Michel de Montaigne

Montaigne, Essais I- 23, De la Coutume, Les Lois de la Conscience (…) La bêtise ordinaire de son jugement

Texte étudié

Les lois de la conscience que nous disons naître de nature, naissent de la coutume ; chacun ayant en vénération interne les opinions et mœurs approuvées et reçues autour de lui, ne s’en peut défendre sans remords, ni s’y appliquer sans applaudissement.

Quand ceux de Crète voulaient au temps passé maudire quelqu’un, ils priaient les dieux de l’engager en quelque mauvaise coutume. Mais le principal effet de sa puissance, c’est de nous saisir et empiéter de telle sorte, qu’à peine soit-il en nous de nous ravoir de sa prise et de rentrer en nous, pour discourir et raisonner de ses ordonnances. De vrai, parce que nous les humons avec le lait de notre naissance, et que le visage du monde se présente en cet état à notre première vue, il semble que nous soyons nés à la condition de suivre ce train. Et les communes imaginations, que nous trouvons en crédit autour de nous et infuses en notre âme par la semence de nos pères, il semble que ce soient les générales et naturelles. Par où il advient que ce qui est hors des gonds de coutume, on le croit hors des gonds de raison ; Dieu sait combien déraisonnablement, le plus souvent. Si, comme nous, qui nous étudions, avons appris de faire, chacun qui entendit une juste sentence regardait incontinent par où elle lui appartient en son propre, chacun trouverait que celle-ci n’est pas tant un bon mot, qu’un bon coup de fouet à la bêtise ordinaire de son jugement.

Introduction

L’Humanisme est un courant littéraire et philosophique du XVIème siècle, qui s’attache à promouvoir des valeurs fondamentales telles que la liberté ou la Tolérance, et qui préfigure le courant des Lumières. Avec ses Essais, Montaigne est l’un des principaux représentants de ce courant. Dans le chapitre intitulé « De la coutume » il dénonce l’emprise de la coutume sur les esprits. Nous allons voir en quoi ce texte est argumentatif en montrant dans une première partie que Montaigne dénonce la coutume puis fait l’éloge de la raison.

I. La dénonciation de la coutume

A. Un constat d’erreur

Montaigne réfute une idée reçue : « que nous disons » (restriction) qui consiste à ramener les « lois de la conscience », c’est-à-dire les lois morales qui régissent les sociétés humaines, à des lois naturelles : « naître de nature ». Or, si c’est lois sont naturelles, elles ne peuvent ni être réfléchies, ni modifiées par l’homme.

Montaigne attaque cette idée en affirmant que la coutume est à l’origine des lois : « naissent de la coutume ».

B. La force de la coutume (« puissance »)

– Expressions : « ne s’en peut dépendre », « engager » et « saisir et empiéter » renvoient au vocabulaire de la chasse (fauconnerie).

– Paradoxe : ce qu’il y a de commun à une société est ce qui la sépare des autres :
« Chacun ayant en vénération interne les opinions et les mœurs approuvées et reçues autour de lui ».
« Et les communes imaginations que nous trouvons en crédit autour de nous […], il semble que ce soient les générales et naturelles ».

C. Les causes

– Origine de cette emprise.

– Explication : conjonction « parce que ».

– Origine : l’éducation donnée aux enfants :
« Nous le humons avec le lait de notre naissance »
« Infuse en notre âme par la semence de nos pères »

– Résolution du paradoxe : puisque l’éducation est différente entre les nations, les coutumes seront alors différentes.

? Dénonce la force de la coutume dans les sociétés humaines.

II. L’éloge de la raison

A. la raison pour lutter

– La raison doit nous permettre de « nous ravoir de sa prise et de rentrer en nous pour discourir et raisonner des ses ordonnances ».

– « ravoir » = libération.

– « rentrer en nous » = réflexion.

– Pour Montaigne, la coutume doit être soumise à une instance supérieure qui la légitimera (ou non), justifiera son existence ou la remettra en cause.

– L’« ordonnance » = caractère impérieux de la coutume, doit être remis en cause pour que les hommes se délivrent des préjugés qui consistent à croire que « ce qui est hors des gonds de coutume » est « hors des gonds de raison ». Métaphore montrant à nouveau la domination de la coutume sur la raison.

B. Hypothèses

– Conjonction « si ».

– Temps des verbes ; imparfait : « regardait » et conditionnel : « trouverait ».

– Incite le lecteur : « chacun » à prendre exemple sur lui et sur tous les gens qui font déjà cet exercice de réflexion : « comme nous qui nous étudions, avons appris à la faire ».

– Selon Montaigne chaque individu peut donc se livrer à une analyse qui va lui permettre d’étudier d’où lui viennent les idées qui lui semble si évidentes et les remettre en questions.

– Ainsi ; ce qui paraissait « une juste sentence » se révélera n’être qu’un bon coup du fouet de la bêtise ordinaire de jugement ».

? La raison comme contrepoids à la coutume.

Conclusion

Ainsi, par la mise en évidence du pouvoir abusif de la coutume sur les esprits et l’appel à l’exercice de la raison, Montaigne plaide pour la tolérance, en incitant les hommes à voir ce qu’ils ont de commun et non s’arrêter à leurs différences. Nous avons donc vu qu’il s’agissait bien d’un texte argumentatif. On retrouve cette même dénonciation chez les dominicains Bartholomé de Las Casas, qui vécurent au nouveau monde avec les Indiens.

Du même auteur Montaigne, Essais II-18, Du démentir Montaigne, Essais III-2, Du repentir Montaigne, Essais III-6, Des coches Montaigne, Essais I-30, Des Cannibales Montaigne, Essais III-13, De l'expérience Montaigne, Essais III-9, De la Vanité, Laisse lecteur courir encore ce coup d'essai Montaigne, Essais, Avant-propos Montaigne, Essais III-9, De la Vanité, A sauts et a gambades Montaigne, Essais III-9, L'Art de voyager Montaigne, Essais, Chapitre 50, Sur Démocrite et Héraclite

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