Louis Aragon

Aragon, Le Roman Inachevé, Il n’aurait fallu

Poème étudié

Il n’aurait fallu
Qu’un moment de plus
Pour que la mort vienne
Mais une main nue
Alors est venue
Qui a pris la mienne
Qui donc a rendu
Leurs couleurs perdues
Aux jours aux semaines
Sa réalité
A l’immensité
Des choses humaines
Moi qui frémissais
Toujours je ne sais
De quelle colère
Deux bras ont suffi
Pour faire à ma vie
Un grand collier d’air
Rien qu’un mouvement
Ce geste en dormant
Léger qui me frôle
Un souffle posé
Moins une rosée
Contre mon épaule
Un front qui s’appuie
A moi dans la nuit
Deux grands yeux ouverts
Et tout m’a semblé
Comme un champ de blé
Dans cet univers
Un tendre jardin
Dans l’herbe où soudain
La verveine pousse
Et mon cœur défunt
Renaît au parfum
Qui fait l’ombre douce

Aragon, Le Roman Inachevé (1956)

Introduction

En 1956, Aragon célèbre encore et toujours Elsa Triolet puisque leur « roman » est « inachevé ». Le poète, le fou d’Elsa, écrit ce poème, extrait du recueil Le Roman Inachevé, daté de 1956.

Il s’agit d’un récit dans lequel Aragon nous raconte sa brutale résurrection grâce à Elsa. Il s’agit d’un poème lyrique : Aragon est émerveillé et veut nous émerveiller par le miracle de l’Amour.

Ce poème est un hymne à l’Amour et une superbe déclaration d’Amour.

I. Le récit d’une résurrection

Le récit est celui d’un bouleversement : le narrateur-auteur oppose deux états opposés (vie/mort) :

1. L’évocation d’un passé négatif

Le poète apparaissait comme un homme désespéré

C’est une situation passée. (avant) cf. l’opposition des temps

a. Il était un mort vivant, au bord du suicide « cœur défunt » (absence de vie mais aussi absence de sentiment à cause de la polysémie de « cœur » (sens propre et sens figuré) ( courage/ passion/ générosité)

L’imminence de la mort est soulignée aussi par la tournure impersonnelle « il n’aurait « , c’est comme si la mort ne tenait qu’à un fil.

b. il éprouvait un malaise existentiel, un spleen

cf. « frémissais toujours je ne sais de quelle colère »
cf. les allitérations en [ r ] qui imitent le frisson
cf. monotonie de l’existence « aux jours aux semaines ». Pléonasme qui allonge la durée de cette période.

c. il était dans le noir

cf. « couleurs perdues » –

d. il manquait d’air et d’aise

« un grand collier d’air » « immensité »

e. il ressentait l’irréalité, l’absence de sens des choses, leur absurdité

cf. « sa réalité »

2. Une situation finale : lui avec elle (maintenant)). C’est le présent de l’écriture.

Tous les éléments vitaux sont présents brutalement « soudain »

II. L’amour salvateur

1. Une renaissance

Le mètre court et impair donne au poème de la légèreté. Bien que non ponctuée, la strophe correspond à deux phrases. (enjambement).

La juxtaposition des phrases supprime les lourdeurs

cf. mise en relief de l’adjectif « léger » Répétition du son [y] : battement d’un cœur qui s’éveille

La récurrence des voyelles les plus vives accentue l’idée de gaieté [ e i y ]

2. La sensation d’allégresse

cf. notion d’espace « champ » « immensité » « univers » cf. notion d’air « collier d’air » « souffle »
cf. notion de chaleur « immensité = jeu de mot = immense été »
cf. notion de lumière « rendu leurs couleurs perdues » cf. notion de mouvement

3. La redécouverte de la sensualité

Les sens retrouvent leur vie « parfum » « tendre « « douce »

cf. : la notion symbolique de fertilité « champ de blé » ;
cf. la notion de renaissance : printemps « l’herbe « « renaît » « rosée » ;

réveil de la sexualité : connotation du mot « verveine’ « ombre douce » : le plaisir retrouvé

4. Le sens des choses

La vie retrouve un sens « réalité » « yeux ouverts ». Elsa, la magicienne, fait voir et sentir et donne la vraie lecture du monde : c’est un « front » : une lumière intellectuelle aussi qui éclaire le monde.

Entre les deux états, l’événement : la main nue ! (force de déséquilibre et unique élément du synopsis, qui redonne la vie.

cf. « Mais » placé au centre du 1er sizain
cf. « Alors »

III. Le registre lyrique

Aragon exprime son émerveillement devant le miracle.

1. L’amour miraculeux

L’amour est ici présenté comme un miracle qui transforme le  » roman » de la vie et opère une résurrection de l’homme, véritable seconde naissance.

a. il est résurrection  » rendu » renaît »  » pousse »

b. il est fusion des quatre éléments : l’air, la terre, l’eau et le feu

c. il est l’alchimie : « il fait l’ombre douce »

d. il est magique

2. Elsa, muse et fée

Elsa n’est jamais nommée, elle est une fée qui n’apparaît que par esquisse : la main, les bras, le souffle, le front, les yeux : elle comble tous les manques du poète. Sa présence dans le texte est pudique : l’amour tient de la magie et reste impalpable : il est tout, mais tout produit par des petits riens.

e. l’amour est donc une sensation immatérielle qui se ressent de l’intérieur par un certain nombre de signes externes

Conclusion

Ce poème s’inscrit dans la tradition courtoise puisque le poète rend hommage à Elsa.

L’Amour est l’antidote de la mort.

Une déclaration d’amour fou qui s’oppose à l’idée de l’amour destructeur

Elsa est pour le poète la vie et la vie se confond avec l’Amour.

On retrouve là Aragon Surréaliste qui s’écriait « tout se qui s’oppose à l’Amour sera anéanti »

Du même auteur Aragon, Le Roman inachevé, Que serais-je sans toi ? Aragon, Les yeux d'Elsa, Cantique à Elsa Aragon, La Rose et le Réséda Aragon, Les Yeux d'Elsa Aragon, Elsa au miroir Aragon, Je vous salue ma France

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