidienne sous l’Occupation, cette période sombre et trouble de l’histoire et décrit avec force et vérité les mentalités de ces gens qui ont choisi de dénoncer pour obtenir les faveurs de l’occupant. Il pointe également le rôle décisif des policiers à la solde du régime nazi qui ont mené paisiblement leur carrière sans être importunés ni par la justice ni par leur conscience.

L’ouvrage de Pierre Assouline pose également la question du jugement. En effet, la démarche du biographe interpelle le lecteur sur son droit et sa légitimité à juger moralement et hors de leur contexte des personnes confrontées à des conditions de vie complexes, des pressions et des dangers qui ne le concernent et ne l’affectent pas, auxquels il n’est qu’extérieur.

Ce roman invite par ailleurs à une réflexion sur la frontière entre les positions de victime et de bourreau. En effet, c’est le narrateur, obsessionnellement marqué par le souvenir de la déportation de la famille Flechner, investi par un désir profond de comprendre l’origine d’une délation à l’origine de la mort d’une famille aimée, qui bascule du statut de justicier à celui de bourreau. Le narrateur est pourtant animé de bonnes intentions mais en voulant connaitre la vérité et comprendre la délatrice, il dérive vers un rôle de persécuteur peu glorieux en harcelant cette veille dame jusqu’à la pousser dans ses retranchements au nom de la justice, plus de cinquante ans après les événements. Enfin, ce livre à l’allure de thriller pose le problème crucial de la responsabilité. Au fond, qui est en droit d’augurer de celle de cette femme ? Qui peut porter un jugement sur ses actes sans être capable de se situer dans le contexte qui fut le sien, avec ses motivations, ses contraintes et les circonstances d’une période que le personnage principal, totalement obsédé par sa soif de vengeance, n’a pas pu connaître ? Enfin, au nom de quelle justice est on en droit de porter un jugement sur les comportements passés d’autrui en faisant abstraction de ses secrets, de sa douleur, de ses raisons profondes ? C’est à ce point précis que le roman qui se veut recherche sur autrui au départ devient introspection que le narrateur devra faire sur lui même en se découvrant tortionnaire à son tour.

Ce roman à l’écriture fluide et brillante, véritable bijou d’érudition, est parsemé de traits d’esprit et d’humour, se lit agréablement et possède en outre le talent d’entraîner son lecteur au fil des investigations de son protagoniste principal en dressant un portrait pertinent et documenté de la France occupée de 1941. Le narrateur historien habité et fasciné par son sujet, emporté à la raison par son acharnement à malmener celle qu’il estime responsable du génocide d’une famille, va perdre peu à peu l’adhésion du lecteur en lui faisant ressentir un malaise grandissant au fur et à mesure que son acharnement malsain prend de l’ampleur. Obnubilé par son désir de vérité, le biographe perd pied peu à peu et délaisse son projet initial de biographie d’un auteur pour se laisser progressivement aveugler par sa soif personnelle de vengeance. Il entraîne alors à sa suite un lecteur désarçonné et déchiré par ses interrogations et ses doutes face à l’éthique de plus en plus douteuse du personnage principal, indifférent à toute obligation morale de respect au profit d’un procès dont il se décrète juge.

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