Jean-Claude Carrière

Carrière, La Controverse de Valladolid, La réaction de l’Indienne

Texte étudié

– Vous avez vu ? Il a failli intervenir !
Plusieurs voix l’approuvent : oui, il a bien montré son idolâtrie obstinée. Sans aucun doute, comme l’affirmait quelques instants plus tôt le philosophe, il est abandonné de Dieu, il est soumis à toutes les forces aveugles, une créature égarée saisie entre les pattes du démon.

[…]

Le cardinal accorde ce point, ne pouvant guère en discuter.

Introduction

En 1550, dans un couvent de Valladolid, le Pape a envoyé le Cardinal Roncieri pour arbitrer un débat qui oppose le philosophe Sépulvéda au dominicain Las Casas, à propos de la nature des Indiens d’Amérique. La question posée par le Cardinal fait référence à la femme indienne qui a empêché son mari d’intervenir alors qu’un moine frappait sur l’idole. C’est ce qui relance le débat.

I. L’argumentation de Sépulvéda

Il va utiliser différents arguments :

Il commence par l’insinuation. Il insinue que la réaction de la femme prouve que les Indiens sont les créatures du Diable. Sépulvéda fait allusion à l’hypothèse du Cardinal.

Le raisonnement par analogie (association d’idées). Pour Sépulvéda :

La femme est rusée;

Le renard est rusé, mais ce n’est pas un être humain. Donc les Indiens ne sont pas des Hommes (syllogisme).

Il utilise cet autre argument à la ligne 61. Ces arguments sont développés pour réfuter l’interprétation de Las Casas. Il s’appuie pour cela sur la logique.

Argument d’autorité (référence à des personnages connus). Sépulvéda ne s’adresse pas toujours à son adversaire. A la ligne 66, il prend à partie le Cardinal. Il va d’ailleurs développer cet argument en s’adressant directement au Cardinal.

Sépulvéda détourne un peu la conversation. Il y a aussi un argument ad hominem (= contre l’homme). Sépulvéda accuse Las Casas de mauvaise foie. Il n’accuse pas les idées mais la stratégie de Las Casas.

Il prend le Cardinal en témoin, et essaie de passer pour une victime.

Tout au long du passage, il fait preuve d’une extrême mauvaise foie.

Sépulvéda n’a avancé aucun argument valide mais ce qui fait sa force sont son calme, sa maîtrise du discours, du procédé oratoire, son argumentation logique, sa culture classique avec la référence à Cicéron. Il présente les choses si habilement que le Cardinal est obligé d’approuver.

II. Las Casas

Il est passionné, se laisse emporter. Il réagit sans cesse de façon émotionnelle.

Il analyse la réaction de l’indienne, qui lui semble une preuve de l’intelligence vive des Indiens. Autrement dit, une intelligence humaine.
Las Casas met en valeur que les Indiens sont capables de penser, de peser le pour et le contre, d’anticiper. Il prouve ainsi que l’indienne n’est pas un animal.

Il réfute l’interprétation de Sépulvéda en donnant des preuves de l’intelligence des Indiens, de leur art, leur pratique, leur spiritualité, leur sensibilité.
Ligne 13 : leur art : statues, pyramides (signe de leur spiritualité).
Ligne 14 : leur sens pratique : canaux.
Ligne 16 : leur sensibilité.

Argument ad hominem. Il va attaquer personnellement Sépulvéda. Il va faire preuve d’une certaine violence verbale : « Il a vivement donné de la voix ».
Plus le débat avance, et plus il perd le contrôle, ce qui est marqué par une ponctuation abondante dans chacune de ses répliques. Ceci va lui nuire, alors que ses arguments sont les plus valables.

Il prend lui aussi le Cardinal à témoin. Il s’excuse mais il rejette les torts sur son adversaire. Cela lui nuit car son excuse consiste à rejeter la faute sur son adversaires (Lignes 35 à 40), et on oublie alors ses excuses.
Il remet en cause le statut de philosophe de Sépulvéda, « le soi-disant philosophe » : encore une insulte de plus.

III. Le Cardinal

Il va jouer son rôle de meneur de débat car il a le soucis de ne rien « laisser dans l’ombre ».
Il pose deux questions qui encouragent les participants à aller jusqu’au bout de leur thèse.
Il veut que tout soit clair.

Tout au long de la controverse, il laisse une certaine liberté de parole, mais jusqu’à un certain point. Il est le gardien « de la dignité du débat ». Il intervient avec calme quand Las Casas s’emporte. « patiemment » : l’auteur insiste sur le calme du Cardinal.
Il ne veut pas que l’on empiète sur le temps de parole de l’autre. Il se souci d’objectivité, en n’affichant pas de préférence pour l’un ou l’autre.

Il recentre de plus le débat quand on s’en éloigne. Il a le souci de ramener tout le monde à la question (Lignes 43 à 45).

Conclusion

C’est Sépulvéda qui semble l’emporter dans ce passage grâce à sa capacité à exploiter le contexte et l’irritabilité de son adversaire, et à sa maîtrise de lui-même. Et pourtant, c’est Las Casas qui a les arguments les plus solides. L’alternance de dialogues et de passages narratifs donnent de la vie au texte tout en donnant au lecteur tous les éléments pour bien comprendre la scène.

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