Jean de La Fontaine

La Fontaine, Fables, La tortue et les deux canards

Fable étudié

Une Tortue était, à la tête légère,
Qui, lasse de son trou, voulut voir le pays.
Volontiers on fait cas d’une terre étrangère :
Volontiers gens boiteux haïssent le logis.
Deux Canards à qui la Commère
Communiqua ce beau dessein,
Lui dirent qu’ils avaient de quoi la satisfaire :
Voyez-vous ce large chemin ?
Nous vous voiturerons par l’air en Amérique.
Vous verrez mainte république,
Maint royaume, maint peuple ; et vous profiterez
Des différentes mœurs que vous remarquerez.
Ulysse en fit autant. On ne s’attendait guère
De voir Ulysse en cette affaire.
La Tortue écouta la proposition.
Marché fait, les Oiseaux forgent une machine
Pour transporter la pèlerine.
Dans la gueule en travers on lui passe un bâton.
Serrez bien, dirent-ils ; gardez de lâcher prise.
Puis chaque Canard prend ce bâton par un bout.
La tortue enlevée on s’étonne partout
De voir aller en cette guise
L’animal lent et sa maison,
Justement au milieu de l’un et l’autre Oison.
Miracle, criait-on. Venez voir dans les nues
Passer la Reine des Tortues.
La Reine : vraiment oui ; je la suis en effet ;
Ne vous en moquez point. Elle eût beaucoup mieux fait
De passer son chemin sans dire aucune chose ;
Car lâchant le bâton en desserrant les dents,
Elle tombe, elle crève aux pieds des regardants.
Son indiscrétion de sa perte fut cause.
Imprudence, babil, et sotte vanité,
Et vaine curiosité
Ont ensemble étroit parentage.
Ce sont enfants tous d’un lignage.

La Fontaine, Fables

Introduction

Le texte est extrait du livre X des Fables de La Fontaine. Il s’agit du deuxième texte : « La Tortue et les deux Canards ». Cette fable met en scène des animaux : une tortue, deux canards. L’étude des différents points de vue permet de donner un aspect humoristique et fantaisiste au texte et de renforcer la leçon de morale.

I. En vous appuyant sur les changements d’énonciateur et de point de vue, mettez en évidence l’aspect humoristique du récit. En quoi sert-il la morale ?

Les énonciateurs sont : la Tortue, les deux canards, le narrateur. La Tortue ne peut pas voler. Elle a un complexe d’infériorité par rapport aux canards. Le narrateur n’y croit pas mais elle si. La prise de parole des personnages suffit à les caractériser. La description est brève. Le narrateur présente la tortue de manière ironique. Il la compare aux gens boiteux qui haïssent le logis. Les canards tiennent un discourt incohérent. Ils parlent d’Ulysse ce qui montre qu’ils sont sots. Le narrateur introduit les personnages. On dit « Une » tortue. C’est un cas particulier, puis on généralise avec « on fait cas d’une terre étrangère ». Il fait des commentaires : « On ne s’attendait pas à voir Ulysse dans cette affaire ». Il annoncera la morale finale. Les autres énonciateurs sont les personnages : la tortue, les canards et les gens, « on ». La population se laisse abusée par le prétendu miracle. Donner la parole aux animaux contribue à la polyphonie du texte qui donne une fantaisie au texte. Les voix se mêlent avec naïveté. Les canards promettent républiques, royaumes et Amérique. Ce sont des préoccupations humaines. L’ambition de la tortue est ironique. Elle devient Ulysse. Le conteur se rit de l’ambition de la tortue et raconte sa fin avec rapidité. Les différents points créent une distance, une légèreté, un humour qui sont efficaces pour servir la morale. La polyphonie rend le texte plaisant et la transposition aussi. Par la manière de présenter les commentaires… l’attention du lecteur est tout de même sollicitée.

En dépit de la chute, le lecteur est tenté de suivre.

II. Comment le recourt aux images permet-il au fabuliste d’introduire de la fantaisie à la fois dans l’histoire et dans le précepte final ?

La tortue est niaise (tombée du nid = sans expérience). Les fables sont peuplées d’animaux. Les personnages sont rapidement caractérisés. Ils ont un vocabulaire propre. Il y a des allusions au système politique, à l’Amérique. La tortue est vaniteuse, les canards astucieux. Ils la manipulent, cela renvoie à un univers imaginaire qui rend la morale plus édifiante (= qui renforce les valeurs morales de la personne). La moralité est imagée. Parentage et lignage sont synonymes. Il y a des substantifs : « enfants d’un lignage ». On mêle l’abstrait et le concret.

III. En quoi la brièveté confère t-elle légèreté et efficacité à l’argumentation ?

Le texte est très bref (36 vers). Les rimes sont irrégulières. L’histoire est raccourcie par la chute de la tortue rapidement. L’attention du lecteur est captivée. Le mot d’ordre « instruire et plaire » est respecté. Le récit est didactique.

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