Jean de La Fontaine

La Fontaine, Fables, L’Astrologue qui se laisse tomber dans un puits

Fable étudiée

Un astrologue un jour se laissa choir
Au fond d’un puits. On lui dit : « Pauvre bête,
Tandis qu’à peine à tes pieds tu peux voir,
Penses-tu lire au-dessus de ta tête ? »
Cette aventure en soi, sans aller plus avant,
Peut servir de leçon à la plupart des hommes.
Parmi ce que de gens sur la terre nous sommes,
Il en est peu qui fort souvent
Ne se plaisent d’entendre dire
Qu’au Livre du Destin les mortels peuvent lire.
Mais ce livre qu’Homère et les siens ont chanté,
Qu’est-ce que le hasard parmi l’antiquité,
Et parmi nous la Providence ?
Or du hasard, il n’est point de science :
S’il en était, on aurait tort
De l’appeler hasard, ni fortune), ni sort,
Toutes choses très incertaines.
Quant aux volontés souveraines
De celui qui fait tout, et rien qu’avec dessein,
Qui les sait, que lui seul ? Comment lire en son sein ?
Aurait-il imprimé sur le front des étoiles
Ce que la nuit des temps enferme dans ses voiles ?
A quelle utilité ? Pour exercer l’esprit
De ceux qui de la Sphère et du Globe ont écrit ?
Pour nous faire éviter des maux inévitables ?
Nous rendre, dans les biens, de plaisir incapables ?
Et, causant du dégoût pour ces biens prévenus,
Les convertir en maux devant qu’ils soient venus ?
C’est erreur, ou plutôt, c’est crime de le croire.
Le firmament se meut ; les astres font leur cours,
Le soleil nous luit tous les jours,
Tous les jours sa clarté succède à l’ombre noire,
Sans que nous en puissions autre chose inférer
Que la nécessité de luire et d’éclairer,
D’amener les saisons, de mûrir les semences,
De verser sur les corps certaines influences.
Du reste, en quoi répond au sort toujours divers
Ce train toujours égal dont marche l’univers ?
Charlatans, faiseurs d’horoscope,
Quittez les cours des princes de l’Europe ;
Emmenez avec vous les souffleurs tout d’un temps.
Vous ne méritez pas plus de foi que ces gens.

Je m’emporte un peu trop : revenons à l’histoire
De ce Spéculateur qui fut contraint de boire.
Outre la vanité de son art mensonger,
C’est l’image de ceux qui bâillent aux chimères,
Cependant qu’ils sont en danger,
Soit pour eux, soit pour leurs affaires.

La Fontaine, « Fables » (II, 13)

Introduction

Cette fable remonte à l’Antiquité avec Esope (3ème siècle avant J.C). Après avoir été complètement oubliée au Moyen Age, ce genre ancien revient avec La Fontaine au XVIIème siècle.
Avec  » L’astrologue qui se laisse tomber dans un puits « , Fable 13, Livre 2, La Fontaine aborde un sujet qui passionne les esprits au XVIIème siècle en reprenant la fable d’Esope.
Le titre évoque Thalès Milet, un philosophe du VIème siècle avant J.C, qui tomba dans un trou car il était en train d’admirer  » les choses du ciel « .
Enjeu : combat de la superstition.

I. Apologue, moyen de dénonciation de la superstition

A. Un apologue bref mais concis

Récit fictif qui occupe très peu de place dans la fable : vers 1 à 4 et vers 43 à 48. Le récit est en effet interrompu par une généralisation.
Le récit décrit un astrologue qui tombe dans un puits sans l’avoir prédit.
La situation est paradoxale et est soulignée par :
La réaction d’une personne inconnue avec le discours au style direct (qui souligne la bêtise).
Deux mouvements inversés : bas-fond du puits / haut ciel.
Réaction pleine de bon sens par quelqu’un d’indéterminé ( » on « ).
Lorsqu’on est dans un puits, on ne peut plus voir le ciel, donc on ne peut plus faire d’astrologie.
L’astrologie est ici extrêmement réduite (ceci est mis en relief par le rejet au vers 2).
Mise en valeur de la position ridicule et grotesque de l’astrologue.
La chute dans le puits entraîne une chute de l’astrologie. La chute est symbolique ( » leçon à la … « ).

B. La morale nous montre ses dangers

Le but de l’apologue est de nous faire réfléchir et modifier nos comportements.
La morale est exprimée du vers 46 jusqu’à la fin de la fable :  » A trop regarder le ciel, on ne regarde plus ce qui se passe autour de soi « .
Le danger est de ne pas voir les dangers : vers 46 et 47 :  » qu’ils soient en danger soit pour eux soit … « .
 » Image de ceux qui baillent aux chimères  » = Image de ceux qui restent bouche bée de convoitises face aux illusions.

C. Critique de l’astrologie, et dénonciation de la superstition

Définition de l’astrologue au XVIIème siècle : C’est celui qui prétend faire servir l’observation et la science pour faire des prédictions sur l’avenir.
Utilisation de périphrases péjoratives pour désigner l’astrologue :  » pauvre bête « ,  » ce spéculateur « .
L’astrologie est décrite comme fausse et vaniteuse :  » la vanité de son art mensonger « .
Moquerie de La Fontaine dans le discours vers 2 à 4 :  » à peine « ,  » pauvre bête « , question ironique  » penses-tu lire au-dessus de ta tête ? « .
Les hommes prétendent lire dans le livre des destins, ont une certaine complaisance à lire dans le livre du destin. Ceci dénonce la prétention de l’Homme.
Au passage, La Fontaine nous rappelle que Homère a fait une grande place au destin : On peut changer le destin mais La Fontaine souligne le fait qu’on ne puisse pas l’ériger en science car ce n’est pas une science certaine ( » or du hasard « , décasyllabe comme le quatrième vers alors que le reste de la fable est composé d’alexandrin. Ceci a un effet frappant). Seule la raison est la base de la connaissance.

II. Dans une généralisation de la fable, opposition de la superstition à Dieu et au cycle de la nature

A. Oppose la science du hasard à l’existence de Dieu

Dans un premier temps, il oppose la superstition à la volonté souveraine de celui qu’il ne nomme pas (allusion à Dieu :  » de celui « ,  » il « ,  » lui « ).
Deux choses de l’ordre de l’irrationnel (il ne remet pas en doute l’existence de Dieu car c’est une évidence pour lui). On peut s’étonner de la relation entre l’astrologie et la religion.
Images poétiques dans une série de questions, en reprenant tous les attributs de l’astrologue. Pour montrer l’absurdité et l’invraisemblance de l’attitude des hommes face au destin, et à Dieu.
Emet des hypothèses sur pourquoi Dieu permettrait à l’homme de lire son destin :
Exercice intellectuel.
Pour déjouer le destin.
Pour nous rendre incapable de plaisir (allusion à la pensée de Cicéron dans Tusculane :  » Attention si par malheur des moments à venir faisaient perdre la jouissance des moments présents « ).
Fin de son argumentation :  » C’est erreur, ou plutôt c’est crime de le croire « . Cette expression renforce son argumentation.

B. Oppose au cycle de la nature

La Fontaine revient vite à quelque chose de plus rationnel : il nous montre la réalité des choses sur lesquelles l’homme n’a aucune emprise.
Explication du monde :
Les astres éclairent la Terre.
Les astres jouent un rôle dans les saisons.
Les astres participent donc de manière évidente au fonctionnement de la Terre.

La Fontaine récuse la superstition mais pas le fait que l’homme soit sous l’emprise de Dieu et des astres.

Conclusion

Dans un combat contre la superstition, La Fontaine critique la place que se donne l’Homme par rapport à Dieu. Il place ici la raison comme la seule base de la connaissance.

Du même auteur La Fontaine, Fables, Les deux Pigeons La Fontaine, Fables, Le Pâtre et le Lion - Le Lion et le Chasseur La Fontaine, Fables, Le Coq et le Renard La Fontaine, Fables, La Grenouille qui veut se faire aussi grosse que le Boeuf La Fontaine, Fables, Le Vieillard et les trois Jeunes Hommes La Fontaine, Fables, La Mort et le Mourant La Fontaine, Fables, La poule aux œufs d'or La Fontaine, Fables, Le paysan du Danube La Fontaine, Fables, Les Animaux Malades de la Peste La Fontaine, Fables, Le Rat et l'Huître

Tags

Commentaires

0 commentaires à “La Fontaine, Fables, Le Rat et l’Huître”

Commenter cet article