Charles Perrault

Perrault, Contes, La Belle au bois dormant, Étude d’un extrait, L’arrivé du Prince

Texte étudié

A peine s’avança-t-il vers le bois, que tous ces grands arbres, ces ronces et ces épines s’écartèrent d’eux-mêmes pour le laisser passer : il marcha vers le Château qu’il voyait au bout d’une grande avenue où il entra, et ce qui le surprit un peu, il vit que personne de ses gens ne l’avait pu suivre, parce que les arbres s’étaient rapprochés dès qu’il avait été passé.

Il continua donc son chemin : un Prince jeune et amoureux est toujours vaillant. Il entra dans une grande avant-cour où tout ce qu’il vit d’abord était capable de le glacer de crainte : c’était un silence affreux, l’image de la mort s’y présentait partout, et ce n’était que des corps étendus d’hommes et d’animaux, qui paraissaient morts. Il reconnut pourtant bien au nez bourgeonné et à la face vermeille des Suisses qu’ils n’étaient qu’endormis, et leurs tasses, où il y avait encore quelques gouttes de vin, montraient assez qu’ils s’étaient endormis en buvant.

Il passe une grande cour pavée de marbre, il monte l’escalier, il entre dans la salle des Gardes qui étaient rangés en haie, l’arme sur l’épaule, et ronflants de leur mieux. Il traverse plusieurs chambres pleines de Gentilshommes et de Dames, dormant tous, les uns debout, les autres assis ; il entre dans une chambre toute dorée, et il vit sur un lit, dont les rideaux étaient ouverts de tous côtés, le plus beau spectacle qu’il eût jamais vu : une Princesse qui paraissait avoir quinze ou seize ans, et dont l’éclat resplendissant avait quelque chose de lumineux et de divin.

Il s’approcha en tremblant et en admirant, et se mit à genoux auprès d’elle. Alors comme la fin de l’enchantement était venue, la Princesse s’éveilla ; et le regardant avec des yeux plus tendres qu’une première vue ne semblait le permettre:

 »Est-ce vous, mon Prince ? Lui dit-elle, vous vous êtes bien fait attendre. »

Le prince, charmé de ces paroles, et plus encore de la manière dont elles étaient dites, ne savait comment lui témoigner sa joie et sa reconnaissance ; il l’assura qu’il l’aimait plus que lui-même. Ses discours furent mal rangés, ils en plurent davantage : peu d’éloquence, beaucoup d’amour. Il était plus embarrassé qu’elle, et l’on ne doit pas s’en étonner; elle avait eu le temps de songer à ce qu’elle aurait à lui dire, car il y a apparence (l’Histoire n’en dit pourtant rien) que la bonne fée, pendant un si long sommeil, lui avait procuré le plaisir des songes agréables. Enfin il y avait quatre heures qu’ils se parlaient, et ils ne s’étaient pas encore dit la moitié des choses qu’ils avaient à se dire.

Perrault, Contes

Introduction

Charles Perrault publie ses « contes » pendant la période classique où les contes de fées sont particulièrement appréciés car ils permettent une double lecture, une destinée aux enfants pour leur apprendre une morale et une autre pour les adultes car l’on trouve beaucoup de passages ironiques et de sous-entendus. Cette œuvre s’inscrit dans l’objet d’étude sur l’argumentation et plus précisément sur l’apologue. Les « contes » de Charles Perrault sont écrits en 1687. Dans cette période classique les auteurs doivent respecter certaines règles notamment celles de la vraisemblance que l’on retrouve chez Perrault malgré qu’il écrive des contes de fées, et la bienséance. Nous allons nous pencher ici sur le conte « La Belle au bois dormant » et plus particulièrement sur le passage où le Prince arrive et découvre la princesse. Nous étudierons dans un premier temps le récit merveilleux destiné aux enfants puis, dans un second temps, le récit implicite et ironique destiné aux adultes.

I. Un récit merveilleux pour les enfants

A. Lieux merveilleux

Le bois :

Enchanté : « ces ronces et ces épines s’écartèrent d’elles-mêmes pour le laisser passer » : personnification.
Inquiétant : « grands arbres ».

Le château :

Élément récurrent des contes de fées.
Les caractéristiques du château sont précédées de l’adjectif grand : « grande avenue », « grande avant-cour », « grande cour ».
La chambre : « une chambre dorée » (hyperbole).

B. Les personnages

Ce sont les personnages caractéristiques des contes de fées : le Prince et la Princesse.

Le Prince :

Caractéristiques du prince : « jeune », « vaillant » : elles rappellent les contes médiévaux (typique du personnage parfait).
Il est « amoureux » et « courageux » (il peut surmonter les obstacles pour aider la princesse).

La Princesse :

« le plus beau spectacle » (superlatif). Hyperbole de la beauté de la princesse.
Beauté de la princesse : « éclat resplendissant », « lumineux », « divin » (beauté irréelle), « qui paraissait avoir quinze ou seize ans » (jeune).

Ce sont des personnages qui plaisent aux enfants.

C. Éléments merveilleux

Sort de la princesse et des gens du château : 100 ans de sommeil (enchantement) : « un si long sommeil ».
« ronces qui s’écartent d’elles-mêmes » : personnification qui rend merveilleux.
Évocation de la fée : « bonne fée » : personnage merveilleux.

Le récit est concis, rapide et bien mené : succession de verbes d’action : « il passe », « il monte », « il entre », « il traverse », « il entre », « il vit » : plait aux enfants (pas d’ennui), qui s’identifient aux personnages.

II. Un récit au second degré : implicite et humour

A. Implicite

« le plaisir des songes agréables » : connotation sexuelle.
« quatre heures qu’ils se parlaient » : connotation sexuelle.
« peu d’éloquence, beaucoup d’amour » : conversations des salons pendant le 17ème siècle. Antithèse : trop d’esprit au détriment de la sincérité.

B. Humour

Aspect caricatural des personnages :

Les Suisses : « nez bourgeonné et face vermeille des Suisses » : réputation des Suisses d’être de gros buveurs.
Les gardes : « rangés en haie », « ronflant de leur mieux » : idées sur les gardes qui ne font jamais rien.

Le Prince :

Maladresse : « il s’approcha en tremblant », « se mit à genoux », « il était plus embarrassé », « discours mal rangés », « peu d’éloquence ». Contraste avec la fierté du début.
Il n’a en fait rien eu à faire : pas d’obstacles à vaincre (les ronces s’écartent d’elles-mêmes), il n’embrasse même pas la princesse pour la réveiller.

La Princesse : « vous vous êtes bien fait attendre » : certaine mauvaise humeur de la princesse (scène comique et inattendue).

Interventions du narrateur : « un prince jeune et amoureux est toujours vaillant » : présent de vérité générale. « on ne doit pas s’en étonner », « l’Histoire n’en dit pourtant rien » : interventions qui détruisent l’illusion romanesque des contes de fées.

Ce second degré n’est pas perceptible par les enfants.

Conclusion

Après cette analyse, on comprend que Perrault tente de mettre une distance entre le conte traditionnel et une histoire pour les adultes. Tout le récit est au second degré, destiné à faire rire les adultes mais, mais au premier degré, celui-ci se destine aux enfants. A travers ses morales, Perrault se moque de l’histoire : il donne une morale qu’il conseille de ne pas suivre.

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