Situation :
- 1913 : 33 ans. Publie son premier
recueil, Alcools, qui évoque les Paradis Artificiels
de Baudelaire.
- Il fréquente beaucoup les peintres
modernes et se passionne pour l'évolution de l'art.
- Zone = zona, ceinture en grec, représente
la boucle entre le matin (début du poème) et le matin
du lendemain (fin du poème), Ou zone frontière entre le
monde ancien et le monde moderne.
- Dans ce poème, Apollinaire s'adresse à lui-même, mais avant les progrès techniques.
Texte étudié :
A la fin tu es las de ce monde ancien
Bergère ô tour Eiffel le troupeau des ponts bêle ce matin
Tu en as assez de vivre dans l'antiquité grecque et romaine
Ici même les automobiles ont l'air d'être anciennes
La religion seule est restée toute neuve la religion
Est restée simple comme les hangars de Port-Aviation
Seul en Europe tu n'es pas antique ô Christianisme
L'Européen le plus moderne c'est vous Pape Pie X
Et toi que les fenêtres observent la honte te retient
D'entrer dans une église et de t'y confesser ce matin
Tu lis les prospectus les catalogues les affiches qui chantent tout haut
Voilà la poésie ce matin et pour la prose il y a les journaux
Il y a les livraisons à 25 centimes pleines d'aventure policières
Portraits des grands hommes et mille titres divers
J'ai vu ce matin une jolie rue dont j'ai oublié le nom
Neuve et propre du soleil elle était le clairon
Les directeurs les ouvriers et les belles sténo-dactylographes
Du lundi matin au samedi soir quatre fois par jour y passent
Le matin par trois fois la sirène y gémit
Une cloche rageuse y aboie vers midi
Les inscriptions des enseignes et des murailles
Les plaques les avis à la façon des perroquets criaillent
J'aime la grâce de cette rue industrielle
Située à Paris entre la rue Aumont-Thieville et l'avenue des Ternes
Guillaume Apollinaire, Alcools
Analyse :
I - Toutes les formes nouvelles du monde moderne doivent servir d'inspiration à l'artiste
A. Rejet du patrimoine classique.
- L'Europe est vieille, il faut la rajeunir
par un intérêt artistique pour les fruits de la technique.
- Il faut abandonner la règle classique des latins ou des grecs
B. Le catholicisme, trait d'union entre le passé et l'avenir.
- Cette religion est postérieure au
monde latin grec, marquant donc une rupture avec l'Antiquité
(v.1-3-7).
- Mais le choix de Pie X est inattendu, car il condamna le mouvement moderniste, mais c'était le pape de l'époque, et représentait donc la religion catholique.
C. Toutes les formes du modernisme sont sources d'inspiration.
- Dans l'écriture de son poème,
Apollinaire se sert d'exemple modernes afin d'illustrer ses propos
: la Tour Eiffel, l'aviation, toutes les expressions de la publicité,
la sténographie et l'industrie.
- Ici, Apollinaire est précurseur
des surréalistes qui penseront comme lui : que les moindres
prétextes, le moindre objet nouveau et moderne peut réveiller
l'artiste par une sensation vive.
II - Ce poème lui-même offre l'exemple de ce que l'auteur préconise
A. Des images inspirées par la modernité.
- v. 2 : de Bergère à Tour
Eiffel
de Troupeaux à Ponts
Souhait : de Monde moderne à Source de poésie, par le biais de métaphores comme celles-ci.
- Correspondance des sens : v. 15-16
: une rue neuve et propre, du monde moderne donc. Correspondance
entre la vue (soleil) et l'ouïe (clairon).
v. 21-22 : publicité, sensation visuelle = sensation auditive (criaillent).
B. Réalisme du vocabulaire.
- Expressions orales (v.3, en
avoir assez, v.4, en avoir l'air)
- Apostrophes (v.2-7-8)
- Confidences, sous forme de tutoiements
à lui-même (v.9 à 11)
- Références à des noms propres
C.
Technique très libre de versification.
- Il part de l'alexandrin classique (pour
exprimer la tradition), et il allonge ce vers jusqu'à tendre
vers la prose, quitte à revenir parfois à l'alexandrin (v.19-20).
- Sous l'influence de Verlaine, la rime
est très assourdie ou même absente, volontairement
pauvre, afin de donner une dimension plus poétique au texte.
- Apollinaire à été l'innovateur en matière de suppression de la ponctuation : il voulait que le lecteur puisse choisir le rythme à sa convenance.
Conclusion :
- Au XVIIIe siècle déjà, le poète Chenier avait voulu considérer toute modernité comme inspiratrice. Apollinaire reprend la même perspective dans ce poème.