Voltaire

Voltaire, Dictionnaire philosophique, Torture

Passage étudié

Article « Torture » en entier.

Introduction

La notion de dictionnaire est nouvelle pour le 18ème siècle, cela faisait partie de la philosophie des Lumières qui recensait les connaissances. Cela permet d’échapper à la censure, s’adresser à tout le monde, et est efficace par sa longueur modérée. Les articles ne sont pas neutres, certains prennent la forme de pamphlets.

Voltaire (1694 – 1778) :
– Philosophe et écrivain des Lumières, il a touché à tous les genres de la comédie à la tragédie, du dialogue au pamphlet, du journalisme au conte philosophique, de l’ouvrage philosophique au discours.
– Il a aussi été un combattant infatigable, et son écriture a toujours été au service de ses idées. Voltaire incarne aujourd’hui le philosophe s’étant opposé à l’intolérance, et ayant, avant beaucoup d’autres, défendu les droits de l’Homme et les grandes causes de l’Humanité.
– Il a participé à l’élaboration de l’Encyclopédie. Mais a également entrepris la rédaction d’un dictionnaire :  » Le dictionnaire philosophique portatif  » (édité à Genève, 300 pages environ) dont le but didactique était d’être extrêmement clair aux esprits éclairés et aux premiers venus, tout en traitant un très large domaine. C’est un dictionnaire typique de l’esprit des Lumières et de l’électrise de leur pensée.

L’enjeu du texte est la dénonciation de la torture, pratique courante et banale au 18ème siècle. Elle était cautionnée par l’Église.

I. Diversité d’approche de la torture

A. Structure rigoureuse

1. Structure d’un article

Le texte est composé de cinq paragraphes, chacun a une utilité, une finalité et un objectif particulier. Le cinquième est la conclusion et les quatre premiers abordent la torture, à chaque fois de manière un peu différente par la présentation de contextes eux-mêmes différents.

On remarque, du point de vue du raisonnement, que l’on ne trouve que des exemples argumentatifs. A aucun moment, Voltaire n’énonce une thèse, mais elle est sous-entendue dans chaque exemple.

2. Consacrée à la torture

Nomination de la torture.
Sous le nom  » torture  » lignes 1, 6, 7 et 27.
Par des périphrases : ligne 12 ( » ses expériences « ), lignes 16 à 19 ( » la question « ) et ligne 30 ( » aventure « ).
Dans chaque paragraphe apparaît donc au moins une fois le terme  » torture « .

B. Diversité des contextes

1. Premier paragraphe

La torture est présentée dans un contexte juridique : champs lexicaux de la justice ( » conseiller de la tourelle « ,  » cachot « ,  » grande et petite torture  » = termes juridiques du XVIIIème siècle), présence du chirurgien (toujours dans le cadre juridique).
C’est le cadre légal de la torture qui apparaît ici.
De plus, notons que le mot  » plaisir  » apparaît dans ce premier paragraphe.
C’est donc ici la torture légale qui procure du plaisir dans un contexte public.

2. Second paragraphe

Le côté privé de la torture est exprimé ici.
Deux personnages sont présents : un  » grave magistrat » et sa  » femme  » (contexte : couple en train de dîner).
La situation évoquée a un côté familier d’où le discours direct. Le discours est de plus privé comme le montre l’emploi de l’expression  » mon petit cœur « .
La torture franchit ici les limites de la prison et devient un sujet familial. Elle est banalisée.
Mais cela ne fait pas disparaître la réalité de la torture qui est nommée à deux reprises :  » expériences « ,  » question « .

3. Troisième paragraphe

Il y a une rupture absolue avec les deux premiers paragraphes.
Le paragraphe montre un point de vue de la politique extérieure.
La France est opposée à l’Angleterre :
– L’Angleterre est considérée comme inhumaine car elle a pris le Canada.
– Alors que la France est qualifiée d’humaine car n’a pas pris le Canada. Pourtant, elle pratique la torture, qui n’est pas exercée au Canada.

4. Quatrième paragraphe

On a une anecdote qui est un exemple d’actualité : on connaît les causes de son accusation, ce qu’il a subi.
Le récit est réel, très détaillé.

Conclusion : Tous ses différents contextes évoqués mettent en relief les conditions de pratique de la torture. Le texte est donc informatif, mais ne s’arrête pas là.
La torture est présentée sous la forme d’un jeu sadique et pervers car elle procure du plaisir à cette époque.

II. Dénonciation absolue de la torture

Le but est de choquer le lecteur. Pour cela, l’ensemble du texte met en relief l’horreur de la torture, et dénonce les justifications de ceux qui la pratiquent.

A. Dénonce une fausse justification historique

Dans la première phrase, le texte fait référence à l’histoire romaine. Il est ainsi dit que dans l’antiquité romaine, les maîtres torturaient leurs esclaves car ceux-ci n’étaient pas considérés comme des hommes.
Voltaire dénonce comment les hommes du XVIIIème siècle réduisent dans un premier temps les hommes à des bêtes pour pouvoir les torturer sans remord (La justice déshumanise). Cette métamorphose de l’homme est renforcée par la négation  » il n’y a pas « .
La longue énumération (1.6) montre le processus de déchéance que l’on fait subir au futur torturé pour ne plus apparenter celui-ci à un homme.
Le texte dénonce une fausse caution des anciens, et souligne que la justice n’a pas changé depuis l’Antiquité.

B. Dénonce le passe-temps sadique et la perversion de la forme médicale

Le mot  » plaisir  » est évoqué aux lignes 6 et 19. La pratique de la torture est considérée comme un divertissement, que l’on répète :  » on recommence « , « il se donne « .
Le texte condamne le comportement sadique du magistrat et le rôle du chirurgien (contre la déontologie du chirurgien qui est normalement de secourir et de soigner ceux qui souffrent). Les métiers sont ici détournés de leurs fonctions d’origine.

C. Dénonce le fait que la pratique de la torture puisse être achetée

Dans le second paragraphe.
Le terme  » argent  » est associé à la torture.
C’est donc l’argent qui permet d’exercer la torture.
Attaque donc du système judiciaire de l’époque.

D. Dénonce la banalisation de la torture

Toute banalisation est dangereuse.
L’accoutumance à la torture se fait en plusieurs étapes dans le second paragraphe :  » la première fois « ,  » la seconde « ,  » ensuite « . La succession de ces termes souligne l’articulation chronologique.
De plus, dans le cadre d’un échange sentimental, il y a évocation de la torture. La torture alimente donc les conversations conjugales, et ceci montre qu’elle est bien banalisée.

E. Dénonce le décalage entre apparence et réalité

Dans le troisième paragraphe, le terme  » inhumanité  » est mis en rapport avec  » fort humain « . Ainsi , les français ont une apparence usurpée car ils se croient forts humains, alors qu’ils sont inhumains ; ce qui n’est pas le cas des anglais, même s’ils ont soit-disant volé le Canada.
Voltaire souligne ici le contraire de la réalité.
Notamment par des procédés de décalage apparence / réalité (ligne 18). Cela montre que l’argument est irrecevable.

F. Dénonce la disproportion entre le crime et le châtiment

Dans le quatrième paragraphe, la critique de Voltaire porte sur la disproportion entre les chefs d’accusation et la sentence. D’autant plus qu’ils insistent sur les circonstances atténuantes : sa jeunesse, ses origines, son esprit et sa grande espérance.
Le relance ment ininterrompu de la phrase permet d’insister sur son innocence.
L’énumération se fait en trois étapes :  » on lui arracha la langue « ,  » on lui coupa la main « , « on lui brûla son corps » (rythme ternaire). Le texte dénonce l’absurdité de la torture en montrant la disproportion absolue entre la faute commise et le châtiment.

Conclusion : Le texte dénonce fortement le procédé de la torture. On remarque une nette évolution entre le premier et le dernier exemple. Voltaire cherche de plus à faire réagir le lecteur par l’ironie.

III. L’Ironie : l’arme de l’écrivain

A. Intervention de l’auteur

Voltaire apparaît une fois ligne 17 :  » je ne sais pourquoi « .
Il cherche malgré cela à indigner le lecteur par l’ironie, en exprimant le contraire de ce qu’il pense.
Pour cela, il utilise divers procédés.

B. Par différents tons et disproportions

Renforcement ironique lignes 6 et 7 :  » jusqu’à ce qu’il soit en danger de mort « . Or on attendrait  » jusqu’à ce qu’il soit hors de danger « . Cela souligne encore une fois la perversion.
Citation d’une phrase anodine :  » cela faisait toujours passer une heure ou deux « . Cette phrase peut être dite dans n’importe quel contexte, mais ici la disproportion est grande. Il en est de même pour l’expression  » mon petit coeur  » : la formule tendre est liée à la torture, car dans la question. La terme est disproportionné par rapport à l’horreur de l’acte.
Ironie dans la différence entre la France et l’Angleterre. L’intervention de l’auteur le souligne : Dans le troisième paragraphe, lorsqu’il parle du décalage entre les français et les anglais qu’il qualifie d’inhumains, il souligne bien l’opposition en qualifiant alors les autres d’inhumains, pour montrer l’inverse de la réalité. Il remet ainsi en cause l’idée qu’il avait de la France.
Ironie douloureuse dans la conclusion avec l’évocation du Moyen Age.

C. Dont le but est de faire réagir le lecteur

Le but de cet article n’est pas d’informer le lecteur des actes de torture commis au XVIIIème siècle, mais plutôt de le choquer et de l’indigner. Il veut faire prendre conscience aux gens que ce n’est pas une situation normale.
Voltaire veut que ceux-ci remettent en cause cette pratique, et montre la voie à suivre au cinquième paragraphe par une dénonciation. Celle-ci jour sur l’opposition entre le XIIIème, XIVème siècle (Moyen Age, associé à l’obscurantisme) et du XVIIIème siècle (associé aux progrès des Lumières). Il montre que le XVIIIème siècle est un cercle de progrès mais aussi de cruauté.

Conclusion : Voltaire utilise l’ironie brillamment, et s’adresse ainsi à l’imagination et à la sensibilité, amenant le lecteur à tirer ses propres conclusions.

Conclusion générale

Voltaire prend position sur une pratique institutionnalisée, ce qui est courageux. La torture a été supprimée quelques années avant la révolution française et ce texte a influencé sur son abolition. Mais aujourd’hui, le Monde est encore confronté à cette pratique, comme le montrent les rapports d’Amnistie Internationale et les témoignages liés à la guerre d’Algérie.

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