Louis Aragon

Aragon, Je vous salue ma France

Introduction

Contrairement à Benjamin Perret qui refuse par principe toutes poésies de circonstances, Aragon fait partie de ces poètes qui choisissent de s’engager dans leur poème. Ainsi, dans « Le Musée Grévin », paru clandestinement pendant la guerre, Aragon exprime son patriotisme et la foi dans l’avenir. Dans une partie de ce long poème de facture assez traditionnelle, composé de dix quatrains, d’alexandrins aux rimes croisées, il imagine l’accueil que recevront les survivants de la déportation à leur retour et il fait un portrait de la France qu’il aime. Nous verrons comment l’Histoire vient s’inscrire dans ce texte qui, à bien des égards, ressemble à un hymne ou à une prière. Enfin, en analysant l’éloge qu’il fait de la France, nous tenterons de préciser l’ « idée » que le poète se fait de son pays.

I. Un poème qui s’inscrit dans un contexte historique

Ce poème s’inscrit dans un contexte historique, celui de la France vaincue et occupée. Ses destinataires explicites sont évidemment les prisonniers et les déportés dont le poète envisage le retour. Leurs souffrances sont soulignées par l’évocation de leurs mains martyrisées et de leurs pieds las. Il fait également allusion à l’occupation de la capitale de façon indubitable car l’indication chronologique est claire (vers36). Il faut cependant remarquer que le poète évite les allusions trop directes et trop précises, aucun nom propre lié à l’actualité, l’ennemi allemand n’est même pas désigné, si ce n’est peut être métaphoriquement par « les fantômes » (vers13). Les malheurs de Paris sous l’occupation ne sont évoqués que par une métaphore (vers 36) qui connote les exécutions de résistants. Il apparaît donc que le poète a choisi en préférant le registre lyrique au registre polémique, de voiler en quelques sortes l’atrocité présente pour valoriser un passé glorieux et un avenir meilleur, l’un étant le garant de l’autre.

Car ce poème se veut avant tout un message d’espoir qui adopte délibérément un optimisme inébranlable que la réalité de 1943 ne pouvait raisonnablement pas susciter. Le retour des prisonniers est affirmé avec certitude avec pas moins de sept futurs et une triple anaphore : « Il y aura des fleurs … » comme pour affirmer une certitude de libération et de paix. L’avenir prend alors les traits d’un Eden retrouvé évoqué de façon très traditionnelle comme un jardin fleuri et lumineux (vers 5,7 et 8). L’organisation du vers 7 en syntaxe contribue au lyrisme, les vers 8 à 10 sont apparemment grammaticalement des attributs du pronom « tout » au vers 7 mais les liens grammaticaux se distendent et le lecteur est surtout sous le charme de ces vers qui énumèrent les attraits d’une nature idyllique. La fête qui est promise aux prisonniers est une fête de tous les sens : bonheur tactile des pieds sur la mousse, plaisir de l’oreille grâce à la musique apaisante et le plaisir de l’odorat grâce à l’haleine des jardins. Ainsi, Louis Aragon pour parler des événements de son époque choisit la voie du lyrisme et du symbolisme d’une manière qui donne souvent à son poème l’apparence d’une prière où les références à la tradition sont nombreuses.

II. Poème sous forme de prière ou d’hymne

A la manière de Charles Péguy donne à son poème une allure de litanie (prière formée d’une suite d’invocations que les fidèles récitent en l’honneur de Dieu), le poème en effet est scandé par la formule d’invocations : « Je vous salue ma France… » qui apparaît six fois. Cette formule elle-même étant une variante de la formule « je vous salue marie », or ces paroles viennent de l’ange Gabriel lorsqu’il annonce à Marie qu’elle va mettre au monde le sauveur. Ainsi, le message de l’hirondelle, symbole chrétien du printemps et du renouveau, est à sa manière une annonciation. Message de paix et de bonheur, c’est l’ « angélus des oiseaux » que le poète demande aux cloches de sonner. Ces références au Nouveau Testament auxquelles le poète donne un sens nouveau s’associent à d’autres références empruntées à l’Ancien Testament. L’épisode du déluge vient également nourrir le symbolisme du poète, la France par une métaphore, est assimilée à l’arche de Noé : « vaisseau sauvé des eaux » et rétrospectivement, le lecteur rapproche l’hirondelle messagère du vers 11 de la colombe biblique. Le dernier vers du poème vient confirmer la référence à la Genèse. Il peut sembler étrange qu’un poète communiste et athée comme Aragon s’appuie sur des références religieuses. Mais il semble qu’elles soient en accord avec l’ensemble du poème et les intentions de l’auteur. C’est en effet sur le passé de sa patrie, son Histoire et ses traditions que le poète fonde son espoir de paix et de liberté pour l’avenir.

III. Éloge d’une certaine France ?

Ce poème célèbre une certaine idée de la France. La poétique d’Aragon (sa conception de la poésie et les choix de forme d’écriture) avec le choix des symboles souvent traditionnels, les vers sont en alexandrins, c’est le choix du classicisme et de la tradition. L’allure de ce poème est classique dans la grande tradition lyrique. Par ailleurs, le poème comporte plusieurs allusions au passé glorieux du pays comme la litanie des victoires de Jeanne d’Arc. L’aigle et la colombe font penser à la guerre et la paix, l’aigle fait également référence à Napoléon. Il rend un hommage aux soldats morts, ainsi, le passé est garant de la paix et de la gloire future de la France. Il y a quelques traces de modernités dans ce poème comme : l’absence de ponctuation, les libertés des rimes (ce sont de simples assonances). Il y a des rimes féminines qui riment avec des rimes masculines. La France est également présente par Aragon comme une terre où l’on travaille et en outre un pays qui se distingue par sa capacité à rassembler les différences et à cultiver la diversité (vers29-32). C’est une France à la fois rurale et citadine et aussi allusion à la beauté de la capitale. Il évoque le thème des oiseaux car l’oiseau est par excellence le symbole de liberté. En particulier « l’oiseau de passage » (vers25) qui symbolise l’étranger qui a fait de la France son pays d’adoption et que la guerre a obligé à s’exiler (vers 28).

Conclusion

C’est un poème assez traditionnel, certains le jugeraient trop classique, trop emphatique (qui emploie de grands mots) comme Benjamin Perret. Il est certain qu’Aragon a voulu écrire une poésie accessible, très musicale qui fait vibrer la corde patriotique et ainsi faire parvenir au plus grand nombre un message d’espoir et de renaissance.

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