Gérard de Nerval

Nerval, Les Chimères, El Desdichado

Poème étudié

Je suis le Ténébreux, – le Veuf, – l’Inconsolé,
Le Prince d’Aquitaine à la Tour abolie :
Ma seule Etoile est morte, – et mon luth constellé
Porte le Soleil noir de la Mélancolie.

Dans la nuit du Tombeau, Toi qui m’as consolé,
Rends-moi le Pausilippe et la mer d’Italie,
La fleur qui plaisait tant à mon cœur désolé,
Et la treille où le Pampre à la Rose s’allie.

Suis-je Amour ou Phébus ?… Lusignan ou Biron ?
Mon front est rouge encor du baiser de la Reine ;
J’ai rêvé dans la Grotte où nage la sirène…

Et j’ai deux fois vainqueur traversé l’Achéron :
Modulant tour à tour sur la lyre d’Orphée
Les soupirs de la Sainte et les cris de la Fée.

De Nerval, Les Chimères

I. Une crise d’identité

Le 2e quatrain est beaucoup plus lumineux que le premier qui est sombre, qui exprime le désespoir. On voit cette quête d’identité avec le « je suis », « suis-je » « je » qui s’adresse a un « tu » par l’apostrophe.

Emploi de l’article défini « le… » v.1 : il s’assimile à un profil typique avec 3 termes. Le tiret du v.1 coupe ce rythme ternaire mettant en relief l’adjectif « ténébreux » et complété par « veuf » qui évoque le malheur. 2ème désignation : « Le Prince d’Aquitaine à la Tour abolie », v.2, en opposition totale avec le v.1 par le rythme. Il s’assimile au prince => porte le pouvoir par la destruction de la tour du pouvoir. Ebauche d’explication v.3/4 avec «- » qui impose la pause. L’étoile pureté de la femme inaccessible. La graphie fait ressortir ces faits. On peut étudier une polysémie très riche, la lumière résonne au v.3 : instrument de musique en deuil. Image renvoyant au Moyen-Âge. Apparition obsédante du malheur qui marque le sonnet surtout au v.3. Allégorie de la mélancolie + oxymore du soleil noir. Renvoi à un tableau de durée qui porte le titre, mélancolie. Image désolée d’un poète errant à la recherche de son destin. V.4 : allitération en « l » = douceur. Crise d’identité, quête d’identité. Désespoir, tout est ténèbre, noir, « mort ». 1er tercet : « suis-je » : souvenirs mythologiques. V.9 : personnages historiques : « Biron » « Lusignan », allusions mythologiques : symbolique nervalienne, reconstitution identitaire pleine de symboles ; il emmêle le domaine mythologique et historique. Emploi du présent pour évoquer le passé. « Mon front est rouge encore » : allusion du baiser. Persistance du passé dans le présent. Marqué par le souvenir d’Adrienne. On voit donc que l’identité du poète est incertaine. Résurgence du passé mêlé à des rêves, mélange d’histoires/mythologie qui ne permet pas d’afficher clairement son identité.

II. Mémoire, rêve, poésie

Souvenir du passé composé. 2ème tercet : évocation d’un passé lumineux en Italie en opposition avec les ténèbres ‘nuits du tombeau’ « nuits de la mort », tu = être consolateur, réminiscence des moments heureux grâce à une présence réconfortante. Lieux agréables, sonorités douces, assonances en « i » « l » = fluidité. Décor v.6/7 « fleur » : singulier article défini. Décor végétal harmonieux. Motif récurant chez lui. Fait partie des souvenirs et visions. « La fleur qui plaisait ». Assonance en « e » : cherche à retrouver son objet consolateur. Dans ce quatrain, évocation du charme de l’Italie, souvenirs aux sentiments personnels et mêles aux rêves. V.11 : « j’ai rêvé dans la grotte » : évocation inachevée, monde de non-dit. Grotte = lieu protecteur clos. Sirène = divinité des eaux. Mythologies. Le rêve se prolonge et s’associe à la quête pour l’art dans le 2nd tercet. « e » qui coordonne les deux quatrains et qui prolonge le rêve. Évoque une autre expérience, sa descente en enfer et sa victoire. Expérience privilégiée. Périphrase pour évoquer cette descente à l’enfer. Il sort vainqueur, allitération en « q », cela marque sa victoire. Le poète s’assimile à Orphée. Domaine de la mythologie. Image suggérée dans ce très beau dernier vers. Évocation des deux femmes : 2 types de femmes, inaccessibles, la sainte, la fée, et modulant les soupirs et les cris. Sainte = Adrienne fée = Sylvie, medusine, l’actrice aurélie gennicolon. Femmes inaccessibles. Une plus terrestre et l’autre plus céleste.

Harmonie des deux vers 13 et 14 : assonances en « o » vers 13 et « i » vers 14 ; liaison avec le pouvoir magique des champs d’ Orphée. Représente l’art, ce qui permet l’art. Exorcise le deuil d’une femme par une descente aux enfers qui représente un passage du noir à la lumière. La poésie lui permet d’exister en rendant compte de ce qui existe dans un autre monde, représente les ténèbres du poète dans son intérieur. Se rendre compte qu’il y a un autre monde caché au commun des mortels que la poésie pourrait permettre de découvrir. Manière de se retrouver. Ce tercet retrouve sous une forme métaphorique une double expérience affective (la sainte, la fée) mais précisément on se rend compte de ce que permet l’art. Unir les contraires, réconcilier ce qui est opposé, retrouver une unité perdue, résumer la vie dans ses chagrins, ses soupirs, l’enthousiasme.

Conclusion

Le poète retrace dans ce sonnet harmonieux et complexe un itinéraire dont le résultat est paradoxalement donné non pas à la fin mais au début ce qui anéantit toutes les ouvertures et l’espoir. Dans la vie retracée ici les expériences n’ont abouties qu’à la solitude et l’énerve désespérément. Reste cependant au poète le pouvoir magique d’exprimer ce voyage d’une vie et de suggérer une réalité toujours présente. Si le premier quatrain est un douloureux constat d’échec, les autres strophes restent suspendues au temps et s’ouvrent sur le pouvoir toujours renouvelé de la mémoire. Tentative de renaissance.

Du même auteur Nerval, Aurélia, Résumé Nerval, Les Chimères, Vers Dores Nerval, Sylvie, Résumé

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